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Décisions

Cass. crim., 10 janvier 2023, n° 21-85.524

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Défendeur :

Ministre de l'Economie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnal

Rapporteur :

M. Seys

Avocat général :

M. Lemoine

Avocats :

SCP Spinosi, SCP Marlange et de La Burgade

Paris, du 15 sept. 2021

15 septembre 2021

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La société [9] Group a notamment pour filiales les sociétés [8], [6], [5], [4] et [3] (sociétés [9]), dont les activités s'exercent dans le domaine des assurances affinitaires (extensions de garantie), de l'abonnement à des programmes d'avantages, de la création de sites internet, et des services événementiels.

3. Sur demande du ministre chargé de l'économie, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a, le 8 septembre 2020, ouvert une enquête portant sur l'existence de pratiques commerciales trompeuses réprimées par les articles L. 121-2 et suivants du code de la consommation dans les secteurs d'activité susvisés.

4. Saisi par requête du 9 septembre 2020, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris, par ordonnance du 11 septembre suivant, au visa des articles L. 512-51 et suivants du code de la consommation, a autorisé le service national d'enquêtes (SNE) de la DGCCRF à pratiquer, avant le 15 novembre 2020, des opérations de visite et de saisie dans les locaux des sociétés [9] et de toutes celles du même groupe situées aux mêmes adresses, d'une part, [Adresse 2], d'autre part, [Adresse 1] à [Localité 7] (26), adressant délégation, à cette fin, au juge compétent du tribunal judiciaire de Valence.

5. Trois autres ordonnances ont été prises, à la suite, une première, le 21 septembre 2020, par le magistrat commis, une deuxième, rectificative, le 24 septembre suivant, par ce même juge, une troisième, rectificative, le 29 octobre 2020, par le magistrat saisi initialement, aux fins de prorogation du délai susvisé et désignation d'officiers de police judiciaire pour l'exploitation des données et documents saisis.

6. Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées dans l'ensemble des locaux visés, les 24 et 25 septembre 2020.

7. Les sociétés [9] ont chacune relevé appel des quatre ordonnances ci-dessus.

Examen des moyens

Sur les premiers et cinquième moyens

Enoncé des moyens

8. Le premier moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a confirmé en toutes leurs dispositions les ordonnances rendues les 11 septembre et 29 octobre 2020 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris ainsi que celles rendues les 21 et 24 septembre 2020 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Valence, alors :

« 1°/ qu'en se bornant, pour rejeter les moyens tirés de la déloyauté des éléments produits par l'administration afin de justifier les visites et saisies ordonnées, à exercer un contrôle strictement formel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention et ainsi relever que « le JLD affirme que les pièces présentées à l'appui de la requête (…) ont une origine apparemment licite et qu'elles peuvent être utilisées pour la motivation de la présente ordonnance » et qu' « il en résulte que le juge a effectué le contrôle conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation » (ordonnance attaquée, p. 23, in fine) ou encore que « le JLD s'est donc assuré que les agissements reprochés sont distincts de ceux inclus dans le périmètre de la transaction » (ordonnance attaquée, p. 24, 1er §), sans rechercher lui-même si la demande d'autorisation des visites était fondée, notamment en s'interrogeant sur l'apparence de licéité des pièces présentées à l'appui de celle-ci comme il le lui était demandé (conclusions, pp. 22-38), le premier président a méconnu son office de juge d'appel et a violé les articles L. 512-52 et L. 512-63 du code de la consommation, 561 du code de procédure civile, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en se bornant, pour rejeter le grief d'absence de justification et de nécessité des visites et saisies ordonnées, à exercer un contrôle strictement formel de l'ordonnance du JLD et ainsi relever que « le JLD dans sa décision précise « les agissements ont certainement été préparés selon des modalités secrètes et les documents nécessaires à la preuve de ceux-ci sont vraisemblablement conservés dans des lieux et sous une forme qui facilitent leur dissimulation ou leur destruction en cas de contrôle » » (ordonnance attaquée, p. 26, 2e §) pour immédiatement juger « qu'il en résulte que l'ordonnance du JLD du 11 septembre 2020 autorisant les visites domiciliaires était pleinement justifiée eu égard aux objectifs recherchés » (ibid.), sans rechercher lui-même si la demande d'autorisation des visites était fondée comme il le lui était demandé (conclusions, pp. 75-81), le premier président a méconnu son office de juge d'appel et a violé les articles L. 512-52 et L. 512-63 du code de la consommation, 561 du code de procédure civile, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

9. Le cinquième moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a confirmé en toutes leurs dispositions les ordonnances rendues les 11 septembre et 29 octobre 2020 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris ainsi que celles rendues les 21 et 24 septembre 2020 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Valence, alors :

« 1°/ qu'en se bornant à constater, de manière inopérante, que les sociétés font partie d'un même groupe, pour dire que « les preuves et éléments fournis par l'administration sont suffisants pour justifier des opérations de visite et de saisie, et cela à l'encontre de l'ensemble des sociétés du groupe » (ordonnance attaquée, p. 26, in limine), sans caractériser de présomptions d'existence de l'infraction reprochée à l'encontre de chacune des sociétés du groupe, le premier président a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 512-52 du code de la consommation ;

2°/ qu'en retenant que « le Premier Président, statuant en appel, apprécie l'existence des présomptions de fraude, sans être tenu de s'expliquer autrement sur la proportionnalité de la mesure qu'il confirmait » (ordonnance attaquée, p. 26, 3ème §) pour rejeter la demande des exposantes en ce sens, le premier président a violé, par refus d'application, l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, ensemble l'article L. 512-52 du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

10. Les moyens sont réunis.

11. Pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée recense les éléments exposés dans la requête du SNE et détaille les secteurs d'activité visés par celle-ci.

12. Le premier président précise notamment qu'une précédente enquête, diligentée courant 2018, clôturée par une transaction signée le 5 juin 2019 avec les seules sociétés [8] et [5], filiales de la société [9] Group, a mis en évidence l'existence d'une méthode de vente trompeuse, ayant pour objectif d'amener les clients à acquérir, auprès de partenaires commerciaux, des produits dont l'acquisition était liée à des assurances affinitaires, commercialisées par les sociétés mises en cause.

13. Il relève que de nombreuses réclamations ont été formulées par des particuliers, dénonçant la poursuite de prélèvements bancaires sur leurs comptes malgré les demandes de résiliation faites auprès de l'une ou l'autre des sociétés susvisées.

14. Il observe qu'à l'occasion des investigations menées en 2018, a été découvert un protocole, en vigueur dans ces entreprises, définissant quatre niveaux de réclamations, seules celles de niveau quatre devant être traitées, les autres devant être ignorées ou différées selon divers procédés.

15. Après avoir exposé les liens capitalistiques et logistiques étroits entre les sociétés visées par la requête, il retient que, selon les éléments fournis par l'administration, tenant notamment à l'analyse de l'activité économique des entreprises concernées, d'une part, ce mode opératoire était susceptible d'être employé par les autres filiales de la société [9] Group, à savoir les sociétés [6], [4] et [3], d'autre part, de nouvelles réclamations, en nombre, dont il reprend certaines, à titre d'illustration, étaient parvenues à l'administration, postérieurement à la transaction susvisée.

16. Reprenant les motifs de l'ordonnance contestée, il ajoute que le premier juge, après analyse in concreto de la requête, a considéré que les éléments de preuve fournis étaient apparemment licites. Il relève que les pièces issues des précédents contrôles de 2018 et visées dans l'ordonnance contestée pouvaient être utilisées pour les nécessités de la seconde enquête.

17. Il observe enfin que l'administration n'est pas tenue de s'expliquer sur son choix de recourir à la procédure prévue aux articles L. 512-51 et suivants du code de la consommation, qui n'a pas de caractère subsidiaire.

18. Il se déduit de ce qui précède que le premier président, procédant à un examen des motifs retenus par le premier juge, a recensé les éléments produits par l'administration, relevé leur apparente licéité, décrit les secteurs d'activité concernés, constaté l'existence d'un faisceau d'indices de la mise en oeuvre de pratiques illicites, dont il a donné une description, par chacune des sociétés mises en cause.

19. En l'état de ces seuls motifs, exempts d'insuffisance comme de contradiction, le premier président, qui a répondu aux moyens péremptoires des conclusions dont il était saisi, a, sans méconnaître les principes conventionnels et légaux invoqués, souverainement apprécié, à partir de l'ensemble des éléments qui lui étaient soumis, d'une part, l'existence de présomptions d'agissement illicites à l'encontre de chacune des sociétés mises en cause, justifiant la mesure autorisée, d'autre part, la nécessité de celle-ci, en considération des impératifs de lutte contre de telles pratiques.

20. Les moyens seront donc écartés.

Sur le deuxième moyen

Énoncé du moyen

21. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a confirmé en toutes leurs dispositions les ordonnances rendues les 11 septembre et 29 octobre 2020 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris ainsi que celles rendues les 21 et 24 septembre 2020 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Valence, alors « qu'en retenant, pour considérer que les pièces n° 8 et 15 à 19 visées par le juge des libertés et de la détention n'étaient entachées d'aucune nullité, que les enquêtes de 2018 et 2020 étaient distinctes (ordonnance attaquée, p. 25, 2ème §), sans répondre au moyen tiré de ce que le périmètre de la transaction incluait les faits relatifs au traitement des demandes de résiliation, au regard notamment du procès-verbal d'infraction univoque du 5 mars 2019 (conclusions, p. 28, 29 et 30), de sorte que l'ordonnance ne pouvait autoriser des mesures d'enquête en vue d'établir l'existence d'infractions à l'encontre desquelles aucune poursuite n'était plus possible, sauf à violer l'effet extinctif de l'action publique attaché à la transaction, le premier président a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles L. 523-4 et L. 523-1 du code de la consommation et L. 310-6-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

22. Pour écarter le grief pris de ce que l'objet des investigations autorisées recouvrait en partie celui des précédentes, menées en 2018 et ayant abouti à une transaction, l'ordonnance attaquée, après avoir énoncé que les réclamations visées par la requête du SNE étaient postérieures à ladite transaction, précise que ces deux enquêtes ne portaient pas sur les mêmes pratiques commerciales.

23. Le premier président relève en effet que la première enquête portait sur le délit de pratiques commerciales trompeuses constituées par le discours déloyal mis en place pour faire souscrire par les consommateurs un contrat d'assurances proposé par la société [8] ou d'abonnement à un programme de fidélité proposé par la société [5], alors que la seconde enquête concerne des soupçons de pratiques commerciales trompeuses sur le traitement des demandes de résiliation des consommateurs de tout ou partie d'un contrat portant sur diverses prestations de services offertes par le groupe [8].

24. En se déterminant ainsi, le premier président, qui a répondu aux moyens péremptoires des conclusions dont il était saisi, a suffisamment justifié sa décision.

25. Le moyen, qui de plus manque en fait en ce qui concerne les sociétés [6], [4] et [3], doit être écarté.

Sur le troisième moyen

Énoncé du moyen

26. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a confirmé en toutes leurs dispositions les ordonnances rendues les 11 septembre et 29 octobre 2020 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris ainsi que celles rendues les 21 et 24 septembre 2020 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Valence, alors « qu'en jugeant qu'aucune violation des principes directeurs du procès équitable ne pouvait être soulevée (ordonnance attaquée, p. 24), sans répondre au moyen péremptoire tiré de ce que l'administration aurait dissimulé les réclamations des consommateurs produites au soutien de sa demande d'autorisation des mesures de visite et de saisie, en méconnaissance du schéma de traitement qu'elle avait pourtant mis en place avec les sociétés exposantes et dans le but de diligenter de nouvelles poursuites à l'encontre des sociétés exposantes une fois la transaction exécutée par ces dernières (conclusions, pp. 22-25), le premier président n'a pas justifié sa décision et a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

27. Pour écarter le grief pris de la déloyauté de la DGCCRF dans l'administration de la preuve, l'ordonnance attaquée énonce que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, le juge saisi a procédé à un contrôle de la licéité apparente des pièces et éléments produits par le SNE, afin de déterminer s'ils pouvaient être utilisés comme fondement de l'autorisation sollicitée.

28. Le premier président relève que les pièces concernées ont été annexées à la requête, qui en décrit la teneur, qu'elles sont mentionnées dans l'ordonnance contestée et que le premier juge, exposant leur contenu, a procédé à leur analyse.

29. Il ajoute que ce magistrat s'est par ailleurs assuré que les agissements reprochés sont distincts de ceux inclus dans le périmètre de la transaction.

30. En se déterminant ainsi, le premier président, qui a répondu aux moyens péremptoires des conclusions dont il était saisi, a suffisamment justifié sa décision.

31. Ainsi, le moyen ne peut être accueilli.

Sur le quatrième moyen

Énoncé du moyen

32. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a confirmé en toutes leurs dispositions les ordonnances rendues les 11 septembre et 29 octobre 2020 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris ainsi que celles rendues les 21 et 24 septembre 2020 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Valence, alors « que se trouve mise en cause au sens de l'article L. 512-64 du code de la consommation la personne visée par une demande d'autorisation de procéder dans ses locaux à des opérations de visite et de saisie sur le fondement de pièces saisies au cours d'une précédente visite domiciliaire effectuée chez un tiers ; qu'il en résulte que le procès-verbal et l'inventaire dressés à l'issue des opérations antérieures doivent être annexés tant à la requête qu'à l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention qui doit être notifiée au moment de la visite, assurant ainsi l'exercice du droit à un recours effectif de la personne mise en cause ; qu'en jugeant néanmoins régulières les ordonnances fondées sur des pièces saisies lors d'une précédente visite réalisée dans les locaux des sociétés [5], [8], [8] Group et [9] Group lorsque le droit au recours effectif des sociétés [6], [4] et [3] n'avait pas été effectivement garanti en l'absence de notification, au début des opérations de visite et de saisies du 24 septembre 2020, des ordonnances d'autorisation ainsi que des procès-verbaux et des inventaires relatifs aux opérations diligentées en octobre 2018, le premier président a violé les articles L. 512-64 du code de la consommation, 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et 591 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

33. Pour écarter le grief pris de l'atteinte au droit à un recours effectif des sociétés mises en cause, l'ordonnance attaquée énonce que les diverses ordonnances des juges des libertés et de la détention ont été régulièrement notifiées aux occupants des lieux respectivement visés par ces décisions.

34. Le premier président ajoute qu'aucun texte n'impose à l'administration de notifier par ailleurs les pièces annexées à sa requête, auxquelles se réfère le premier juge saisi dans sa décision.

35. Il retient ensuite que les sociétés [6], [4] et [3] n'étaient pas concernées par la procédure de 2018.

36. C'est à tort que le premier président a jugé que les sociétés susvisées n'étaient pas concernées, dès lors que, visées par une demande d'autorisation de procéder dans leurs locaux à des opérations de visite et de saisie, présentée en 2020, fondée notamment sur des pièces saisies au cours d'une précédente visite domiciliaire effectuée en 2018 chez un tiers, elles se trouvaient mises en cause au sens des articles L. 512-52 et suivants du code de la consommation.

37. L'ordonnance attaquée n'encourt néanmoins pas la censure, pour les motifs qui suivent.

38. Le procès-verbal et l'inventaire dressés à l'issue d'opérations antérieures doivent être annexés tant à la requête qu'à l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention, qui doit être notifiée au moment de la visite, assurant ainsi l'exercice du droit à un recours effectif de la personne mise en cause.

39. Tel est le cas en l'espèce, car il se déduit des motifs de l'ordonnance attaquée, comme la Cour de cassation est en mesure de s'en assurer, que les pièces concernées (précédente ordonnance, procès-verbal et « protocole » saisi), annexées à la requête et décrites dans celle-ci, étaient visées dans l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui en a, de plus, exposé la teneur dans sa décision.

40. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

41. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois