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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 18 janvier 2023, n° 21/01162

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Novae Services (Sasu)

Défendeur :

France Télévisions Publicité (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Brun-Lallemand, Mme Depelley

Avocats :

Me Hardouin, Me Dubois, Me Ingold, Me Illouz, Me Le Tallec

T. com. Paris, du 26 oct. 2020, n° 20180…

26 octobre 2020

La société France Télévision Publicité (FTP), filiale du groupe France Télévisions, exerce l'activité de régie publicitaire de médias pour de nombreuses chaînes de télévision, dont France 2, France 3, France 4, France 5, TV5 Monde. Elle commercialise également les espaces publicitaires de plusieurs sites web et applications mobiles. Afin d'assurer ces missions, elle exploite un parc informatique dont elle sous-traite l'ensemble des services d'assistance technique.

La société Linguistique Communication Informatique (LCI), aux droits de laquelle vient aujourd'hui Novae Services, a pour activité selon son extrait Kbis : « toute prestation de conseil en organisation et de formation, la conception, la fabrication, l'adaptation, la fusion et la commercialisation de logiciels informatiques, l'assistance technique, la revente de solutions ».

Les parties ont entretenu des relations commerciales, c'est ainsi que la société FTP a confié à la société LCI :

- une prestation Hotline, par contrats et avenants successifs, le premier prenant effet à compter du 20 février 2006

- une prestation d'intégrateur d'exploitation applicatif pour 3 ans, du 2 janvier 2015 à début janvier 2018,

- une prestation de service, dite de "Chargé de diffusion", selon bons de commande émis entre le 7 décembre 2016 et le 31 décembre 2017.

Au début du mois d'octobre 2017, la société FTP a lancé une consultation concernant quatre prestations : Assistance technicien support informatique (incluant la prestation Hotline), Chargé de diffusion, Ingénieur systèmes et réseau, Accompagnement exploitation. La société LCI a proposé des offres pour les prestations Assistance technicien support informatique et Chargé de diffusion.

La société FTP n'a retenu son offre que pour la prestation de Chargé de diffusion et a porté son choix sur une autre société, la société Nelite, pour le lot relatif à la prestation Assistance technicien support informatique (Hotline).

Par deux lettres recommandées du 14 février 2018, avec avis de réception, la société FTP a résilié chacun des contrats portant sur les prestations Hotline et Chargé de diffusion.

Le 24 avril 2018, la société LCI a fait assigner la société FTP devant le tribunal de commerce de Paris pour voir juger fautive la résiliation des relations contractuelles concernant les prestations Hotline et Chargé de diffusion ainsi que pour obtenir des dommages-intérêts.

Le tribunal, par jugement du 26 octobre 2020 assorti de l'exécution provisoire, a :

- déclaré l'action recevable,

- condamné la société FTP à payer à la société Novae Services, anciennement dénommée LCI :

la somme de 17 774,57 € de dommages-intérêts pour rupture fautive du contrat de prestation de hotline,

la somme de 116 197,48 € de dommages-intérêts pour rupture fautive du contrat de prestation de chargé de diffusion,

- débouté la société Novae Services, anciennement dénommée LCI, de ses demandes :

de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

de paiement de la somme de 67 774,80 € au titre du solde des factures,

- débouté la société FTP de ses demandes reconventionnelles,

- condamné la société FTP à payer à la société Novae Services la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,

- condamné la société FTP aux dépens.

La société Novae Services, venant aux droits de la société LCI, a relevé appel par déclaration au greffe du 14 janvier 2021.

Aux termes des dernières conclusions notifiées et déposées le 17 octobre 2022, la société Novae Services demande à la cour, au visa de l'article L 442-6-1 5° (nouvel article L 441-2 II) du code de commerce ainsi que des articles 1103, 1217 et 1231-2 du code civil, de la déclarer recevable en son appel et de :

1) confirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit son action recevable,

- condamné la société FTP à lui payer la somme de 17 774,57 € de dommages-intérêts pour rupture fautive du contrat de prestation hotline et la somme de 116 197,48 € de dommages-intérêts pour rupture fautive de la prestation chargée de diffusion,

- débouté la société FTP de ses demandes reconventionnelles,

- condamné la société FTP aux dépens et au paiement de la somme de 15 000 €

au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

2) infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau :

- condamner la société LCP à lui payer, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation contractuelle fautive, les sommes suivantes :

380 000 € au titre du préjudice subi pour perte de chance de se voir attribuer pour l'avenir de nouvelles prestations par la société FTP,

75 000 € au titre du préjudice subi du fait des coûts sociaux qu'elle a assumés,

100 000 € au titre du préjudice subi du fait du non respect par la société FTP de la clause de non sollicitation concernant la prestation chargée de diffusion,

100 000 € au titre du préjudice moral subi,

- condamner la société FTP à lui payer la somme de 67 774,80 € au titre du solde de factures impayées,

- déclarer que les relations commerciales entretenues entre elle et la société FTP ont un caractère établi au sens des dispositions de l'article L 442-6-1 5° du code de commerce (L 442-1 II nouveau), qu'elles sont établies depuis 12 ans et 7 mois s'agissant de la prestation hotline et depuis 3 ans et 1 mois s'agissant de la prestation chargée de diffusion et qu'elles ont été rompues brutalement au sens de l'article pré-cité,

- déclarer que la durée raisonnable du préavis qui aurait dû lui être accordé est de 24 mois s'agissant de la prestation hotline et de 8 mois s'agissant de la prestation chargée de diffusion,

- déclarer que la moyenne annuelle de marge brute est de 142 201,46 € s'agissant de la prestation hotline et de 28.168,31 € s'agissant de la prestation chargée de diffusion,

- en conséquence, condamner la société FTP à lui payer la somme globale de 97 763,50 €, à titre de dommages-intérets, en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, au sens des dispositions de l'article pré-cité,

3) en tout état de cause :

- débouter la société FTP de l'ensemble de ses demandes,

- déclarer que la décision à intervenir emporte intérêts au taux légal à compter de son prononcé,

- condamner la société FTP à lui payer la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens dont distraction pour ceux qui la concernent au profit de Me Patricia Hardouin-selarl 2H avocats, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées et déposées le 10 octobre 2022, la société France Télévision Publicité demande à la cour, au visa de l'article L 442-6-1 5° du code de commerce, devenu l'article L 442-1 du code de commerce, des articles 1102, 1103, 1104 et suivants, 1113,1118, 1219,

1231-2 et 1240 du code civil ainsi que de l'article 700 du code de procédure civile :

1) d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a :

- condamnée à payer à la société LCI la somme de 17 774,57 € de dommages-intérêts au titre de la rupture fautive du contrat de prestation de hotline et la somme de 116 197,48 € de dommages-intérêts au titre de la rupture fautive de la prestation chargé de diffusion,

- déboutée de sa demande reconventionnelle,

- condamnée aux dépens et au versement de la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

2) de confirmer le jugement en ce qu'il a :

- débouté la société LCI de sa demande de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

- débouté la société LCI de sa demande en paiement de la somme de 67 774,80 € au titre du solde des factures,

- débouté la société LCI du surplus de ses demandes,

3) statuant à nouveau, de :

- juger qu'elle a régulièrement organisé la consultation du 2 octobre 2017,

- juger que la relation commerciale établie concernant la prestation hotline a duré 12 ans et celle concernant la prestation chargée de diffusion 1 an et 4 mois,

- juger qu'elle n'a pas rompu de façon brutale et fautive les relations commerciales relatives à la prestation hotline et à la prestation chargée de diffusion,

- juger qu'elle n'a pas violé ses obligations contractuelles,

- juger que la société LCI ne justifie pas de ses demandes d'indemnisation et de leurs montants,

- juger que la société LCI a commis des fautes dans le cadre de l'exécution du contrat conclu avec elle,

- en conséquence, débouter la société LCI de l'ensemble de ses demandes et la condamner à lui payer la somme de 50.000 € de dommages-intérêts,

- à titre subsidiaire, ramener les demandes de la société LCI à de plus justes proportions,

4) en tout état de cause, condamner la société LCI aux entiers dépens et à lui payer la somme de 30 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Il convient de constater, à titre liminaire, que la recevabilité de l'action de la société Novae Services n'est pas contestée en cause d'appel. Dans un souci de clarté, la société Novae Services sera désignée sous son ancienne dénomination, à savoir LCI.

Sur les demandes de la société LCI pour résiliation fautive des contrats :

S'agissant de la prestation Hotline, celle-ci consistait en la prise en charge de l'accueil téléphonique des collaborateurs de la société FTP pour répondre à leurs besoins afin de résoudre des demandes d'informations ou d'interventions ou pour des demandes d'assistance informatique en cas de difficultés avec le parc informatique. Cette prestation, qui avait fait l'objet de mise en concurrence par la société FTP dans le cadre de consultations restreintes en 2012 et 2015, a donné lieu à la conclusion de trois contrats liant les parties. Le dernier de ces contrats prenant effet au 1er avril 2015 avait été modifié par un avenant prenant effet le 3 octobre 2016, d'une durée de 12 mois, renouvelable par tacite reconduction pour 12 mois sauf dénonciation 90 jours avant l'échéance; le coût de la prestation était fixé à 14.160 € HT par mois.

S'agissant de la prestation Chargée de diffusion, celle-ci consistait, en amont de la diffusion, à vérifier la conformité des annonceurs et campagnes qui devaient être présents dans un écran donné puis à vérifier que le plan de roulement communiqué par l'annonceur était bien respecté. Cette prestation a donné lieu à l'émission successive de bons de commande à compter du 7 décembre 2016, le dernier bon datant du 3 août 2017 pour la période courant du 28 août 2017 au 31 décembre 2017.

Suite à la consultation restreinte qu'elle avait lancée le 2 octobre 2017, la société FTP n'a retenu l'offre de la société LCI que pour la prestation Chargée de mission.

Dans sa lettre de résiliation du 14 février 2018 afférente à la prestation Hotline, la société FTP, après avoir rappelé à la société LCI que sa proposition n'avait pas été retenue, l'a informée :

- qu'elle ne pouvait accéder à sa demande de modification du bon de commande réévaluée unilatéralement à la somme de 20.000 € HT par mois, alors qu'elle était précédemment de 14 160 € HT,

- que leurs relations étaient donc rompues et que, compte tenu de leur ancienneté, il lui apparaissait qu'un préavis de 9 mois à compter du mois d'octobre 2017 était raisonnable,

- que par conséquent, les relations contractuelles cesseraient de produire effet le 30 juin 2018, le préavis devant être exécuté conformément au dernier état contractuel, c'est à dire selon l'économie du bon de commande qui avait régi leurs rapports jusqu'au 3 octobre 2017.

Dans sa seconde lettre du 14 février 2018, la société FTP a rappelé à la société LCI que par courriel du 19 décembre 2017, elle l'avait informée qu'elle proposait de renouveler la prestation de Chargé de diffusion si elle lui faisait parvenir un devis, mais que son courriel était resté sans réponse; elle lui a notifié :

- que conformément au dernier bon de commande, sa prestation s'arrêtait au 31 décembre 2017,

- que leur collaboration prenait fin sous le respect d'un préavis raisonnable,

- que compte tenu de l'ancienneté de leurs relations, il lui apparaissait qu'un préavis de 2 mois à compter du mois de février était approprié,

- que par conséquent, leurs relations contractuelles concernant la prestation Chargée de distribution cesseraient de produire effet au 31 mars 2018.

Sur les fautes alléguées

La société LCI soutient que la société FTP a résilié les contrats de façon anticipée et n'a formulé aucun reproche à son encontre lors de ces résiliations. Elle conteste avoir commis la moindre faute et soutient, en toute hypothèse, qu'il n'existe pas de manquements graves justifiant la résiliation des relations contractuelles à ses torts.

La société FTP réplique qu'elle a toujours respecté les termes des contrats la liant à la société LCI.

Elle fait valoir :

- qu'elle n'a pas violé les articles 1103 et suivants du code civil en recourant à la procédure d'appel d'offres et à la rupture subséquente des relations contractuelles,

- que le recours régulier à cette procédure a pour effet de conférer à la relation commerciale, quelle que soit sa durée, une précarité exclusive de toute rupture brutale,

- que le contrat Hotline arrivait à échéance le 2 octobre 2017, date à laquelle elle a notifié à la société LCI son recours à une consultation,

- que la société LCI savait pertinemment que le recours à une consultation, qui intervenait à l'expiration d'un contrat en cours, impliquait la remise en cause de celui-ci et l'acceptation que tout candidat était susceptible de ne pas remporter le nouveau contrat,

- qu'elle a préféré l'offre de la société Nelite qui proposait les mêmes prestations Hotline mais pour un coût mensuel inférieur, soit 16 800 € HT contre 20 000 € HT proposé par la société LCI,

- qu'elle a retenu l'offre de la société LCI pour la prestation Chargée de diffusion, ce qui démontre son objectivité et son impartialité dans le choix de ses partenaires,

- que contrairement à ce que prétend la société LCI, elle n'a orchestré aucune politique de déstabilisation.

La société FTP reproche à la société LCI d'avoir commis de nombreuses fautes dans l'exécution des tâches qui lui étaient confiées et de ne pas avoir exécuté loyalement le contrat. Elle expose en ce sens que la société LCI a, notamment :

- manqué à ses obligations de remplacement en cas d'absence de son personnel,

- manqué à ses obligations de formation de ses collaborateurs,

- manqué à son obligation de mise en place d'un contrat d'apprentissage,

-laissé ses collaborateurs s'octroyer des droits d'accès non autotorisé dans le système informatique d'un responsable de projet FTP,

- laissé ses collaborateurs négliger du matériel informatique de valeur placé sous leur garde,

- modifié unilatéralement les modalités financières prévues contractuellement.

La société FTP reprend les mêmes griefs en page 48 de ses écritures, sous l'intitulé « Sur le comportement hautement déloyal et le harcèlement de LCI suite à l'annonce des résultats de la consultation », en ajoutant que la société LCI lui a envoyé sans cesse des courriels mettant en cause soit des faits passés, soit des allégations de violations contractuelles injustifiées et qu'elle a saboté la prestation depuis janvier 2018.

Réponse de la Cour

La Cour retient, s'agissant de la prestation Hotline que le dernier contrat liant les parties qui avait été conclu pour une durée de 12 mois à compter du 3 octobre 2016 et qui était renouvelable par tacite reconduction, s'est trouvé renouvelé pour une période identique, faute de volonté contraire qui aurait dû être signifiée par la société FTP par lettre recommandée au plus tard 90 jours avant l'échéance de la période en cours, soit avant le 3 juillet 2017. Le tribunal a justement retenu que ce contrat avait été renouvelé le 3 octobre 2017 pour une nouvelle période de 12 mois, soit jusqu'au 3 octobre 2018. La société FTP écrivait d'ailleurs, dans un courriel du 29 décembre 2017 adressé à la société LCI que son service juridique n'était pas disponible pour un rendez-vous et « en attendant, conformément aux dispositions contractuelles et sans résiliation formelle de notre part, le contrat de support se poursuit... ».

C'est en vain que la société FTP invoque des fautes qui auraient justifié la résiliation du contrat le 14 février 2018. En effet, elle ne rapporte pas la preuve que les collaborateurs de la société LCI auraient négligé le matériel informatique placé sous leur garde, ni que cette société aurait laissé ses collaborateurs s'octroyer des droits d'accès non autorisé dans le système informatique d'un responsable de projet. Les autres manquements qu'elle invoque ne constituent pas des fautes suffisamment graves pour justifier une résiliation étant observée de surcroît que la résiliation n'a été précédée d'aucune mise en demeure de remédier à des manquements contractuels. En outre, si la société LCI a voulu facturer ses prestations pour un montant supérieur, elle explique que le périmètre et le niveau des prestations demandées par FTP avaient été élargis dans le cadre de l'appel d'offres, ce pourquoi elle a proposé un montant qui correspondait au tarif habituellement pratiqué, mais qui a été refusé par la société FTP alors que cette dernière lui demandait un accroissement de ses prestations. En cet état, le désaccord sur la modification du prix des prestations ne peut être constitutif d'une faute imputable à la société LCI. Contrairement à ce que prétend la société FTP la société LCI, en voulant modifier les modalités financières de leurs relations, n'a aucunement reconnu que le contrat antérieur à la consultation n'était plus en vigueur.

S'agissant de la prestation Chargée de mission, la société FTP, qui avait accepté l'offre de la société LCI, s'est bornée à demander un devis, puis n'y a donné aucune suite, alors qu'il était prévu dans cette offre acceptée des prestations pour la période du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2020 avec les prix y afférents. La société FTP est mal fondée à justifier la résiliation du contrat le 14 février 2018 par une perte de confiance à raison des difficultés tenant à la prestation Hotline ou pour des fautes qui ne revêtent pas un caractère de gravité suffisant.

En conséquence, la société FTP doit réparer les préjudices résultant de sa résiliation fautive des deux contrats.

Sur les préjudices allégués

Sur les demandes de la société LCI au titre des gains manqués

La société FTP conteste les demandes de ce chef aux motifs, pour la prestation Hotline, que la société FTP calcule son préjudice sur la base de sa proposition qui a été écartée à l'issue de la consultation de 2017 et, pour la prestation Chargée de mission que le comportement de la société LCI à la suite des résultats de la consultation lui ont interdit toute poursuite des relations.

Mais la société LCI a exactement calculé son préjudice pour le contrat de Hotline sur la base d'un chiffre d'affaires annuel moyen réalisé entre 2015 et 2017, avec une marge moyenne de 36,17 %, éléments non contestés par la société Hotline; son préjudice sur la période restant à courir à compter du 1er juillet 2018 jusqu'au 3 octobre 2018 sera fixé à la somme demandée, soit 17 774,57 €.

Par ailleurs, la société LCI a exactement calculé son préjudice pour le contrat Chargé de mission sur la moyenne annuelle de la marge qu'elle aurait dû réaliser, soit 42 252,47 €, pendant 33 mois du 1er avril 2018 jusqu'au 3 décembre 2020; son préjudice s'élève ainsi à 116 194,30 €.

Sur la demande en paiement de la somme de 380 000 € pour perte de chance de se voir attribuer pour l'avenir de nouvelles prestations par la société FTP.

La société LCI ne peut raisonnablement prétendre subir une telle perte de chance alors qu'elle était soumise à une procédure de consultation et que la conclusion de contrats avec la société FTP était subordonnée à une mise en concurrence suivie d'une acceptation de ses offres. Sa demande de ce chef doit donc être rejetée.

Sur la demande en paiement de la somme de 75 000 € au titre des coûts sociaux.

La société LCI expose que l'ensemble du groupe LCI comptait 111 collaborateurs au 31 décembre 2018, mais que c'était LCI Communication Ile de France, sa filiale à 100 %, qui était affectée au service de la société FTP avec un effectif ne dépassant pas 10 personnes toutes en CDI, que suite à la rupture des relations contractuelles elle a dû rompre 9 contrats de travail et maintenir un salarié sans activité pour un coût de 331 156,95 €,

Elle ajoute qu'au cours du premier semestre 2016, en raison du harcèlement par M. [I], responsable au sein de la société FTP, puis de la dégradation des conditions de travail au second semestre 2017, les absences et démissions de certains de ses salariés lui ont occasionné des frais de remplacement et de recrutement à hauteur de 10 924,99 e et 16 000 € et qu'elle a subi une perte de chiffre d'affaires évaluée à 17 000 € ou 20 000 €,

Enfin, elle fait valoir que la perte de marge qui lui a été accordée n'inclut pas les coûts sociaux engendrés, d'une part par la rupture fautive commise par la société FTP, d'autre part par le comportement fautif de cette société lors de la rupture.

Réponse de la Cour

La société FTP oppose à juste raison que la société LCI ne verse pas aux débats de pièces pour étayer ce qu'elle avance. La cour constate que la société LCI ne se réfère qu'à une de ses propres lettres dans laquelle elle se plaint auprès de la société FTP du comportement de M. [I] qui pouvait aboutir à des démissions ou arrêts de maladie de ses salariés subissant son harcèlement.

La société LCI, qui pouvait redéployer ses effectifs et trouver d'autres partenaires, ne démontre pas avoir subi de préjudice en relation directe de cause à effet avec les fautes imputées à la société FTP.

Sur la demande en paiement de la somme de 100 000 € pour non respect de la clause de non sollicitation.

La société LCI fait valoir que son offre relative à la prestation Chargée de diffusion, qui a été acceptée par la société FTP, prévoyait que cette dernière renonçait à engager ou faire travailler directement ou par personne interposée tout collaborateur salarié de LCI affecté à l'exécution des prestations réalisées pour son compte, pendant la durée du contrat et pendant une année après sa cessation. Elle reproche à la société FTP d'avoir, au mépris de cette clause, embauché deux de ses salariés après leur démission M. [Z] [L] et Mme [P], précisant que chacun de ces deux anciens salariés réalisait une marge brute moyenne de 4 000 € par mois, qu'elle en a été privée pendant 12 mois du fait qu'elle aurait pu affecter ces salariés à d'autres clients, que pour chacun elle a perdu une marge de 48 000 € outre les frais qu'elle avait engagés pour les recruter et former, évalués à 2 000 € pour chacun.

La société FTP ne formule aucune observation sur cette demande.

Réponse de la Cour

Il n'est pas contesté que non obstant la clause de non sollicitation, la société FTP a embauché deux personnes.

M. [Z] [L], qui avait été engagé par la société LCI le 25 septembre 2017 pour la prestation Chargé de diffusion, a démissionné le 19 mars 2018 avec effet au 30 mars 2018 pour travailler au sein de la société FTP où il était toujours présent le 14 mars 2019.

Mme [P], qui avait été engagée le 7 décembre 2016 par la société LCI pour la prestation Chargée de diffusion, a été embauchée par la société FTP à compter de son départ de LCI en juin 2018.

Le non respect de la clause de non sollicitation a causé à la société LCI, privée de la marge que réalisait ses deux salariés, un préjudice qu'il convient de fixer à la somme de 100 000 €.

Sur la demande en paiement de la somme de 100 000 € pour préjudice moral

Au soutien de cette demande, la société LCI soutient que :

la société FTP n'a eu aucun scrupule pour lancer un nouvel appel d'offres relatif à la prestation Hotline la veille de la date anniversaire de leur contrat,

en violation des modalités prévues dans le processus d'appel d'offres, elle lui a interdit de soutenir oralement sa proposition commerciale, 

elle a sous évalué grossièrement ses compétences pour rejeter sa candidature et faussé les résultats de l'appel d'offres,

la preuve du simulacre d'appel d'offres réside dans le fait que la société FTP a annoncé les résultats avant que la procédure ne soit terminée,

le simulacre est confirmé par le fait que l'attributaire de l'appel d'offres pour la prestation Hotline est la société Nelite qui était présente dans les locaux de la société FTP depuis le mois de septembre 2017,

la société Nelite et elle-même intervenaient dans les locaux de la société FTP sur les mêmes logiciels et les mêmes tâches à compter de septembre 2017 et que la société Nelite lui demandait communication de ses informations et de son savoir-faire en vue de formuler une proposition commerciale conforme aux attentes de la société FTP et pour la remplacer,

la hausse tarifaire qu'elle proposait s'expliquait par le fait que l'appel d'offres avait élargi le périmètre de la prestation hotline et prévoyait une hausse du niveau de prestation par rapport au dernier état contractuel,

la société FTP l'a menacée de rompre la prestation Chargée de diffusion qu'elle s'était vue attribuer si elle décidait d'engager une procédure contentieuse au sujet de la prestation Hotline,

l'ensemble de ces faits lui ont causé un préjudice moral ainsi qu'à l'ensemble de ses salariés qui ont subi une véritable souffrance psychologique et qu'elle a subi également un préjudice d'image dans le petit monde spécialisé de la régie publicitaire télévisuelle à l'issue d'un appel d'offres dont les résultats sont publiés et accessibles à tous.

Réponse de la Cour

Même si la société FTP a renoncé à auditionner les candidats à l'appel d'offres et si des fuites ont permis de comprendre qu'elle choisirait finalement la société Nelite, il n'est pas démontré qu'elle se serait livrée à un simulacre d'appel d'offres.

En effet, la société FTP qui n'était liée par aucune clause d'exclusivité, pouvait s'adresser dans le même temps à la société Nelite. Dans le cadre de la consultation, la société FTP était libre de choisir le candidat moins disant.

La société FTP n'a pas dénigré la société LCI auprès des tiers ni communiqué avec ceux-ci sur la rupture des relations dans des conditions susceptibles de porter préjudice à la société LCI.

En conséquence, la société LCI doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.

Sur la demande en paiement de la somme de 67 774,80 € pour factures impayées :

La société LCI soutient que la société FTP reste lui devoir un solde impayé de 67 774,80 € sur les factures suivantes :

- facture du 10 novembre 2017, d'un montant de 16 992 € TTC ( prestation Hotline)

- factures des 21 décembre 2017, d'un montant de 16 812 € TT ( prestation Hotline) et de 7 068 € TTC ( prestation Chargée de diffusion)

- facture du 31 janvier 2018, d'un montant de 40 000 € TTC (prestations Hotline et Chargé de diffusion)

- facture du 27 février 2018, d'un montant de 39 276 € TTC (prestations

Hotline et Chargé de diffusion)

- facture du 29 mars 2018, d'un montant de 39 588 € TTC (prestations Hotline et Chargé de diffusion)

- facture du 26 avril 2018, d'un montant de 24 000 € TTC (prestation Hotline)

- facture du 29 mai 2018, d'un montant de 22 677,60 € TTC (prestation Hotline)

- facture du 28 juin 2018, d'un montant de 24 000 € TTC (prestation Hotline).

Elle expose qu'elle déjà tenu compte des absences de ses salariés, en réduisant le montant de ses factures et conteste toute dégradation de la qualité de ses prestations. Elle estime légitime d'avoir facturé ses prestations Hotline à compter de janvier 2018 sur la base de 20 000 € HT par mois au regard de l'augmentation de leur niveau et ajoute que les factures pour la prestation Chargée de diffusion, dont le tarif n'a pas changé, doivent être intégralement payées.

Réponse de la Cour

C'est à juste raison que la société FTP fait valoir :

- qu'elle n'a pas payé en totalité les factures pour les raisons suivantes : absence des salariés de LCI et leur non remplacement, défaut de formation et facturation de la prestation Hotline à hauteur de 20 000 € HT au lieu de 14.160 € HT conformément au contrat en vigueur,

Elle précise de surcroît de façon pertinente :

-que les factures de novembre et décembre 2017 (prestation Hotline) ont été réglées à hauteur de 70 % compte tenu des nombreuses absences des salariés de la société LCI,

- que la facture de décembre 2017 (prestation Chargée de diffusion) d'un montant de 5.980 € HT a été payée à hauteur de 5 580 € HT en raison de l'absence imprévue de l'intervenant LCI pendant une journée,

- que pour janvier 2018, elle a payé 70 % de la facture eu égard au non remplacement de l'étudiant en alternance/apprentissage, dont l'embauche était contractuellement prévu.

A défaut d'accord sur un nouveau tarif, la société LCI était mal fondée à facturer la prestation Hotline sur la base de 20 000 € HT à compter de janvier 2018.

En conséquence, la demande de la société LCI en paiement d'un solde de factures sera rejetée.

Sur la demande en paiement de la somme de 97 763,50 € pour rupture brutale des relations commerciales établies.

La société LCI réclame paiement de cette somme au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies concernant la seule prestation Hotline. Elle fait valoir :

- que l'existence d'une mise en concurrence avec d'autres prestataires par le biais de procédures d'appel d'offres, limitée à 2 entre février 2006 et septembre 2017, n'est pas de nature à remettre en cause le caractère établi des relations, les contrats s'étant succédé de manière ininterrompue entre le 20 février 2006 et le 30 juin 2018, soit pendant 12 ans et 4 mois,

- que la société FTP aurait dû lui laisser un préavis de 24 mois pour la prestation Hotline et un préavis de 8 mois pour la prestation Chargé de mission,

- qu'à tout le moins, s'agissant de la prestation Hotline, la société FTP n'a consenti, à partir du 14 février 2018, qu'un préavis de 4,5 mois « accompagné de la période résiduelle (3 mois du 1er juillet 2018 au 3 octobre 2018), soit seulement 7,5 mois au lieu de 24, l'insuffisance de préavis étant de 16,5 mois.

La société FTP s'oppose à cette prétention aux motifs :

- qu'elle a eu régulièrement organisé la consultation de 2017,

- que la notification du recours à une procédure d'appel d'offres ou d'une consultation pour choisir ses partenaires manifeste l'intention de ne pas poursuivre les relations commerciales dans les conditions antérieures et fait courir les délais de préavis, lesquels s'imputent sur la durée du préavis jugé nécessaire,

- que le renouvellement d'un contrat qui intervient systématiquement par le biais d'un appel d'offres constitue un indice important pour qualifier la relation de précaire, la mise en place des appels d'offres créant un aléa dans le choix du contractant,

- qu'elle a respecté un préavis suffisant de 9 mois pour la prestation Hotline, la société LCI ne réalisant à ce titre que 1,41 % de son chiffre d'affaires global,

- subsidiairement, que l'indemnisation sollicitée devrait être ramenée à de plus justes proportions et ne pourrait excéder 8 496 € TTC.

Réponse de la Cour

Il convient de retenir que la société FTP, qui avait confié la prestation Hotline à la société LCI par contrat prenant effet le 20 février 2006 a, par la suite, organisé une première consultation restreinte en novembre 2012, remportée par la société LCI, puis une deuxième consultation restreinte en 2015 encore remportée par la société LCI et enfin une troisième consultation le 2 octobre 2017 remportée par la société Nelite.

Il en résulte qu'à compter de 2012, la société LCI se trouvait soumise à la concurrence d'autres sociétés et à un aléa sur la poursuite de ses relations avec la société FTP ; le recours successif et régulier à des appels d'offres a conféré à la relation commerciale, quelle que soit sa durée, une précarité exclusive de toute rupture brutale.

En conséquence, la demande de dommages-intérêts pour rupture brutale sera rejetée.

Sur la demande de la société FTP en paiement de la somme de 50 000 € à titre de dommages-intérêts.

La société FTP prétend que la société LCI, depuis les résultats de la consultation a eu un comportement « hautement déloyal » et l'a harcelée. Elle reprend les fautes déjà énoncées et lui reproche une intention de nuire en soulignant ses demandes qualifiées d'ubuesques d'un montant de 3,3 millions d'euros au départ.

Réponse de la Cour

La société FTP ne démontre aucunement l'existence d'un préjudice qu'elle aurait subi en raison des faits qu'elle invoque. Sa demande de dommages-intérêts sera donc rejetée.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés LCI et FTP qui succombent toutes deux partiellement en leurs prétentions garderont chacune la charge de leurs dépens d'appel.

Vu les dispsositions de l'article 700 de procédure civile, il n'y a pas lieu de leur allouer à l'une ou à l'autre d'indemnité à ce titre en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Novae Services (LCI) de sa demande de dommages-intérêts au titre de la clause de non sollicitation,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne la société France Télévision Publicité à payer à la société Novae Services la somme de 100 000 €, à titre de dommages-intérêts, pour non-respect de la clause de non-sollicitation concernant la prestation Chargée de diffusion,

Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile du code de procédure civile,

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel.

Rejette toute autre demande.