Cass. crim., 19 avril 2017, n° 16-81.095
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Farrenq-Nési
Avocat général :
M. Lemoine
Avocat :
SCP Waquet, Farge et Hazan
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le 8 octobre 2012, lors d'une inspection de la raffinerie de pétrole située à Notre-Dame de Gravenchon, installation classée pour la protection de l'environnement soumise à autorisation et exploitée par la société Esso Raffinage SAS, les agents ont constaté que, sur la torche numéro 2, l'alarme était en permanence en fonctionnement alors que la flamme résultant de la combustion des gaz était pourtant visible, en raison d'un dysfonctionnement des thermocouples associés aux trois veilleuses équipant la torche pour en prévenir l'extinction ; qu'un arrêté préfectoral de mise en demeure de remettre l'installation en conformité avec l'arrêté cadre du 8 juin 2004 définissant les conditions d'autorisation de l'exploitation de ce site de raffinage a été pris le 7 février 2013 ; que la société Esso Raffinage SAS a été poursuivie devant le tribunal de police du Havre pour exploitation d'une installation classée sans respecter les mesures prescrites par arrêté pour la protection de l'environnement et relaxée ; qu'appel a été interjeté par le ministère public et par l'association Haute-Normandie Nature Environnement, partie civile ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 7,9 et 591 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré la société prévenue coupable de la contravention prévue à l'article R. 514-4 3° du code de l'environnement ;
"aux motifs que, à la requête du ministère public, la société Esso Raffinage a été citée devant le tribunal de police du Havre par acte d'huissier de justice délivré le 26 août 2014 ; que lors d'une inspection effectuée le 8 octobre 2012, il a été constaté par procès-verbal que sur la torche n° 2, l'alarme était en permanence en fonctionnement, alors que la flamme résultant de la combustion des gaz était pourtant visible ; que selon les explications alors fournies à l'administration, c'était à la suite d'un dysfonctionnement des thermocouples qu'avait été mis en place, depuis plusieurs années, un système d'approvisionnement permanent de gaz dans le système pour éviter l'extinction de la flamme, et empêcher ainsi le rejet intermittent de gaz polluant dans l'atmosphère ; qu'un arrêté préfectoral de mise en demeure de remettre l'installation en conformité avec l'arrêté cadre du 8 juin 2004 a été pris le 7 février 2013, cette mise en demeure accordant pour ce faire un délai devant expressément permettre d'effectuer cette opération à l'occasion de l'arrêt programmé des installations en mars 2013 ; que l'inspection effectuée le 9 avril 2013 a permis de constater la remise en service conforme aux exigences de l'arrêté cadre du 8 juin 2004 ;
"alors que la prescription de l'action publique constitue une exception péremptoire et d'ordre public et qu'elle doit être relevée d'office par les juges ; que les contraventions se prescrivent par une année à compter du jour où elles ont été commises ; qu'il résulte des constatations de la cour d'appel qu'un délai de plus d'un an s'est écoulé entre les faits reprochés à la société Esso Raffinage, commis et constatés le 8 octobre 2012, et la citation délivrée par le parquet le 26 août 2014 ; que les actes auxquels la cour d'appel se réfère ne sont pas interruptifs de prescription et sont au demeurant antérieurs de plus d'un an à la citation ; qu'aucune autre pièce de la procédure ne permet de constater que celle-ci aurait été interrompue moins d'un an avant la saisine du tribunal de police ; qu'il appartenait, dès lors, à la cour d'appel de relever d'office la prescription de l'action publique" ;
Attendu qu'il ne résulte d'aucune énonciation de l'arrêt attaqué, ni d'aucunes conclusions, que la demanderesse ait excipé de la prescription de l'action publique devant les juges du fond ;
Attendu que si cette exception peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation, c'est à la condition que cette Cour trouve dans les constatations des juges du fond les éléments nécessaires pour en apprécier la valeur ;
Qu'en l'espèce, à défaut de telles constatations, le moyen, mélangé de fait, est nouveau et, comme tel, irrecevable ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-5 du code pénal, L.512-5 et R.512-28 du code de l'environnement, 459, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré la société prévenue coupable de la contravention prévue à l'article R.514-4 3° du code de l'environnement ;
"aux motifs que ni les constatations de nature technique, faites par les agents de l'administration à l'occasion du contrôle du 8 octobre 2012, ni la réalité du dysfonctionnement des thermocouples de la torche n° 2, ne sont contestés par la société Esso Raffinage ; que ce dysfonctionnement des thermocouples constitue directement une non-conformité à l'arrêté cadre du 8 juin 2004 qui, parmi d'autres exigences techniques, soumettait l'autorisation d'exploitation à la présence d'un thermocouple sur chacune des trois veilleuses de chaque torche ; que la société Esso Raffinage a fait valoir qu'elle avait résolu ce dysfonctionnement en modifiant le système, de manière à ce que le gaz arrive et soit brûlé en permanence dans la torchère, dans l'attente de l'arrêt programmé des installations de mars 2013 ; que cette solution de substitution, quelle que soit son efficacité, ne répond pas aux exigences techniques posées par l'arrêté préfectoral d'autorisation d'exploitation ; qu'au demeurant, la société Esso Raffinage ne démontre en rien que cette solution, contraire à l'autorisation préfectorale, présenterait les mêmes garanties de durabilité, de sécurité et de protection de l'environnement, que les exigences techniques initialement imposées ; qu'il résulte au contraire du procès-verbal de contrôle que cette solution de substitution a eu pour conséquence une dégradation du système de surveillance, d'alarme et de prévention de la pollution, puisque seul un contrôle visuel de la flamme sortant de la torchère permettait alors de s'assurer du caractère effectif de la combustion des gaz ; que, dès lors, la société Esso Raffinage n'a pas respecté, ni dans les moyens utilisés, ni dans les résultats attendus, les conditions d'exploitation fixées par l'arrêté préfectoral du 8 juin 2004 ; que l'arrêté de mise en demeure en date du 7 février 2013 fait mention de la nécessité d'un arrêt programmé de l'installation pour procéder à la réparation des thermocouples de la torche n° 2 ; que cette circonstance, alors prise en compte uniquement pour la définition du délai accordé à la société Esso Raffinage pour se mettre en conformité avant que des mesures administratives coercitives soient prises, ne constitue pas une force majeure pouvant exonérer la société de sa responsabilité pénale ; que le dysfonctionnement de l'un des éléments du système, dont la société Esso Raffinage avait le contrôle, ne présente pas les caractères extérieur et irrésistible de la force majeure ;
"alors que dans ses conclusions d'appel, la société prévenue a soulevé une exception tirée de l'illégalité des dispositions de l'arrêté préfectoral du 8 juin 2004 dont la violation est alléguée ; qu'en effet, il résulte des termes de la loi, notamment de l'article L. 512-5 du code de l'environnement, que le préfet ne pouvait prescrire dans son arrêté d'autorisation que des obligations de résultats fonctionnement de la torche en continu et non fixer les moyens pour y parvenir présence de trois veilleuses équipées chacune d'un thermocouple ; qu'en ne recherchant pas si les disposition dont la violation était reprochée à la société prévenue étaient légales, la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions dont elle était régulièrement saisie et a privé sa décision de base légale" ;
Attendu qu'il ne résulte ni du jugement ni des conclusions déposées que le demandeur, qui était représenté devant le tribunal de police, ait soulevé devant cette juridiction, avant toute défense au fond, l'exception d'illégalité de l'arrêté préfectoral cadre du 8 juin 2004 ;
Que le moyen est en conséquence irrecevable ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 111-3 et 111-4 du code pénal, R. 514-4, 3° du code de l'environnement, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré la société prévenue coupable de la contravention prévue à l'article R. 514-4 3° du code de l'environnement ;
"aux motifs que ni les constatations de nature technique, faites par les agents de l'administration à l'occasion du contrôle du 8 octobre 2012, ni la réalité du dysfonctionnement des thermocouples de la torche n° 2, ne sont contestés par la société Esso Raffinage ; que ce dysfonctionnement des thermocouples constitue directement une non-conformité à l'arrêté cadre du 8 juin 2004 qui, parmi d'autres exigences techniques, soumettait l'autorisation d'exploitation à la présence d'un thermocouple sur chacune des trois veilleuses de chaque torche ; que la société Esso Raffinage a fait valoir qu'elle avait résolu ce dysfonctionnement en modifiant le système, de manière à ce que le gaz arrive et soit brûlé en permanence dans la torchère, dans l'attente de l'arrêt programmé des installations de mars 2013 ; que cette solution de substitution, quelle que soit son efficacité, ne répond pas aux exigences techniques posées par l'arrêté préfectoral d'autorisation d'exploitation ; qu'au demeurant, la société Esso Raffinage ne démontre en rien que cette solution, contraire à l'autorisation préfectorale, présenterait les mêmes garanties de durabilité, de sécurité et de protection de l'environnement, que les exigences techniques initialement imposées ; qu'il résulte au contraire du procès-verbal de contrôle que cette solution de substitution a eu pour conséquence une dégradation du système de surveillance, d'alarme et de prévention de la pollution, puisque seul un contrôle visuel de la flamme sortant de la torchère permettait alors de s'assurer du caractère effectif de la combustion des gaz ; que dès lors, la société Esso Raffinage n'a pas respecté, ni dans les moyens utilisés, ni dans les résultats attendus, les conditions d'exploitation fixées par l'arrêté préfectoral du 8 juin 2004 ; que l'arrêté de mise en demeure en date du 7 février 2013 fait mention de la nécessité d'un arrêt programmé de l'installation pour procéder à la réparation des thermocouples de la torche n° 2 ; que cette circonstance, alors prise en compte uniquement pour la définition du délai accordé à la société Esso Raffinage pour se mettre en conformité avant que des mesures administratives coercitives soient prises, ne constitue pas une force majeure pouvant exonérer la société de sa responsabilité pénale ; que le dysfonctionnement de l'un des éléments du système, dont la société Esso Raffinage avait le contrôle, ne présente pas les caractères extérieur et irrésistible de la force majeure ;
"1°) alors que l'article R. 514-4 3° du code de l'environnement sanctionne la violation des arrêtés d'autorisation des installations ; que l'arrêté préfectoral du 8 juin 2004 impose l'installation sur chaque torche de trois veilleuses équipées chacune d'un thermocouple ; qu'il ne contient aucune prescription relative aux mesures à prendre en cas de dysfonctionnement d'un ou plusieurs thermocouples ; que la cour d'appel, constatant que les thermocouples, régulièrement installés sur les veilleuses dans le respect des prescriptions du préfet, avaient cessé de fonctionner avant d'être réparés lors d'un arrêt programmé de la plate-forme, ne pouvait sans violer le principe de légalité considérer que la société prévenue avait violé l'article XIV 2.1.1. de l'arrêté préfectoral du 8 juin 2004 ;
"2°) alors que le principe de légalité pénale suppose que les infractions soient définies en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure tout arbitraire ; que l'article XIV 2.1.1. de l'arrêté préfectoral du 8 juin 2004 prévoit l'obligation pour la plate-forme d'équiper chaque veilleuse d'un thermocouple destiné à en surveiller le bon fonctionnement ; qu'il n'assortit toutefois cette prescription d'aucune précision relative à la conduite à tenir en cas de dysfonctionnement d'un thermocouple, et ne fixe notamment pas de délai pour procéder à sa réparation ni de mesures de sécurité à prendre dans l'intervalle ; que, faute de précision suffisante, ces dispositions ne pouvait, dès lors, constituer une prescription dont la violation est pénalement sanctionnée par l'article R. 514-4 3° du code de l'environnement ;
"3°) alors que la société prévenue a exposé dans ses conclusions d'appel que l'intervention sur les thermocouples nécessitait l'arrêt de l'ensemble de la raffinerie et qu'un tel arrêt ne pouvait se faire de manière impromptue sans risque pour la sécurité des personnes et des installations, de sorte qu'il était nécessaire d'attendre l'arrêt programmé de la raffinerie pour mettre fin au dysfonctionnement constaté ; qu'en ne recherchant pas si le délai d'intervention ainsi prévu, au demeurant pas expressément prohibé par l'arrêté dont la violation est alléguée, n'était pas justifié par les circonstances et la nécessité de garantir la sécurité des personnes et des installations, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;
Attendu que, pour retenir une non-conformité de l'installation aux exigences techniques édictées par l'autorité administrative, l'arrêt relève que le titre XIV de l'arrêté préfectoral définissant les conditions de l'exploitation du site soumis à autorisation prévoyait que chaque torche permettant de limiter le rejet de gaz dans l'atmosphère devait être équipée a minima de trois veilleuses pour permettre l'allumage à l'occasion de l'arrivée du gaz dans le système, avec un thermocouple par veilleuse ; que les juges ajoutent que le dysfonctionnement des thermocouples n'est pas contesté par la prévenue, et que la solution de substitution mise en place, consistant à modifier le système de façon à ce que le gaz arrive et soit brûlé en permanence dans la torchère, ne répondait pas aux exigences techniques prescrites par l'arrêté d'autorisation, mais avait au contraire pour conséquence une dégradation du système de surveillance, d'alarme et de prévention de la pollution, puisque seul un contrôle visuel de la flamme sortant de la torchère permettait de s'assurer du caractère effectif de la combustion du gaz ; qu'ils en déduisent que la société Esso Raffinage SAS n'a pas respecté, ni dans les moyens utilisés, ni dans les résultats attendus, les conditions d'exploitation fixées par l'arrêté préfectoral cadre du 8 juin 2004 ; que les juges relèvent par ailleurs que si la nécessité d'un arrêt programmé de l'installation pour procéder à la réparation des thermocouples a été pris en compte pour définir le délai accordé à Esso Raffinage SAS pour se mettre en conformité, le dysfonctionnement de l'un des éléments du système dont la prévenue avait le contrôle ne présente pas les caractères extérieur et irrésistible de la force majeure pouvant l'exonérer de sa responsabilité pénale ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que, conformément aux articles L. 512-3 et R. 512-28 du code de l'environnement, les thermocouples exigés par l'arrêté préfectoral cadre du 8 juin 2004 constituaient une prescription technique indispensable pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions, a, par des motifs suffisants, caractérisé l'élément matériel de la contravention prévue par l'article R. 514-4,3° du code de l'environnement et justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-2 du code pénal, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré la société prévenue coupable de la contravention prévue à l'article R. 514-4 3° du code de l'environnement ;
"aux motifs que ce non-respect de l'arrêté préfectoral, pendant plusieurs mois voire plusieurs années, par les choix techniques ou de gestion qu'il impliquait, a nécessairement été commis par un organe dirigeant de la société Esso Raffinage, agissant au nom et pour le compte de celle-ci ;
"alors que les personnes morales, à l'exception de l'Etat, sont pénalement responsables des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; qu'il appartient au juge répressif saisi de poursuites exercées contre une personne morale de rechercher si les faits reprochés ont été commis, pour son compte, par l'un de ses organes ou représentants ; qu'en ne recherchant pas par quel organe ou représentant l'infraction reprochée à la société prévenue avait été commise pour son compte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;
Vu les articles 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, les personnes morales, à l'exception de l'Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ;
Attendu que, selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour retenir la culpabilité de la société Esso Raffinage SAS, l'arrêt énonce que le non respect de l'arrêté préfectoral, pendant plusieurs mois voire plusieurs années, par les choix techniques ou de gestion qu'il impliquait, a nécessairement été commis par un organe dirigeant de la société Esso Raffinage SAS, agissant au nom et pour le compte de celle-ci ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans rechercher si les manquements relevés résultaient de l'abstention de l'un des organes ou représentants de la société prévenue, et s'ils avaient été commis pour le compte de cette société, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-2 du code pénal ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le cinquième moyen de Cassation proposé ;
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 4 janvier 2016, en toutes ses dispositions ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.