Cass. 1re civ., 12 juin 2012, n° 11-10.923
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bargue
Rapporteur :
M. Girardet
Avocat général :
M. Mellottée
Avocats :
Me Copper-Royer, SCP Bénabent, SCP Piwnica et Molinié
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 novembre 2010), que La Fondation Le Corbusier se déclarant investie des droits d'auteur sur l'ensemble de l'oeuvre de Charles-Edouard X... dit Le Corbusier, a assigné en contrefaçon la société Getty Images France pour avoir fourni et diffusé deux photographies représentant le fauteuil référencé LC2 et la chaise longue référencée LC4, créés entre 1927 et 1929 par Le Corbusier, Pierre X... et Charlotte Y..., et que Mmes Claude Z... et Jacqueline X...- A..., ayants droit des coauteurs des meubles, sont intervenues volontairement à l'instance au cours de laquelle l'exploitation commerciale d'autres photographies a été incriminée ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Getty Images France fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré la Fondation Le Corbusier recevable en ses prétentions, alors, selon le moyen, que l'interprétation des actes administratifs individuels relève de la seule compétence de la juridiction administrative, sauf en présence d'un acte clair exclusif de toute interprétation ; qu'en reconnaissant en l'espèce à la Fondation Le Corbusier, pour condamner la société Getty Images France, la qualité de titulaire de l'ensemble des droits patrimoniaux et moraux sur l'ensemble de l'oeuvre de Charles-Edouard X..., dit Le Corbusier, par interprétation d'un décret du 24 juillet 1968, constitutif d'un acte administratif individuel dépourvu de toute clarté en ce sens, la cour d'appel, qui a refusé de poser une question préjudicielle d'interprétation dudit décret à la juridiction administrative, ainsi qu'il le lui était pourtant demandé, a violé l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et les principes régissant la séparation des autorités administratives et judiciaires ;
Mais attendu qu'ayant constaté que Le Corbusier qui n'avait pas d'héritier réservataire, avait laissé un testament daté du 16 juin 1965 aux termes duquel il instituait pour légataire universel, en toute propriété, l'Etablissement d'utilité publique Fondation Le Corbusier, l'arrêt en a exactement déduit que l'universalité des droits ainsi transférés emportait nécessairement transmission des droits d'auteur, dès lors que ceux-ci n'en étaient pas exclus ; que l'arrêt relève en outre, sans se livrer à une interprétation de leur portée, que les dispositions de l'article 2 du décret du 24 juillet 1968 qu'il se borne à citer, autorisaient le président de la Fondation Le Corbusier d'accepter purement et simplement le legs universel qui lui avait été consenti ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Getty Images France reproche à l'arrêt d'avoir déclaré la Fondation Le Corbusier recevable en son action, alors, selon le moyen :
1°/ que dans ses conclusions d'appel, elle faisait valoir que la cession des droits de reproduction des meubles représentés dans les photographies litigieuses, consentie à la société Cassina, par contrat du 20 novembre 2002, allait nécessairement de pair avec la transmission d'un droit de représentation de ces meubles, notamment à des fins commerciales et publicitaires, la société Cassina étant bien titulaire d'un droit d'exploitation des meubles litigieux ; qu'en condamnant en l'espèce la société Getty Images France, sans répondre à ce moyen déterminant de nature à établir l'absence de qualité à agir de la Fondation Le Corbusier et de Mmes Claude Z... et Jacqueline X...- A..., la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'en condamnant en l'espèce la société Getty Images France, au terme d'une action introduite le 8 mars 2006 par la Fondation Le Corbusier, en s'appuyant sur les termes d'un contrat conclu le 20 décembre 2007 entre les intimées et la société Cassina, la cour d'appel a conféré audit contrat, auquel la société Getty Images France était étrangère, une portée rétroactive qu'il n'avait pas, en violant ainsi l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu qu'après avoir rappelé que l'article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle subordonne la transmission des droits patrimoniaux de l'auteur à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession, l'arrêt retient que la société Cassina était cessionnaire non pas d'un " droit d'exploitation " mais du seul droit de fabrication des meubles énumérés au contrat conclu avec les ayants droit des auteurs le 20 novembre 2002 ; que la référence faite au contrat conclu en 2007 entre les mêmes parties n'est mentionnée que pour souligner que cette cession avait été reconduite sans en modifier la portée ;
Que le moyen qui manque en fait dans sa première branche est inopérant dans sa seconde ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Getty Images France fait reproche à l'arrêt d'avoir considéré que les photographies incriminées constituaient des reproductions contrefaisantes, alors, selon le moyen, que dans ses conclusions d'appel elle précisait que les meubles représentés sur ces photographies n'avaient qu'un caractère accessoire par rapport au sujet traité ; qu'en la condamnant, sans répondre à ce moyen déterminant de nature à établir qu'aucune atteinte n'avait été portée aux droits des coauteurs de l'oeuvre initiale, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 code de procédure civile ;
Mais attendu que répondant au moyen invoqué, l'arrêt décrit pour chacune des photographies incriminées, les éléments qui entrent dans leur composition et l'importance donnée à la présentation du fauteuil ou de la chaise longue, avant d'en conclure que ces meubles sont nettement visibles et parfaitement identifiables, d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que la société Getty Images France fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé à son encontre des mesures de publication et d'interdiction et de l'avoir condamnée au paiement de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que le juge ne peut prononcer une condamnation allant au-delà d'une réparation intégrale du préjudice, y compris sur le fondement de l'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle ; qu'en l'espèce la cour d'appel a, sur le fondement de ce texte et en réparation de la représentation de deux meubles de Le Corbusier au sein de neuf photographies seulement, condamné la société Getty Images France à payer à la Fondation Le Corbusier et à Mmes Claude Z... et Jacqueline X... A... la somme totale de 42 000 euros, en mettant encore à sa charge les frais de publication de sa décision pouvant atteindre 15 000 euros HT au total, outre l'obligation faite encore de publier l'arrêt attaqué sur la page d'accueil du site internet gettyimages. fr pendant une durée d'un mois ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a prononcé une condamnation disproportionnée et punitive, au regard des critères posés par le texte susvisé et au regard du préjudice effectivement subi, en violant ainsi le principe de réparation intégrale ;
Mais attendu que la cour d'appel qui a procédé à une appréciation souveraine de l'étendue des pertes et du préjudice moral subis par les titulaires de droits, comme de l'importance du bénéfice réalisé par la société Getty Images France, a, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.