Cass. crim., 6 février 2008, n° 07-83.078
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Labrousse
Avocat :
SCP Baraduc et Duhamel
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4, 111-5 et 432-12 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gérard X... coupable du délit de prise illégale d'intérêt pour avoir en juillet 1999, au titre de l'année 1998, étant chargé d'une mission de service public, ès qualités de directeur d'une maison de retraite, pris, reçu ou conservé un intérêt quelconque dans un établissement public de santé, en percevant une prime de service irrégulière, et l'a condamné de ce chef à une peine d'un an d'emprisonnement assorti du sursis et à une amende de 5.000 euros ainsi qu'à l'interdiction d'exercer les droits civiques, civils et de famille pendant une durée de deux années ;
"aux motifs que selon les dispositions de l'article 111-5 du code pénal, la juridiction répressive est compétente pour interpréter les actes administratifs réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité, lorsque de cet examen dépend la solution pénale ; que l'ensemble de la procédure et notamment les rapports circonstanciés de la chambre régionale des comptes du Nord-Pas-de-Calais mettent la cour en mesure de porter une appréciation objective et concrète sur la situation personnelle de Gérard X... au regard des textes administratifs invoqués ; que dans ses fonctions de directeur intérimaire de la maison de retraite de La Gorgue, le prévenu a bénéficié irrégulièrement, par délibérations des 3 juin et 22 juillet 1999, d'une prime de service d'un montant de 1.670,38 euros pour l'année 1998, en dépit de la lettre de la DDASS du Nord-Pas-de-Calais du 2 juillet 1999, transmise à l'ensemble des directeurs de maison de retraite du département du Nord, rappelant que les agents contractuels ne pouvaient être attributaires d'une prime de service annuelle ;
"alors que le juge répressif appelé à se prononcer sur la légalité d'un acte administratif réglementaire ou individuel dont dépend la solution du litige doit apprécier le texte dans son intégralité ; que la circulaire du secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale et du secrétaire d'Etat au budget du 25 juin 1999, adressée ultérieurement aux directions départementales de l'action sanitaire et sociale, indiquait certes que, contrairement à la pratique « de nombreux établissements relevant de la fonction publique hospitalière », l'arrêté du 24 mars 1967 ne permettait pas de verser une prime annuelle de service aux agents contractuels tous emplois confondus selon les mêmes modalités qu'aux fonctionnaires et qu'à compter du 1er janvier 1999 seuls les personnels titulaires et stagiaires pourraient percevoir cette prime ; que cette circulaire précisait cependant qu' « afin de ne pas pénaliser les agents contractuels sur emploi permanent qui ont bénéficié d'une mesure favorable les rendant éligibles à la prime de service, les gestionnaires hospitaliers sont autorisés à leur maintenir, pendant toute la durée de leur contrat, à titre personnel, le bénéfice de cet avantage, dans le respect des modalités d'attribution prévues par l'arrêté précité » ; qu'ainsi la prime annuelle de service attribuée à Gérard X... en sa qualité de directeur contractuel de la maison de retraite de La Gorgue était dépourvue d'irrégularité et ne pouvait servir de fondement à la déclaration de culpabilité" ;
Attendu que, faute d'avoir été proposé devant les juges du fond, le moyen, mélangé de fait, est nouveau et, comme tel, irrecevable ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation
des articles 111-4, 432-10 et 432-12 du code pénal, 591, 593 et 598 du code de procédure pénale, du principe specialia generalibus derogant, violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gérard X... coupable du délit de prise illégale d'intérêt pour avoir de 1996 à juillet 1999, étant chargé d'une mission de service public, ès qualités de directeur d'une maison de retraite, pris, reçu ou conservé un intérêt quelconque dans un établissement public de santé, en procédant et en faisant procéder à des attributions de primes et indemnité irrégulières à sa propre personne, et l'a condamné de ce chef à une peine d'un an d'emprisonnement assorti du sursis et à une amende de 5 000 euros ainsi qu'à l'interdiction d'exercer les droits civiques, civils et de famille pendant une durée de deux années ;
"aux motifs qu'en sa qualité de directeur-économe de la maison de retraite Gérard X... était chargé d'une mission de service public car cette maison de retraite est un établissement public de santé soumis aux dispositions des règlements applicables aux établissements de santé ; qu'en sa qualité d'ordonnateur, en charge d'une mission d'administration, il devait veiller à une stricte application des textes, y compris s'agissant des éléments de sa propre rémunération ; que dans ses fonctions de directeur intérimaire, le prévenu a bénéficié irrégulièrement de plusieurs avancements d'échelons dans le grade directeur de 4ème classe par plusieurs arrêtés du président du conseil d'administration de la maison de retraite, qui était l'un de ses adjoints à la mairie pour le moins conciliant et influençable, alors que son statut d'intérimaire ne lui permettait pas de bénéficier d'un tel avancement d'échelon ; qu'il a également bénéficié de primes et indemnités qualifiées d'irrégulières tant par le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales que par la chambre régionale des comptes du Nord-Pas-de-Calais, à savoir une indemnité d'intérim équivalant à 10% du traitement brut réservée aux seuls cadres de direction assurant une deuxième fonction au-delà de leur activité principale, le versement des 13 heures supplémentaires payées aux personnes hors les cadres de direction titulaires, ainsi qu'une indemnité de logement équivalant à 10% du salaire brut réservée au personnel de direction titulaire non logé par l'établissement ; que si l'intervention du service chargé du contrôle de légalité a permis d'obtenir annulation des délibérations du conseil d'administration de la maison de retraite attribuant certaines de ces primes, nonobstant les remboursements intervenus, il y a lieu de constater que les éléments matériels de l'infraction reprochée sont constitués, le prévenu agissant soit directement, soit par l'intermédiaire de son adjointe et maîtresse de l'époque, étant observé que le prévenu conservait une influence certaine sur les membres du conseil d'administration appartenant également au conseil municipal ; qu'ainsi, l'infraction objet de la poursuite étant établie en tous ses éléments constitutifs, la déclaration de culpabilité sera confirmée de ce chef ;
"alors que, d'une part, la loi pénale est d'interprétation stricte ; que le fait pour une personne chargée d'une mission de service public de percevoir, au-delà de ce à quoi il sait avoir droit, des primes, des indemnités et des changements d'échelon dont l'attribution est réglementée par l'autorité publique et que son statut d'intérimaire ne lui permettrait pas de recevoir, pourrait éventuellement être poursuivi sur le fondement du délit de concussion prévu par l'article 432-10 du code pénal, sur quoi Gérard X... n'a pas été invité à s'expliquer, mais aucunement comme prise illégale d'intérêt prévu par l'article 432-12 du même code ;
"alors que, d'autre part, sauf à violer les droits de la défense, la théorie de la peine justifiée est inapplicable, même si la peine prononcée pour prise illégale d'intérêt est identique à celle encourue pour concussion, dès lors qu'en l'espèce l'erreur imputée à Gérard X..., personne chargée d'une mission de service public, à l'occasion de la perception de sommes jugées indues, a été précédée de plusieurs délibérations du conseil d'administration de l'établissement public de santé, suivies d'arrêtés du président dudit conseil ordonnant leur paiement, l'erreur ainsi commise par le prévenu étant exclusive du délit de concussion" ;
Attendu que, pour déclarer Gérard X... coupable de prise illégale d'intérêts, l'arrêt relève que le prévenu, directeur économe d'une maison de retraite et à ce titre chargé d'une mission de service public, a perçu, en vertu de délibérations du conseil d'administration de cet établissement public, des augmentations irrégulières de rémunération ainsi que des primes et indemnités qu'il savait illégales et dont il a assuré l'ordonnancement ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui caractérisent en tous ses éléments tant matériels qu'intentionnel, le délit de prise illégale d'intérêts dont elle a déclaré le prévenu coupable, la cour d'appel, qui n'avait pas à rechercher si les faits pouvaient être également poursuivis sous la qualification de concussion, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4, 432-12 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gérard X... coupable du délit de prise illégale d'intérêt pour avoir, courant 1997 à 1999, étant chargé d'une mission de service public, en l'espèce directeur de la maison de retraite de La Gorgue, pris, reçu ou conservé un intérêt quelconque dans cet établissement public de santé, en signant un ou des mandats de paiement attribuant des primes irrégulières à son adjointe Mme Y... ;
"aux motifs que durant la période de la prévention, de 1997 à 1999, Mme Y..., devenue adjointe du directeur de la maison de retraite de La Gorgue, a bénéficié de primes irrégulières stigmatisées par la chambre régionale des comptes du Nord-Pas-de-Calais, qu'il s'agisse des promotions successives et rapprochées ou des primes de services accordées en 1998 et en 1999, l'intéressée bénéficiant du reversement d'une partie des primes non attribuées aux agents de la maison de retraite pour jour d'absence ;
"alors que le délit de prise illégale d'intérêt suppose que la personne chargée d'une mission de service public se soit immiscée dans l'administration qui lui avait été confiée, par un acte contraire à l'intérêt public ; que le fait pour le directeur d'une maison de retraite de signer, au profit de son adjointe, des mandats portant sur le versement d'une prime de service pour l'année 1998, ainsi que le reversement d'une partie des primes non attribuées aux agents pour les années 1997 et 1998, ne pouvait caractériser un acte d'ingérence dès lors que les primes dénoncées étaient attribuées à un agent territorial titulaire, détaché comme adjointe auprès du directeur de la maison de retraite, pouvant à ce titre bénéficier de telles primes" ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 121-3 et 432-15 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Gérard X... coupable du délit de détournement de fonds publics et l'a condamné de ce chef à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 5 000 euros, ainsi qu'à l'interdiction d'exercice des droits civiques, civils et de famille pendant une durée de deux années ;
"aux motifs que le simple fait, pour le directeur de la maison de retraite de La Gorgue, en sa qualité de chargé d'une mission de service public, de détourner les deniers publics suffit à constater l'intention frauduleuse du prévenu, en précisant que les actes de détournement au profit d'une association sont matériellement constitués par la remise à la présidente de l'association susvisée de chèques provenant de la vente par la maison de retraite de tickets de repas aux ouvriers venus travailler au sein de l'établissement, d'un chèque de 3 000 francs en vue de financer une excursion et du paiement de sommes par la maison de retraite de divers produits facturés à l'association ;
"alors que le détournement de fonds publics reproché à une personne chargée d'une mission de service public est une infraction intentionnelle qui suppose que soit rapportée la preuve de la volonté, chez le prévenu, de porter atteinte aux droits de l'établissement public ; qu'en se bornant à indiquer que le simple fait de détourner les deniers publics, à savoir affecter provisoirement les deniers publics à des tierces personnes, suffisait à caractériser l'intention frauduleuse, la cour d'appel a présumé la volonté délictueuse, mais ne l'a aucunement caractérisée, en violation de la présomption d'innocence" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.