Cass. com., 14 décembre 2022, n° 21-16.048
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Barbot
Avocat général :
Mme Henry
Avocats :
SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, SCP Lévis
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 4 mars 2021), le 18 mars 2011, la société Star Lease (le crédit-bailleur) a conclu avec la société Loire Offset Titoulet (le crédit-preneur) un contrat de crédit-bail portant sur une machine d'impression.
2. Le 28 octobre 2011, ce contrat a fait l'objet d'une mesure de publicité, qui n'a pas été renouvelée avant l'expiration du délai de prescription de cinq ans prévu à l'article L. 313-11 du code monétaire et financier.
3. A la suite de la mise en redressement judiciaire du crédit-preneur, le 17 février 2016, son administrateur judiciaire, la société AJ Partenaires, a opté pour la poursuite du contrat de crédit-bail.
4. Par un jugement du 17 mai 2017, publié au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) le 1er juin 2017, le crédit-preneur a bénéficié d'un plan de redressement.
5. Un jugement du 9 janvier 2019 a prononcé la résolution de ce plan et ouvert la liquidation judiciaire du crédit-preneur, la société AJ Partenaires étant nommée en qualité d'administrateur judiciaire et la société MJ Synergie de liquidateur.
6. Le 12 février 2019, le crédit-bailleur a vainement mis en demeure l'administrateur judiciaire de se prononcer sur la poursuite du contrat de crédit-bail.
7. Par une lettre du 1er mars 2019, le crédit-bailleur a demandé à l'administrateur judiciaire d'acquiescer à son droit de propriété sur le bien objet du contrat de crédit-bail, nonobstant l'éventuelle poursuite de ce dernier. Par une lettre du 4 avril 2019, l'administrateur judiciaire a refusé, en indiquant qu'en l'absence de publicité de ce contrat, le droit de propriété était inopposable aux créanciers et ayants cause à titre onéreux du crédit-preneur, à défaut de justifier de ce que les intéressés avaient eu connaissance de l'existence de ces droits.
8. Par une lettre du 9 avril 2019, le crédit-bailleur a demandé au liquidateur d'acquiescer à son droit de propriété sur le bien objet du contrat de crédit-bail. Aucune réponse n'a été apportée à cette lettre.
9. Par une première requête du 9 avril 2019, le crédit-bailleur a demandé au juge-commissaire de constater la résiliation de plein droit du contrat de crédit-bail, de reconnaître sa propriété sur le bien objet de ce contrat et de l'autoriser à appréhender ce bien. Une ordonnance du 4 juillet 2019 ayant déclaré cette requête irrecevable, le crédit-bailleur a formé un recours et un premier jugement du 30 septembre 2020 (RG n° 2019F01010) a infirmé cette décision et accueilli les demandes du crédit-bailleur.
10. Par une seconde requête du 22 mai 2019, le crédit-bailleur a saisi le juge-commissaire des mêmes demandes. Une ordonnance du 9 septembre 2019 a déclaré cette requête irrecevable, au motif qu'elle portait sur les mêmes demandes et matériel que ceux de la requête du 9 avril 2019. Statuant sur le recours formé par le crédit-bailleur, un second jugement du 30 septembre 2020 (RG n° 2019F01293) a infirmé cette ordonnance et accueilli les demandes du crédit-bailleur.
11. Le liquidateur a relevé appel des deux jugements du 30 septembre 2020 et la cour d'appel a prononcé la jonction des deux instances d'appel.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé
12. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
13. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter l'intégralité de ses demandes, de déclarer recevable et bien fondée l'action du crédit-bailleur, de reconnaître la qualité de propriétaire de ce dernier sur la machine d'impression en cause, de lui ordonner de restituer cette machine au crédit-bailleur et d'autoriser ce dernier à l'appréhender en quelques lieux et quelques mains qu'elle se trouve, alors « qu'en cas d'ouverture d'une procédure collective, la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement d'ouverture ; que le propriétaire d'un bien n'est dispensé de faire reconnaître son droit de propriété et de revendiquer dans ce délai que lorsque le contrat portant sur ce bien a fait l'objet d'une publicité ; que les contrats de crédit-bail sont soumis à une publicité sur un registre spécial tenu par le greffe du tribunal compétent, laquelle se prescrit par cinq ans, sauf renouvellement ; qu'à défaut de publicité ou de son renouvellement, le droit de propriété du crédit-bailleur est inopposable aux tiers, sauf à justifier que ces derniers ont eu connaissance de l'existence de ce droit ; que la publication du jugement arrêtant le plan de redressement judiciaire du crédit-preneur n'est pas de nature à pallier l'absence de publicité du crédit-bail ou l'absence de renouvellement de cette publicité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le bien litigieux avait fait l'objet d'un crédit-bail publié le 28 octobre 2011, mais sans qu'il soit justifié d'un renouvellement à l'issue du délai de prescription de cinq ans, soit à partir d'octobre 2016 ; qu'elle a néanmoins jugé que la société Star Lease, crédit-bailleur, était fondée à solliciter la restitution du bien loué, sans être soumise au délai de trois mois à compter de la publication du jugement ouvrant la liquidation judiciaire de la société Loire Offset Titoulet, au motif que "le contrat de crédit-bail a été expressément inclus dans le plan de redressement arrêté par le tribunal de commerce dans son jugement du 17 mai 2017, en ce qu'il apparaît dans le dispositif à la rubrique "les dettes de crédit-bail" ; la publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) de ce jugement le 1er juin 2017 a rendu opposables aux créanciers de Loire Offset Titoulet les dispositions de celui-ci relatives aux modalités de remboursement des créances arrêtées au plan, au nombre desquelles Star Lease du chef de son crédit-bail [...]" ; qu'en se prononçant ainsi, tout en ayant constaté qu'à la date du jugement ouvrant la liquidation judiciaire, le 9 janvier 2019, la publication du contrat de crédit-bail n'avait pas été renouvelée et avait expiré au mois d'octobre 2016, et tandis que la publication du jugement ayant arrêté le plan de continuation de la société Loire Offset Titoulet n'était pas de nature à rendre le droit de propriété de la société Star Lease opposable dans le cadre de la liquidation judiciaire ouverte à l'encontre du crédit-preneur, la cour d'appel a violé les articles L. 624-9, L. 624-10 et L. 641-14 du code de commerce, ainsi que les articles L. 313-10, L. 313-11 et R. 313-3 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 624-10 et R. 624-15 du code de commerce, le premier étant applicable à la liquidation judiciaire en vertu de l'article L. 641-14 du même code, et les articles L. 313-10, L. 313-11, R. 313-3 et R. 313-10 du code monétaire et financier :
14. Il résulte de la combinaison des six premiers de ces textes que la demande de restitution d'un bien meuble formée par un crédit-bailleur, en application du premier, suppose que le contrat de crédit-bail en cause ait fait l'objet d'une publicité régulière avant le jugement ouvrant la procédure collective du crédit-preneur.
15. Selon le cinquième, en matière de crédit-bail mobilier, la publicité prévue à l'article L. 313-10 se prescrit par cinq ans, sauf renouvellement.
16. Il résulte du septième et dernier de ces textes que, si les formalités de publicité du contrat de crédit-bail n'ont pas été accomplies régulièrement, le crédit-bailleur ne peut opposer aux créanciers ou ayants cause à titre onéreux de son client ses droits sur les biens dont il a conservé la propriété, sauf s'il établit que les intéressés avaient eu connaissance de l'existence de ces droits. Lorsque le crédit-preneur est soumis à une procédure collective, l'opposabilité à cette procédure des droits du crédit-bailleur sur le bien objet du contrat de crédit-bail non régulièrement publié suppose que le crédit-bailleur établisse que chacun des créanciers du crédit-preneur ait eu connaissance de l'existence de ses droits.
17. Pour accueillir l'action en restitution formée par la société Star Lease, l'arrêt relève que le contrat de crédit-bail a fait l'objet d'une publicité régulière le 28 octobre 2011, soit avant le premier jugement d'ouverture du 17 février 2016, puis il retient que, même s'il n'est pas justifié du renouvellement de cette publicité à l'issue du délai de prescription de cinq ans, soit à partir d'octobre 2016, ce contrat a néanmoins été expressément inclus dans le plan de redressement arrêté au profit du crédit-preneur, par le jugement du 17 mai 2017, ce contrat apparaissant dans le dispositif à la rubrique « les dettes de crédit-bail », et que la publication de ce jugement au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC), le 1er juin 2017, a rendu opposables aux créanciers du crédit-preneur les dispositions de ce jugement relatives aux modalités de remboursement des créances arrêtées au plan, parmi lesquelles celle détenue par la société Star Lease au titre du crédit-bail fondant son droit de propriété sur la machine d'imprimerie en cause. L'arrêt en déduit que, cette publication légale étant intervenue avant le jugement du 9 janvier 2019 ouvrant liquidation judiciaire du crédit-preneur, le droit de propriété de la société Star Lease sur cette machine, objet du contrat de crédit-bail signé le 18 mars 2011 avec le crédit-preneur, alors in bonis, s'impose à la liquidation judiciaire de ce dernier.
18. En statuant ainsi, alors que la publication du jugement arrêtant le plan de redressement du crédit-preneur n'est pas de nature à rendre le droit de propriété du crédit-bailleur opposable à la liquidation judiciaire du crédit-preneur, ce dont il résultait que la publication du jugement d'arrêté du plan de redressement de la société Loire Offset Titoulet, le 1er juin 2017, était dépourvue d'incidence sur la publicité du contrat de crédit-bail qui, non renouvelée, avait expiré depuis le mois d'octobre 2016, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il prononce la jonction des instances d'appel et en ce que, confirmant les jugements entrepris, il dit recevable l'action de la société Star Lease et constate la résiliation de plein droit du contrat de crédit-bail au 12 mai 2019, l'arrêt rendu le 4 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.