Cass. crim., 15 septembre 2021, n° 20-82.422
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. Pauthe
Avocat général :
M. Bougy
Avocat :
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 31 juillet 2014, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris a été destinataire d'une note d'information de Tracfin relative au fonctionnement des comptes bancaires de M. [T] [T] et à des flux financiers susceptibles de caractériser des faits de blanchiment notamment du délit de fraude fiscale.
3. Entendu par les enquêteurs, M. [T] a indiqué avoir transféré en Suisse une somme de l'ordre de 950 000 euros, reçue en héritage à la suite du décès de son père en Algérie trente ans auparavant, sans la déclarer, avoir rapatrié ces fonds en France par l'intermédiaire de comptes ouverts à sa demande par des membres de sa communauté et avoir ainsi pu financer l'acquisition du fonds de commerce d'un hôtel géré par l'un de ses fils.
4. A l'issue de l'enquête, M. [T] a été cité devant le tribunal correctionnel pour avoir à [Localité 3], [Localité 1] et [Localité 5] (Canton de Vaud, en Suisse), entre le 7 août 2011 et le 31 juillet 2012, apporté son concours à diverses opérations de placement, de dissimulation et de conversion du produit direct ou indirect du délit de fraude fiscale à savoir, d'une part, en plaçant et en dissimulant sur un compte bancaire de gestion non déclaré à l'administration fiscale française, ouvert au nom de la société Clatesburg International Inc, société de droit panaméen, auprès de la banque Espirito Santo SA à [Localité 5] (Suisse), une somme globale s'élevant à 519 260 euros pour les années 2011-2012, d'autre part en effectuant depuis ce compte non déclaré des mouvements de fonds sous forme de virements pour un total de 533 760 euros, immédiatement suivis de chèques vers sept comptes bancaires ouverts au nom de sept personnes différentes et de troisième part en utilisant la somme de 944 669 euros issue de virements occultes en provenance de la société panaméenne précitée pour acquérir un fonds de commerce d'hôtellerie situé à [Localité 2].
5. Par jugement du 13 décembre 2018, les juges du premier degré ont déclaré M. [T] coupable, l'ont condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et ont prononcé la confiscation en valeur de l'immeuble sis [Adresse 3], ainsi que des droits de M. [T] sur un immeuble indivis situé [Adresse 1] parisien.
6. M. [T] et le procureur de la République ont interjeté appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement ayant déclaré M. [T] coupable de blanchiment et l'ayant condamné à un emprisonnement délictuel de dix-huit mois et, infirmé le jugement sur la mesure de confiscation, en ordonnant à l'encontre de M. [T] la confiscation en valeur, cantonnée à la somme de 400 000 euros, de l'immeuble à l'usage d'hôtel situé [Adresse 2]) dont M. [T] est propriétaire, figurant au cadastre de la manière suivante : commune – [Localité 4], section AL, n°[Cadastre 1], n° de lot néant, alors « que constitue un blanchiment de fraude fiscale le fait d'apporter son concours à une opération de dissimulation du produit direct ou indirect d'une fraude fiscale ; que la qualification de blanchiment de fraude fiscale suppose donc, d'une part, l'identification d'une fraude fiscale, d'autre part, la démonstration de l'origine frauduleuse des biens blanchis ; qu'en cours de procédure, M. [T] a rapporté la preuve de l'origine des fonds en cause et l'administration fiscale a constaté la licéité des fonds rapatriés ; que s'il pouvait lui être reproché de ne pas avoir déclaré son compte à l'étranger, ce qui le rendait passible d'une amende, la fraude fiscale n'était pas caractérisée, les sommes n'étant pas imposables, et en toute hypothèse, aucune somme n'ayant été éludée au titre de l'impôt sur le revenu, aucun profit illicite n'avait pu être blanchi ; que la cour d'appel a cependant confirmé la culpabilité de M. [T] en jugeant que « quand bien même devant la cour le prévenu fait plaider que l'argent objet du transit bancaire est d'origine parfaitement licite, c'est la dissimulation de ces fonds aux fins de les faire échapper à tout contrôle de l'administration qui constitue le blanchiment objet de la présente procédure » ; qu'en retenant ainsi le blanchiment de fraude fiscale sans caractériser une fraude fiscale ni constater l'origine frauduleuse des sommes prétendument blanchies, la cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale, l'article 324-1 du code pénal et l'article 1741 du livre des procédures fiscales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 593 du code de procédure pénale et 324-1, alinéa 2, du code pénal :
8. Il résulte du premier de ces textes, que le juge répressif ne peut déclarer un prévenu coupable d'une infraction sans en avoir caractérisé tous les éléments constitutifs.
9. Aux termes du second, le blanchiment est le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.
10. Il s'en déduit que la caractérisation du délit de blanchiment nécessite que soit établie l'existence de biens ou fonds, produit de l'infraction principale.
11. Pour condamner M. [T] du chef de blanchiment de fraude fiscale, l'arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, énonce que le prévenu ne conteste pas son projet de transférer le plus discrètement possible son argent d'Algérie en France, que les fonds rapatriés ont été déposés sur un compte suisse puis ont fait l'objet de virements vers sept comptes en France au nom de sept personnes différentes, que ces fonds n'ont pas été déclarés à l'administration fiscale et ont servi à acheter un fonds de commerce d'hôtellerie, et que peu importe l'origine de ces fonds, même licite comme provenant d'un héritage, c'est leur dissimulation aux fins de les faire échapper à tout contrôle de l'administration fiscale qui constitue le blanchiment.
12. En statuant ainsi, sans établir l'existence d'une économie permise par le délit de fraude fiscale constitué par l'omission de déclaration des sommes rapatriées autrement qu'en se référant au défaut de déclaration des fonds à l'administration fiscale lors de leur transfert en France, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
13. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 26 février 2020, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.