Livv
Décisions

Cass. crim., 21 juin 1990, n° 89-83.394

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Simon

Avocat général :

M. Perfetti

Avocats :

SCP Lesourd et Baudin, Me Delvolvé

Lyon, du 10 mai 1989

10 mai 1989

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la Société des produits usagés recyclés (SPUR), dont Rolande X... est président-directeur général, stockait dans son dépôt de Saint-Fons des huiles de vidange de moteur et des huiles industrielles usagées provenant de regroupement d'huiles collectées dans le département du Rhône par le groupement d'intérêt économique Rhône-Alpes Huiles ;

Que, ni la société SPUR ni le GIE Rhône-Alpes Huiles ne disposant de l'agrément prévu par les articles 4 et 8 du décret du 21 novembre 1979 pris en application des articles 9 et 10 de la loi du 15 juillet 1975, Rolande X... a été poursuivie pour avoir exploité une entreprise exerçant sans agrément une activité d'élimination d'huiles usagées ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 388 et 591 du Code de procédure pénale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la prévenue coupable d'avoir éliminé des déchets ou matériaux sans être titulaire de l'agrément requis par la loi lorsque l'exploitation de l'établissement concerne l'élimination de déchets et la récupération de matériaux, en l'espèce des huiles de vidanges de moteurs et des huiles industrielles usagées ;

" alors, d'une part, que l'article 26 de la loi du 15 juillet 1975 prévoit que seuls sont qualifiés pour procéder à la recherche et à la constatation des infractions aux dispositions de la présente loi, outre les officiers et agents de police judiciaire mentionnés à l'article 20 du Code de procédure pénale :

" - les agents de police judiciaire visés à l'article 21 de ce même Code,

" - les fonctionnaires de la police nationale et les agents de la police municipale dans la limite des dispositions relatives à leurs compétences,

" - les fonctionnaires et agents du service des Ponts et Chaussées, du service du Génie rural, des Eaux et Forêts, de l'Office national des forêts, du service des Mines et des services extérieurs de la Marine marchande, assermentés ou commissionnés à cet effet,

" - les agents habilités en matière de répression des fraudes,

" - les agents des services de la Santé publique spécialement commissionnés dans les conditions fixées à l'article 4 de la loi n° 61-842 du 2 août 1961 et à l'article L. 48 du Code de la santé publique,

" - les agents des Douanes,

" - qu'initialement ce texte visait aussi les agents mentionnés à l'article 22 de la loi du 19 décembre 1917 modifiée, relative aux établissements dangereux, insalubres ou incommodes, laquelle a été abrogée par la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 ; que l'arrêt attaqué énonce que les infractions ont été constatées par procès-verbal du 5 février 1986 dressé par un ingénieur de l'inspection des Etablissements classés ; qu'il apparaît ainsi que l'auteur du procès-verbal n'était pas qualifié pour constater les infractions reprochées à la prévenue et que ce procès-verbal rédigé par un fonctionnaire incompétent doit être considéré comme inexistant de sorte que la saisine illégale de la juridiction correctionnelle est en réalité équivalente à une absence de saisine et doit être considérée comme inexistante " ;

Attendu que le moyen proposé, en ce qu'il invoque pour la première fois devant la Cour de Cassation une nullité de la procédure antérieure à la saisine de la juridiction de jugement et tiré de la violation de l'article 26 de la loi du 15 juillet 1975, n'est pas recevable en application de l'article 385 du Code de procédure pénale ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 34 et suivants et 177 du traité de la Communauté économique européenne, 386, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception préjudicielle tendant au sursis à statuer jusqu'à l'issue de l'action engagée par la Commission économique européenne contre l'Etat français, pour manquement aux interdictions posées par le traité de Rome dans une espèce en tous points semblable aux faits de l'actuelle poursuite ;

" aux motifs qu'en la matière la Commission n'a aucun pouvoir de décision ; qu'elle peut seulement saisir, le cas échéant, la Cour de justice des Communautés européennes ; que cette simple éventualité ne saurait justifier le sursis à statuer sollicité ; qu'il résulte d'une lettre du 7 février 1989 du secrétariat d'Etat auprès du Premier ministre, chargé de l'Environnement, que le seul point de discordance entre la Commission et le Gouvernement français concerne les exportations d'huiles usagées et que, sur le seul point critiqué, la réglementation française sera prochainement modifiée ; que l'avis motivé adressé le 21 avril 1987 par la Commission au Gouvernement français est donc sans incidence sur le présent litige ;

" alors, d'une part, que lorsque la Commission estime qu'un Etat membre a manqué à une des obligations lui incombant en vertu du Traité instituant la Communauté économique européenne et qu'elle fait parvenir à cet Etat un avis motivé auquel celui-ci est tenu de se conformer (art 169 du Traité), les poursuites engagées à l'échelon national pour violation de la réglementation arguée d'illégalité par la Commission doivent cesser jusqu'à l'issue de la procédure de recours engagée par cette dernière, soit qu'elle décide de saisir la Cour de justice, soit qu'elle décide de retirer sa demande de modification de la réglementation concernée ; que la Commission européenne a engagé un recours contre la République française, sur le fondement de l'article 169 du Traité susvisé, relativement à la réglementation sur le ramassage des huiles usagées qui est contraire au droit communautaire ; qu'en l'espèce, les poursuites engagées contre la prévenue reposent sur une violation des règles internes de ramassage et de stockage des huiles usagées ; que cette mise en cause de la conformité de la réglementation interne avec le droit communautaire a fait perdre aux poursuites leur fondement légal et que, dès lors, la cour d'appel devait faire droit à l'exception préjudicielle qui lui était présentée ;

" alors, d'autre part, que retenant, pour affirmer que l'avis motivé adressé le 21 avril 1987 par la Commission à l'Etat français était sans incidence sur le présent litige et rejeter l'exception préjudicielle, les seules allégations contenues dans une lettre du secrétariat d'Etat auprès du Premier ministre chargé de l'Environnement, du 7 février 1989, lettre selon laquelle le seul point de discordance entre la Commission et le Gouvernement français concernerait les seules exportations d'huiles usagées, sans exiger, pour en vérifier le contenu, la production de l'avis de la Commission, la cour d'appel qui a violé le principe du contradictoire n'a pas légalement justifié sa décision, la preuve n'ayant nullement été administrée de ce que l'avis motivé était sans incidence sur les poursuites ;

" alors enfin que la conformité de la réglementation française relative au ramassage des huiles usagées avec le droit communautaire ayant été contestée et cette question ne pouvant être tranchée par la juridiction nationale, il y a lieu, en application de l'article 177 du Traité de la Communauté économique européenne, de demander à la Cour de justice des Communautés européennes, à titre préjudiciel, si les dispositions de l'article 3 du décret n° 79-981 du 21 novembre 1979 faisant obligation aux détenteurs d'huiles usagées de remettre leurs huiles aux seuls ramasseurs agréés de la zone conformément à l'article 4 du même décret s'ils ne les exportaient pas eux-mêmes vers l'un des éliminateurs visés par ce texte sont compatibles avec les dispositions des articles 30 et suivants du traité de Rome et avec les directives du Conseil des Communautés en matière d'élimination d'huiles usagées " ;

Attendu que Rolande X... et la société SPUR avaient demandé à la juridiction du second degré de surseoir à statuer, en raison de l'existence d'une action exercée par la Commission des communautés européennes contre l'Etat français sur le fondement de l'article 169 du traité de Rome ;

Attendu que, pour écarter cette exception, les juges retiennent, d'une part, qu'il résulte d'une lettre du secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargé de l'Environnement, que l'avis motivé adressé par la Commission au Gouvernement français a trait seulement à l'exportation des huiles usagées et qu'il est sans incidence sur le présent litige ;

Qu'ils énoncent, d'autre part, que la réglementation prévue par le décret du 21 novembre 1979 et relative à l'agrément des entreprises exploitant une activité de ramassage ou d'élimination des huiles usagées est la transcription exacte de la directive n° 74/439 du 16 juin 1975 du Conseil des Communautés européennes qui prévoit, notamment en son article 6 que toute entreprise qui élimine les huiles usagées doit obtenir une autorisation ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs la cour d'appel, qui n'a pas méconnu le principe de contradiction, a justifié sa décision dès lors qu'aucune disposition légale ne fait obligation au juge national de surseoir à statuer sur les poursuites engagées lorsque la Commission a émis un avis motivé dans les conditions prévues par l'article 169 du traité de Rome ;

Attendu par ailleurs que l'application à l'espèce de la réglementation européenne ne soulève aucune difficulté sérieuse et qu'il n'y a pas lieu, dès lors, d'en demander l'interprétation à la Cour de justice des Communautés européennes, en application de l'article 177 dudit Traité ;

Que, dès lors, le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 9, 10 et 24 de la loi du 15 juillet 1975, 4 du décret du 21 novembre 1979 modifié par le décret du 29 mars 1985, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la prévenue coupable d'avoir éliminé des déchets ou matériaux sans être titulaire de l'agrément requis par la loi lorsque l'exploitation de l'établissement concerne l'élimination de déchets et la récupération de matériaux, en l'espèce des huiles de vidange de moteurs et des huiles industrielles usagées ;

" aux motifs que Rolande X..., en sa qualité de président-directeur général de la SPUR, a regroupé et stocké, dans le dépôt de Saint-Fons de cette société, des huiles usagées provenant de plus d'un détenteur alors que sa société n'était pas titulaire, pour cette activité, de l'agrément exigé par l'article 4 du décret du 21 novembre 1979, qu'en vertu de l'article 2 de la loi du 15 juillet 1975, les opérations de collecte, transport, tri et stockage sont considérées comme faisant partie de l'élimination des déchets et que le fait constaté entrait dans les prévisions de l'article 24.5° de ladite loi ;

" alors, d'une part, qu'il est constant, depuis les arrêts des 9 février 1984 et 7 février 1985 de la Cour de justice des Communautés et la modification du décret du 21 novembre 1979, que l'éliminateur français d'huiles usagées bénéficiant d'une autorisation a le droit de stocker les huiles qu'il reçoit pour son propre compte ou destinées à un éliminateur d'un autre pays membre de la Communauté économique européenne vers lequel il peut les exporter librement ; que ce droit implique le droit corrélatif de stocker ces marchandises en tel dépôt qui lui conviendra ; qu'il résulte en l'espèce des énonciations de l'arrêt attaqué que la SPUR avait été agréée, par arrêté ministériel du 22 août 1984, pour l'élimination des huiles versées dans son usine de La Talaudière (Loire), qu'il est constant qu'elle possédait à Saint-Fons (Rhône) un établissement où étaient entreposées des huiles usagées ; que, dès lors, en stockant dans cet établissement des huiles qu'elle se proposait soit d'éliminer elle-même, soit d'exporter, la prévenue n'a commis aucune infraction pénale ;

" alors, d'autre part, qu'il résulte de l'article 3 du décret modifié du 21 novembre 1979 que les détenteurs d'huiles usagées peuvent assurer eux-mêmes le transport de leurs huiles en vue de les mettre à la disposition d'un éliminateur ayant obtenu l'agrément prévu à l'article 8 dudit décret ou une autorisation obtenue dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ; qu'aucune disposition n'interdit à ces éliminateurs de tenir à la disposition des détenteurs, dans leur zone, des centres de stockage ; qu'en l'espèce, il est établi que la SPUR avait été agréée pour éliminer les huiles usagées, que le procès-verbal relève que la SPUR se bornait à stocker dans son dépôt de Saint-Fons des huiles collectées par un groupement d'intérêt économique auprès de ses adhérents du département du Rhône, qu'aucune activité de ramassage n'a été caractérisée à la charge de la SPUR ; que, par conséquent, la prévenue n'a pas enfreint la réglementation sur l'élimination des déchets ;

" alors, de troisième part et enfin, qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que la SPUR avait été autorisée, par arrêté du préfet du Rhône en date du 8 décembre 1982, à rapporter à Saint-Fons pour son compte et celui du groupement d'intérêt économique Rhône-Alpes, un centre de transit de déchets industriels et d'huiles usagées ; que, par conséquent, c'est en contradiction avec ses propres constatations que la cour d'appel a affirmé que l'autorisation dont bénéficiait la SPUR ne lui permettait pas de regrouper des lots provenant de plus d'un détenteur " ;

Attendu que, pour déclarer Rolande X... coupable du délit poursuivi, les juges du second degré retiennent que la société SPUR ne pouvait stocker les huiles usagées collectées auprès d'autres détenteurs dès lors qu'elle n'avait pas obtenu l'agrément prévu par l'article 8 du décret du 21 novembre 1979 mais seulement l'autorisation d'exploiter une installation classée qui ne saurait en tenir lieu ;

Attendu que les mêmes juges relèvent à bon droit que la collecte, le transport, le tri et le stockage des déchets sont considérés comme faisant partie des opérations d'élimination par l'article 2 de la loi du 15 juillet 1975 et que les faits constatés entrent, dès lors, dans les prévisions de l'article 24.5° de ladite loi ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs exempts d'insuffisance la cour d'appel, loin d'avoir méconnu les textes visés au moyen, en a fait l'exacte application ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.