Cass. crim., 1 mars 2000, n° 98-86.353
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gomez
Rapporteur :
Mme de la Lance
Avocat général :
M. Launay
Avocats :
SCP Baraduc et Duhamel, SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Gatineau, SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, SCP Vincent et Ohl, Me Blanc
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Daniel B..., fonctionnaire de police, dirigeait de fait deux sociétés à responsabilité limitée, Eurocen et CFL, dont son épouse était la gérante statutaire, que ces sociétés intervenaient illicitement dans des opérations de transaction et promotion immobilières, facturant des prestations fictives et obtenant leur contrepartie par l'intermédiaire de tiers jouant le rôle de " taxis ", décaisseurs d'espèces, et qu'elles servaient ainsi d'écran à de nombreuses opérations frauduleuses, essentiellement des versements de rémunérations occultes ;
Que la société BBIE, dirigée par Bernard X... et dont l'activité est le conseil et la transaction en matière immobilière, mandatée pour 3 opérations, une vente, une évaluation et une recherche de locataire, a réglé, sous la signature de son dirigeant, 3 factures fictives d'honoraires établies par la société Eurocen, le mandant acceptant de majorer le taux de commissionnement de BBIE pour permettre ces paiements indus ; que Bernard X... est poursuivi pour abus de biens sociaux ;
Que, dans le cadre de la vente du siège social de la société BP France, soit la tour BP à Courbevoie, la commission de 5 MF prévue par les acquéreurs, pour l'intermédiaire, le cabinet Feau Hampton, dirigé par Clive Y..., conseil en immobilier d'entreprise, a été portée, après la signature de la promesse de vente du 28 octobre 1988, à 7 MF, 1 MF étant versés à Eurocen en règlement d'une facture fictive d'honoraires et 1 MF étant versés, sur la base d'une facture pro forma, à Paul Z..., salarié de la société BP International en qualité d'expert immobilier et mis à la disposition de BP France pour la réalisation de cette vente en tant que membre du " comité directeur du nouveau siège social de BP France " et du " comité d'appel d'offres " ; qu'une seconde facture fictive d'honoraires de 5 MF émise par Eurocen, sur la base de faux mandats de recherche d'un bien, réglée également par les sociétés ayant acquis la tour BP, permettait le versement de commissions occultes à d'autres intermédiaires et négociateurs, dont l'un de ceux employés par Feau Hampton ; que Clive Y... est poursuivi pour faux, complicité de faux, usage de faux et corruption active ; que Paul Z... est poursuivi pour corruption passive ;
Que, dans le but d'acquérir et mettre en valeur le terrain de la ZAC de l'Ambresis, faisant l'objet d'un projet d'aménagement par la commune de Villeparisis, trois sociétés ont constitué une société en participation et ont conclu des contrats de maîtrise d'oeuvre avec la SARL MC Conseil, gérée par Alain A..., pour la réalisation d'un lotissement et d'un hôtel, comprenant l'obtention de l'accord pour l'achat du terrain, du permis de construire et de l'autorisation de lotir ; qu'Alain A... était à la même époque adjoint au maire de la commune, délégué à l'urbanisme ; qu'une facture fictive d'honoraires de 500 000 francs sur négociations, émise par la société Eurocen, était réglée par les trois sociétés intéressées, somme ensuite remise en espèces à Alain A... ; que ce dernier est poursuivi pour corruption passive et prise illégale d'intérêts ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Bernard X... :
(sans intérêt) ;
Sur le deuxième moyen de cassation proposé pour Bernard X... (sans intérêt) ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Alain A... :
(sans intérêt) ;
Sur le second moyen de cassation proposé pour Clive Y..., pris de la violation des articles 150 et 151 du Code pénal tel qu'il s'appliquait à l'époque des faits, 113-6, 113-7, 113-8, 441-1 et suivants du Code pénal, L. 152-6 du Code du travail et 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Clive Y... coupable de faux, de complicité de faux, d'usage de faux et de corruption active et l'a condamné à 18 mois d'emprisonnement avec sursis, l'a obligé à exercer une activité professionnelle, à établir sa résidence en un lieu déterminé, à justifier l'acquittement des sommes dues à la victime et l'a condamné solidairement avec MM. C..., D... et Z... à payer 3 millions de francs à la société BP France ;
" aux motifs que Clive Y..., directeur de la société Feau-Hampton, a participé en tant qu'intermédiaire à la vente de la tour BP de La Défense appartenant à la société BP France ; que les honoraires de la société Feau-Hampton initialement fixés à 5 millions de francs de manière forfaitaire ont été augmentés sans raison apparente par un avenant au contrat d'honoraire à 7 millions de francs ; que, faute d'une contrepartie, cette augmentation caractérise le délit de faux ; que cette somme a été payée en vertu d'une fausse facture pro forma, ce qui permet de retenir l'usage de faux ; qu'en outre, une somme d'1 million a été payée à la société Eurocen à l'aide d'une fausse facture pro forma, ce qui caractérise encore le délit de complicité de faux ; qu'enfin, la société Feau-Hampton a payé une somme d'1 million de francs à Paul Z... afin de favoriser le choix de la société PII-Lucia présentée au vendeur par la société Feau-Hampton ; que cela constitue un délit de corruption active à la charge de Clive Y... ;
" alors, d'une part, que le faux ne peut être poursuivi que s'il est préjudiciable aux tiers ; qu'en l'espèce, les prétendus faux et usages reprochés à Clive Y... étaient exclusivement destinés à d'autres coprévenus et ont été commis à leur instigation ; que, par hypothèse, les coprévenus de Clive Y... ne pouvant être victimes de faux qui leur étaient destinés et qui étaient accomplis avec leur accord, la cour d'appel, qui n'a néanmoins condamné Clive Y... du chef de faits dont elle n'a pas caractérisé le préjudice qu'ils auraient causé, a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
" alors, d'autre part, que lorsque la commission d'une infraction comporte un élément constitutif qui s'apprécie au regard d'un droit étranger, l'infraction n'est constituée que lorsque la loi étrangère permet de retenir une qualification équivalente à celle que la loi française aurait permis de retenir pour cet élément constitutif ; que Clive Y... a été poursuivi du chef de corruption active d'un salarié britannique ; qu'ainsi, pour que l'infraction soit constituée, il était nécessaire que soient pris en considération les pouvoirs dont disposait le salarié concerné en application de la législation britannique dont il relevait ; que, faute d'avoir recherché dans quelles conditions la corruption d'un salarié serait éventuellement punissable selon le droit du Royaume-Uni, la cour d'appel a privé sa décision de base légale " ;
Sur la première branche du moyen :
Attendu que, pour déclarer Clive Y... coupable de faux et usage, les juges se prononcent par les motifs partiellement repris au moyen ;
Qu'en cet état, et dès lors que le préjudice, élément constitutif des délits reprochés, est établi par le paiement de fausses factures mis à la charge d'une personne morale qui ne les devait pas, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Sur la seconde branche du moyen :
Attendu que, contrairement aux allégations du moyen, la cour d'appel, pour déclarer le prévenu coupable de corruption active commise en France à l'égard d'un ressortissant anglais, n'avait pas à rechercher dans quelles conditions la corruption d'un salarié est punissable selon le droit du Royaume-Uni ;
Qu'en effet, il résulte des articles 693 ancien et 113-2 du Code pénal, que toutes les infractions commises sur le territoire français relèvent de la loi pénale française, quelle que soit la nationalité des auteurs ou des victimes, et qu'il est indifférent que l'infraction soit ou non réprimée dans la législation pénale de l'Etat d'origine de son auteur ;
Que, dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Paul Z... :
(sans intérêt) ;
Sur le deuxième moyen de cassation proposé pour Paul Z... :
(sans intérêt) ;
Sur le troisième moyen de cassation proposé pour Paul Z... :
(sans intérêt) ;
Sur le deuxième moyen de cassation proposé pour Alain A... :
(sans intérêt) ;
Sur le troisième moyen de cassation proposé pour Alain A... :
(sans intérêt) ;
Sur le quatrième moyen de cassation proposé pour Alain A... :
(sans intérêt) ;
Mais sur le troisième moyen de cassation proposé pour Bernard X..., pris de la violation des articles 437. 3° de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bernard X... coupable du délit d'abus de biens et du crédit de la société anonyme BBIE, et l'a condamné à des sanctions pénales ;
" aux motifs que la fictivité des prestations facturées par Eurocen ressort suffisamment de l'incapacité tant juridique que technique par elle d'y procéder et de la totale imprécision de la dénomination des supposés services rendus ; que, de surcroît, Bernard X..., qui se présente comme un professionnel averti ayant des responsabilités syndicales au sein de la profession, et M. E..., qui prétend être un spécialiste consulté et écouté de la fiscalité immobilière, notamment du régime de la TVA, n'avaient nul besoin de l'intervention de M. B... ; qu'il est inconcevable que Bernard X... ait accepté le paiement de sommes importantes sans vérifier le contenu des factures, la réalité des prestations, l'existence et l'objet social du prestataire ; qu'il ne saurait d'ailleurs s'abriter derrière l'opinion purement comptable d'un professionnel du chiffre qu'il avait précisément consulté après avoir constaté qu'Eurocen n'était pas habilité à s'entremettre et l'imprécision des mentions des factures puis relevé qu'elles réalisaient " un habillage " ; qu'en acceptant de payer les trois factures fictives des 18 octobre 1988, 31 mai et 24 juillet 1989, à l'instigation de M. E... et sans que BBIE en tire la moindre contrepartie, Bernard X... a bien commis le délit d'abus des biens et du crédit de cette société ;
" 1° alors, d'une part, que le délit d'abus de biens sociaux suppose que le prévenu ait, de mauvaise foi, fait des biens de la société un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci ; que la circonstance que Bernard X... a payé trois factures fictives sans vérifier le contenu desdites factures ni la réalité des prestations, si elle peut éventuellement constituer une négligence, n'implique pas par elle-même la mauvaise foi de l'intéressé, laquelle ne se déduit d'aucune des énonciations de l'arrêt ; que, faute d'avoir caractérisé cette composante de l'élément intentionnel de l'infraction, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen ;
" 2° alors, d'autre part, que le délit d'abus de biens sociaux n'est constitué que si le prévenu a agi soit à des fins personnelles soit pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle il était directement ou indirectement intéressé ; qu'en retenant Bernard X... dans les liens de la prévention sans constater ni qu'il aurait été animé par la recherche d'un intérêt personnel ni davantage qu'il aurait eu des intérêts directs ou indirects dans la société Eurocen, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'autre composante de l'élément intentionnel du délit et a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen " ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour déclarer Bernard X..., dirigeant de la société BBIE exerçant une activité de conseil et de transaction en immobilier d'entreprise, coupable du délit d'abus de biens sociaux, les juges du second degré se prononcent par les motifs repris au moyen et énoncent, notamment, qu'il a accepté de payer 3 factures fictives émises par la société Eurocen à l'instigation de son négociateur et sans que la société qu'il dirige en tire la moindre contrepartie ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si le dirigeant social avait pris un intérêt personnel direct ou indirect dans le règlement des fausses factures, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure de s'assurer de la légalité de sa décision au regard de l'article 437. 3°, de la loi du 24 juillet 1966 ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 21 septembre 1998, mais en ses seules dispositions ayant condamné Bernard X... pour abus de biens sociaux, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, confomément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles.