Cass. crim., 28 novembre 1991, n° 90-84.174
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
M. Simon
Avocat général :
M. Libouban
Avocats :
SCP Lesourd et Baudin, Me Delvolvé
Statuant sur le pourvoi formé par :
Z... Rolande,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, en date du 9 mai 1990, qui, pour infraction à la loi du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets, l'a condamnée à 15 mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d'amende ainsi qu'à des réparations civiles ; Vu les mémoires produits en demande et en défense et le mémoire additionnel ; d
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 6. 3 a) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 184, 388, 551 et suivants, 591, 593 et 802 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, défaut de réponse à conclusions, ensemble violation des droits de la défense ; "en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la saisine ; "aux motifs que le tribunal a été saisi de ces faits par l'ordonnance de renvoi laquelle satisfait pleinement aux prescriptions de l'article 184 du Code de procédure pénale ; qu'en soutenant l'illégalité des textes réglementaires non visés par la citation, Mme Z..., à qui l'ordonnance a été notifiée, fait elle-même la preuve qu'elle n'a pu se méprendre sur la nature et l'étendue de la poursuite exercée à son encontre ; "alors, d'une part que, dans ses conclusions demeurées sans réponse, la prévenue avait fait valoir qu'il était important de préciser la nature des huiles objet des poursuites, la récupération, le ramassage et la commercialisation des déchets constitués par des huiles claires étant entièrement libres ; qu'elle soulignait également que ni la citation, ni l'ordonnance de renvoi ne précisaient la nature des huiles remises par la SPUR au Gie Nord-Picardie, nature qui n'était pas établie non plus par l'enquête ; qu'en omettant de s'expliquer sur ce moyen précis et péremptoire des conclusions, la cour d'appel n'a pas légalement justifié le rejet de l'exception de nullité de la saisine de la juridiction correctionnelle ; "alors, d'autre part que, le titre de la saisine était nul faute
d'avoir indiqué avec précision la date des faits prétendument délictueux puisque, ainsi que le soulignait la prévenue dans ses conclusions, jusqu'à l'entrée en vigueur du décret du 29 mars 1985, il était permis aux détenteurs d'huiles usagées, sous l'empire du décret du 21 novembre 1979, de regrouper leurs produits et de les céder à un GIE" ; Et sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 9 et 10, 24, 25 de la loi du 15 juillet 1975 et 593 du Code de procédure pénale ; "en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la d prévenue coupable du délit qui lui était reproché ; "aux seuls motifs que la matérialité des faits reprochés à Rolande Z... se trouve établie par ses propres déclarations au magistrat instructeur ou à l'enquête préliminaire et que M. A... avait déclaré que le GIE avait été constitué pour contourner le monopole existant en matière de récupération des huiles ; que Rolande Z... qui, vainement, a soutenu l'illégalité de la réglementation applicable fait, par là même, l'aveu qu'elle a, en pleine connaissance de cause, agi en violation de celle-ci ; "alors, d'une part, que ces motifs qui ne caractérisent aucune circonstance de fait constitutive de l'infraction reprochée à la prévenue ne donnent aucune base légale à la déclaration de culpabilité ; "alors, d'autre part, que la contestation par Mme Z... de la légalité de la réglementation qu'on lui reproche d'avoir violée n'établit nullement que les faits qui lui sont reprochés et que l'on ignore sont véritablement constitutifs d'une infraction pénale" ; Les moyens étant réunis ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Rolande Z..., président-directeur général de la société des produits usagés recyclés (SPUR) a été poursuivie pour avoir, au cours de l'année 1985, vendu des huiles usagées au groupement d'intérêt économique (GIE) Nord-Picardie qui n'était pas agréé par l'Administration ; Attendu que, pour déclarer la prévenue coupable de cette infraction, les juges d'appel relèvent, par motifs propres et adoptés, que la société SPUR est agréée par l'autorité administrative pour collecter les huiles usagées dans quatre départements, que, selon les propres déclarations des prévenus, le GIE Nord-Picardie, qui n'est titulaire d'aucun agrément, a été constitué "pour contourner le monopole existant en matière de récupération des huiles" et que les huiles usagées qui lui ont été vendues en connaissance de cause par la société SPUR n'ont pas fait l'objet d'un traitement en vue de leur régénération et constituent des déchets au sens de l'article 1er de la loi du 15 juillet 1975 ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs et dès lors que la société SPUR n'est pas un simple détenteur mais d un ramasseur agréé la cour d'appel, quelle que soit la date à laquelle les faits ont été commis au cours de l'année 1985, a caractérisé en tous ses éléments le délit dont elle a déclaré la prévenue coupable ; D'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ; Sur le premier moyen additionnel de cassation pris de la violation des articles 5 et 6 de la directive 75/439 du 16 juin 1975 du traité CEE, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; "en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception d'illégalité de la réglementation française sur le ramassage des huiles usagées (décrets du 21 novembre 1979 et du 29 mars 1985) ; "aux motifs que si la Cour de justice des communautés européennes, par son arrêt n° 173/83 du 7 février 1985, a jugé qu'en excluant l'exportation des huiles usagées vers les autres Etats membres dans le système de ramassage et d'élimination instauré par le décret n° 79-981 du 21 novembre 1979 et ses deux arrêtés d'application du même jour, la République française avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 34 du traité CEE, il ne saurait être tiré argument des motifs de cet arrêt pour déduire que le gouvernement français aurait l'obligation d'autoriser, sur le territoire national, la revente des huiles usagées, par leurs détenteurs, non seulement aux éliminateurs proprement dits, mais aussi aux ramasseurs ayant obtenu une autorisation dans d'autres Etats membres conformément à l'article 6 de la directive 75/439 ; qu'en effet, la faculté donnée aux Etats membres, par l'article 5 de la directive, de confier à une ou plusieurs entreprises la collecte et/ou l'élimination des produits offerts par les détenteurs dans la zone qui leur est attribuée, exclut nécessairement, lorsqu'un Etat en fait usage, la possibilité pour des ramasseurs autorisés dans d'autres Etats d'intervenir dans les zones ainsi délimitées pour participer à la collecte des huiles usagées ; que la question de savoir si les détenteurs pouvaient au-delà de la frontière nationale remettre leurs huiles à des ramasseurs aussi bien qu'à des éliminateurs autorisés a trouvé sa solution par les modifications successivement apportées au décret du 21 novembre 1979 par ceux des 29 mars 1985, 24 mars 1989 et 31 août 1989, modifications qui ne remettent nullement en cause la d réglementation interne reconnue compatible avec la directive 75/439 par l'arrêt n° 240/83 du 7 février 1985 de la CJCE ; que compte tenu de l'éparpillement des détenteurs, le gouvernement français a pu légitimement décider en prenant le décret du 21 novembre 1979 et ses arrêtés d'application que le choix d'un ou plusieurs ramasseurs par département ou groupes de département était le seul moyen d'atteindre les objectifs définis par la directive 75/439 ; que la réglementation française n'est nullement contraire au droit communautaire puisqu'elle est la transcription exacte dans l'ordre juridique interne des principes résultant de cette directive ; "alors, d'une part, que l'article 240/83 du 7 février 1985 de la
Cour de justice des communautés européennes a jugé que l'interdiction de brûlage des huiles usagées à des conditions autres que celles permises dans le cadre d'une réglementation du type de la réglementation française n'est pas incompatible avec la directive 75/439 ; qu'ainsi, contrairement aux affirmations de l'arrêt attaqué, le "second arrêt" de la Cour de justice a reconnu non pas que la réglementation interne était compatible avec la directive 75/439 mais au contraire qu'elle ne l'était pas de sorte que l'arrêt attaqué est entaché d'une contradiction qui prive la déclaration de culpabilité de base légale ; "alors, d'autre part, et en tout état de cause que, à supposer correcte la lecture de l'arrêt 240/83 de la Cour de justice faite par la Cour de Douai, cette décision est, par son objet, étrangère à celui de la présente espèce ; qu'en effet, dans ledit arrêt, la Cour de justice a tranché de la compatiblité de l'interdiction de brûlage des huiles usagées avec la directive 75/439, cependant que la cour d'appel était saisie de la question de la légalité des poursuites du chef de ramassage et de remises des huiles usagées à tout autre qu'à l'exploitant d'une installation agréée ; que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait se fonder sur cette décision pour affirmer que la Cour de justice avait jugé que la réglementation française n'était pas contraire au droit communautaire ; "alors, de troisième part, que l'arrêt 240/83 du 7 février 1985 n'a pu reconnaître compatible avec le droit communautaire les décrets du 29 mars 1985, 24 mars 1989 et 31 août 1989 qui lui sont postérieurs ; qu'en tout état de cause, ces deux derniers textes entrés en vigueur postérieurement aux faits reprochés à Mme Z... ne pouvaient lui être appliqués ; d
"alors, de quatrième part, que l'article 5 de la directive 75/439 porte que la collecte et l'élimination des huiles usagées par des entreprises dans le cadre de zones qui leur sont attribuées par l'Administration supposent que ces objectifs ne peuvent être autrement atteints ; qu'en affirmant que compte tenu de l'éparpillement des détenteurs, le gouvernement français avait pu légitimement décider, en prenant le décret du 21 novembre 1979 et ses arrêtés d'application que, le choix de un ou plusieurs ramasseurs par départements ou groupes de départements était le seul moyen d'atteindre les objectifs définis par la direction sans rechercher si d'autres solutions plus conformes à la lettre et à l'esprit de la directive, c'est-à-dire une collecte libre évitant la réparation en zones géographiques d'exclusivité et du principe de la liberté du commerce et de l'industrie n'existaient pas, la cour d'appel n'a pas légalement justifié le rejet de l'exception d'illégalité" ; Attendu que la juridiction du second degré était saisie de
conclusions de la prévenue soutenant que la réglementation française interdisant la remise de déchets à un ramasseur non agréé était contraire au droit communautaire et au principe de la liberté du commerce et de l'industrie ; Attendu que, pour écarter cette exception, les juges d'appel retiennent, d'une part, que par arrêt n° 173/83, du 7 février 1985, la Cour de justice des communautés européennes a dit que les dispositions du décret du 21 novembre 1979 excluant l'exportation des huiles usagées vers d'autres Etats membres étaient contraires à l'article 34 du traité CEE, mais que ces dispositions ont été modifiées sur ce point par les décrets des 29 mars 1985, 24 mars 1989 et 31 août 1989, d'autre part que la réglementation imposant, sur le territoire national, la remise des huiles usagées à des ramasseurs agréés est conforme à l'article 5 de la directive n° 75/439 du 16 juin 1975 ; Attendu que les juges du second degré énoncent par ailleurs que le gouvernement français a pu légitimement décider que le choix d'un ou plusieurs ramasseurs par département ou groupe de départements était le seul moyen d'atteindre les objectifs définis par la directive précitée et visant à la protection de l'environnement ; Attendu qu'en l'état de ces motifs exempts d d'insuffisance, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; D'où il suit que le moyen doit être écarté ; Sur le second moyen additionnel de cassation pris de la violation des articles 5 et 6 de la directive 75/439 du 16 juin 1975, 34 et suivants et 178 du traité CEE, 593 du Code de procédure pénale, 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, défaut de motifs, manque de base légale ; "en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception préjudicielle tendant à ce qu'il soit sursis à statuer sur les faits reprochés à Mme Z... jusqu'à l'issue de l'action en manquement d'Etat engagée par la commission des communautés européennes contre la République française concernant le décret du 29 mars 1985 modifiant celui du 21 novembre 1979 ; "aux seuls motifs que la comission n'avait d'autre pouvoir que celui de saisir la Cour de justice des communautés européennes, éventualité qui ne justifiait pas qu'il soit sursis à statuer ; "alors, d'une part, que la Cour devait rechercher à quel stade exact se trouvait exactement la procédure en manquement d'Etat et si la commission des communautés européennes avait effectivement saisi la Cour de justice pour faire déclarer contraire au traité CEE et à la directive 75/439 la réglementation française interdisant la remise des huiles à un ramasseur non agréé, dont elle avait soulevé l'illégalité ; qu'en effet, au cas de saisine de la Cour de justice des communautés
européennes, le sursis à statuer s'imposait ; "alors, d'autre part, que l'article 6 de la directive 75/439 prévoit que seule l'élimination -et non le ramassage- des huiles usagées doit être effectuée par une entreprise agréée ; que, dès lors que, se pose la question de la conformité de la réglementation française relative au ramassage au droit communautaire et que cette question ne peut être tranchée par la juridiction nationale, il y a lieu, en application de l'article 177 alinéa 3 du traité CEE de demander à la Cour de justice des communautés européennes, à titre préjudiciel, si en imposant, pour les opérations de ramassage, l'obligation pour les détenteurs de remettre les huiles usagées à un ramasseur agréé de la Zone, cependant que l'article 6 de la direction n'exige d'autorisation que pour les d entreprises d'élimination, la réglementation française (articles 3 et 4 du décret n° 79-981 du 21 novembre 1979) n'a pas excédé les prescriptions du texte communautaire en y ajoutant des restrictions que celui-ci ne prévoit pas, portant ainsi atteinte aux articles et suivants du traité CEE" ; Attendu que les conclusions déposées par la prévenue demandaient en outre qu'il fût sursis à statuer en l'état de l'action exercée par la commission économique européenne à l'encontre de l'Etat français sur le fondement de l'article 169 du traité CEE ; Attendu que, pour écarter cette demande, les juges retiennent que l'action en manquement d'Etat engagée ne saurait en elle-même justifier qu'il soit sursis à statuer ; Attendu que statuant ainsi, la cour d'appel a donné une base légale à sa décision dès lors que, d'une part, aucune disposition légale ne fait obligation au juge national de surseoir à statuer sur les poursuites engagées lorsque la commission est saisie dans les conditions prévues par l'article 169 du traité CEE, et que, d'autre part, les juges ont à bon droit considéré que la compatibilité de la réglementation prévue par le décret du 21 novembre 1979 relative à l'agrément des entreprises exerçant une activité de ramassage avec l'article 5 de la directive 75/439 du 16 juin 1975 -relatif non seulement à l'élimination mais aussi à la collecte des déchets dans une zone déterminée- ne se heurtait à aucune difficulté sérieuse d'interprétation ; D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ; REJETTE le pourvoi.