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Décisions

CA Versailles, 16e ch., 3 juin 2021, n° 19/05654

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Banque Française Mutualiste (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Nérot

Conseillers :

Mme Pages, Mme Deryckere

TGI Pontoise, du 14 juin 2019, n° 17/028…

14 juin 2019

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant une offre préalable acceptée le 18 décembre 2007, la SA Banque française mutualiste a consenti à M. J. un prêt ayant pour objet l'acquisition d'une licence d'artisan taxi d'un montant de 147 000 euros au taux fixe de 5,53% l'an remboursable en 120 mensualités.

M. J. a cessé de régler les échéances de ce prêt.

Le 6 octobre 2015, par lettre recommandée avec accusé de réception, la SA Banque française mutualiste a vainement mis en demeure M. J. de régulariser sa situation. La déchéance du terme a donc été prononcée par lettre recommandée du 26 juillet 2016.

Statuant sur l'action en paiement de la banque introduite par assignation du 10 avril 2017, le tribunal de grande instance de Pontoise, par jugement contradictoire rendu le 14 juin 2019, a :

- condamné M. J. à payer à la SA Banque française mutualiste la somme de 37 546,68 euros, dont 33 937,95 euros portant intérêts au taux contractuel de 5,53% à compter du 3 mars 2017 et jusqu'au parfait paiement ;

- débouté M. J. de sa demande d'octroi de délais de paiement ;

- condamné M. J. à payer à la SA Banque française mutualiste 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. J. aux dépens ;

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.

Le 29 juillet 2019 M. J. a interjeté appel de la décision.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe le 11 mars 2021, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. Dieugrand J., appelant, demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Pontoise en date du 14 juin 2019.

Et, statuant à nouveau,

- reporter à deux années à compter du prononcé de la décision à intervenir, le règlement du solde de la dette due par M. J..

Subsidiairement,

- dire et juger que M. J. pourra s'acquitter de sa dette en 23 mensualités de 400 euros, et une vingt-quatrième d'un montant égal au solde dû.

En tout état de cause,

- ordonner que les sommes correspondantes aux échéances reportées, porteront intérêt à un taux réduit au taux légal et que les paiements opérés s'imputeront en priorité sur le capital restant dû.

Au soutien de ses demandes, M. J. fait valoir :

- qu'en vertu des dispositions des articles 1343-5 du code civil et 510 du code de procédure civile, le tribunal de grande instance était bien compétent pour accorder les échelonnements et délais de grâce qui lui sont demandés ;

- que M. J. a rencontré des difficultés dans l'exercice de son activité s'expliquant, d'une part, par le développement depuis 2014 de l'activité des VTC, qui entrent directement en concurrence avec celle des taxis, et, d'autre part, par la chute de l'activité de transport des taxis, en 2015 et 2016, et la conjoncture en 2018 et 2019 liée aux gilets jaunes et à la pandémie ; que les bilans de M. J. laissent en effet apparaitre une situation très mitigée ; que la situation du débiteur permet donc l'application de l'article 1343-5 du code civil ;

- que les besoins de la banque créancière n'apparaissent pas faire obstacle à l'application de cette disposition, à en juger par le montant de son capital social et de son activité ; que malgré ses difficultés, l'appelant est parvenu, en empruntant, à réunir des fonds pour désintéresser une partie conséquente de la somme réclamée et à effectuer deux virements à l'intimée de 6000 euros le 17 février 2021 et de 7000 euros le 9 mars 2021.

Par dernières conclusions transmises au greffe le 10 janvier 2020, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SA Banque française mutualiste, intimée, demande à la cour de :

- confirmer le jugement prononcé le 14 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Pontoise en toutes ses dispositions ;

- juger l'appel interjeté par M. J. mal fondé ;

- débouter M. J. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner enfin M. J. à payer à la SA Banque française mutualiste une somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Au soutien de ses demande la SA Banque française mutualiste fait valoir :

- qu'il ressort du bilan comptable de M. J. que la concurrence des VTC subie par la profession des chauffeurs de taxis a été régulée en 2017 et que sa situation financière s'avère relativement saine ;

- que M. J. a arrêté ses paiements en 2016 ; qu'il a donc déjà bénéficié de plus de quatre années de délai ;

- que la proposition de paiements mensuels à hauteur de 400 euros est bien trop faible par rapport au montant de sa dette ;

- que selon l'article 1341-1 du code civil, la SA Banque française mutualiste est parfaitement fondée à réclamer le paiement des intérêts au taux contractuel et à imputer les paiements effectués par le débiteur en priorité sur les intérêts.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 16 mars 2021.

L'audience de plaidoirie a été fixée au 5 mai 2021 et le prononcé de l'arrêt au 3 juin 2021 par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile;

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions, et observe que M J., bien qu'ayant formé appel du jugement en toutes ses dispositions, n'a saisi la cour d'aucun moyen ni d'aucune prétention relativement au principe et au quantum de la créance de remboursement de la banque consacrés par le jugement entrepris. Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné M. J. à payer à la SA Banque française mutualiste la somme de 37 546,68 euros, dont 33 937,95 euros portant intérêts au taux contractuel de 5,53% à compter du 3 mars 2017 et jusqu'au parfait paiement.

La discussion porte seulement sur l'octroi d'un délai de grâce, et les modalités de celui-ci, demande que le tribunal a rejetée en excipant curieusement de la compétence exclusive du juge de l'exécution, alors que celui-ci ne connait par application de l'article L213-6 du code de l'organisation judiciaire que des difficultés portant sur le titre exécutoire qui s'élèvent à l'occasion de la contestation de mesures d'exécution forcée, et qu'en dehors de ce cas, la demande de délai de grâce fondée sur l'article 1345-5 du code civil entrait parfaitement dans la sphère des compétences du tribunal statuant sur la demande en paiement de la banque.

Quoi qu'il en soit, en vertu de cette disposition, « Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.

La décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge' ».

M J. rappelle les difficultés ayant impacté depuis plusieurs années la profession d'artisan taxi et la chute de ses revenus corrélative, qui transparait sur son résultat comptable dans le temps, ainsi que les efforts accomplis pour rembourser sa dette à raison de deux versements conséquents récents, à savoir 6000 € le 17 février 2021 et 7 000 € le 9 mars 2021, pour plaider sa situation de débiteur malheureux et de bonne foi.

En tenant compte de ces deux versements, qui s'imputent en priorité sur les intérêts, au vu du décompte de la créance tel qu'actualisé par le créancier en dernier lieu le 9 février 2020, le solde de la dette de M J. est de l'ordre de 32 000 €, à parfaire.

Dans les deux prochaines années la reprise générale de la croissance économique et ses retombées sur le secteur de la mobilité représenté notamment par la profession de chauffeur de taxis, au fur et à mesure de l'allègement des restrictions de circulation dues actuellement à la crise sanitaire, permet sans atteinte disproportionnée au droit du créancier, de valider la proposition de M J. de solder totalement sa dette à l'issue d'un délai de 24 mois, à condition dans cette attente, de désintéresser la banque par des versements partiels de 400 € par mois, sous réserve que durant ce délai les intérêts soient provisoirement limités au taux légal. Il n'y a pas lieu en revanche d'inverser la règle d'imputation des versements.

Compte tenu de la teneur de la décision, les dépens d'appel seront laissés à la charge de M J.. En revanche, aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la Banque Française Mutualiste au titre des frais exposés à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

Statuant publiquement par décision contradictoire rendue en dernier ressort,

CONFIRME la décision entreprise sauf en ce qu'elle a débouté M Dieugrand J. de sa demande de délais de paiement,

Statuant à nouveau de ce chef,

Vu les règlements effectués au profit de la Banque Française Mutualiste de 6000 € le 17 février 2021 et 7 000 € le 9 mars 2021, à intégrer au décompte des intérêts et à la détermination du solde restant dû,

Autorise M Dieugrand J. à se libérer de sa dette résultant du jugement tel que confirmé et du présent arrêt, par versements de 400 € par mois pendant 23 mois à compter de la signification du présent arrêt, et une 24ème échéance comprenant le solde de la dette majoré des intérêts,

Dit que pendant le cours des délais ainsi accordés, la dette portera intérêts à un taux réduit au taux légal,

Rappelle que pendant le cours des délais ainsi accordés, les procédures d'exécution sont suspendues, et que les majorations d'intérêts ou pénalités de retard éventuelles ne sont pas encourues,

Dit qu'à défaut de règlement d'une seule échéance, le solde restant du redeviendra immédiatement exigible,

Déboute la Banque Française Mutualiste de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

Déboute M Dieugrand J. du surplus de ses demandes,

Condamne M Dieugrand J. aux dépens d'appel.