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Décisions

Cass. crim., 30 janvier 2019, n° 18-82.589

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Pichon

Avocat général :

M. Salomon

Avocat :

SCP Marlange et de La Burgade

Fort-de-France, du 15 mars 2018

15 mars 2018


Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Michel X..., conseiller financier à la Banque des Antilles Françaises (BDAF), a proposé à M. Julien A... un montage financier en vue de l'obtention d'un prêt immobilier de 92 000 euros afin de financer fictivement l'achat d'un terrain et d'une maison par l'intermédiaire de la société civile immobilière Cape, créée pour la circonstance, avec la production de deux fausses factures, une première au nom de la société 2P2M international, gérée par Mme E... Y... et présidée par Mme Michèle Y..., et une autre, au nom de la société TA prestations services ; que le prêt ayant été accordé, la société civile immobilière a perçu les fonds qui ont été virés, pour une somme de 78 120 euros, à la société 2P2M, pour une somme de 13 880 euros, à la société TA, avant d'être remis en chèques, à hauteur de la somme de 20 000 euros, à M. A..., transférés à nouveau vers d'autres sociétés, ou utilisés par carte bancaire ou retraits d'espèces ; que M. X... et Mmes Y... ont été convoqués devant le tribunal correctionnel pour y être jugés des chefs de complicité de l'escroquerie commise par M. A... et blanchiment du produit direct de l'escroquerie ; qu'après avoir prononcé une relaxe pour les faits de blanchiment, le tribunal correctionnel a déclaré les prévenus coupables de complicité d'escroquerie et a condamné, M. X..., à six mois d'emprisonnement, 5 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction professionnelle, Mmes Y..., chacune, à 120 jours-amende de 25 euros ; que les prévenus et le ministère public ont interjeté appel ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la pris de la violation du principe Ne bis in idem, des articles 121-7, 313-1, 324-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale,

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... et Mmes Y... coupables de complicité d'escroquerie et de blanchiment, a condamné Mmes Y... à 120 jours-amendes d'un montant unitaire de 25 euros chacune, et M. X... à un emprisonnement délictuel de dix-huit mois avec sursis ainsi qu'une amende de 5 000 euros, a prononcé, à titre de peine complémentaire, à l'encontre de M. X... l'interdiction d'exercer l'activité professionnelle à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise pour une durée de cinq ans, en l'espèce conseiller financier, et les a condamnés à payer la somme de 83 470,20 euros à la partie civile ;

"aux motifs, propres, que sur le délit de complicité d'escroquerie :
(
) 1. M. X... Michel : que M. Hervé X..., le frère de M. Michel X... (relaxé pour blanchiment et condamné pour complicité d'escroquerie simple après requalification qui n'a pas interjeté appel) a reconnu le montage fictif suite à la demande de son frère et donc les deux fausses factures et les deux faux devis fin mai 2014 en vue l'obtention du prêt ; qu'en échange il a reçu le virement de 13 880 euros sur le compte de la société TA Prestation Service qu'il a aussitôt utilisé à des fins personnelles ; qu'il résulte des autres éléments du dossier, tels que décrits dans la relation des faits, en particulier des déclarations précises et corroborées par l'enquête de M. A... et Mme A..., sa fille, co-associée dans la société civile immobilière Cape pour le montage de l'opération frauduleuse, son rôle clé dans l'élaboration du dossier de crédit accordé à la société civile immobilière Cape et son intervention dans le virement des fonds ainsi libérés par la BDAF vers les comptes des sociétés TA Prestations Services et 2P2M, que M. X... s'est rendu coupable des faits de complicité d'escroquerie, commis entre le 26 mai 2014 et le 11 juin 2014 à Fort de France (972) ; qu'il suit que la déclaration de culpabilité le concernant sera confirmée de ce chef ;
2. Mmes Y... : que Mme Marie Antoinette Y... est gérante de plusieurs sociétés : société Madinina Kaz , société 2P2M International et société Burqtik Express et que Mme Michèle Y... est présidente des sociétés, société Madinina Kaz , société 2P2M International et société Burotik Express ; qu'il a été établi par l'enquête que M. A..., en grande difficultés financières, n'a jamais eu l'intention ni les moyens de réaliser un projet immobilier « maison en kit », ce qui est confirmé par sa fille Mme A..., lors de ses auditions, alors que les éléments relatifs à cette maison ont été livrés sur un terrain appartenant à une autre personne Mme (Nicole D...) et qu'enfin la remise de deux chèques de 8 000 et 12 000 euros à M. A... huit jours après la réception des fonds de la BDAF ainsi que le retrait d'espèces pour 21 000 euros dans les deux semaines qui ont suivi, caractérisent le délit de complicité d'escroquerie retenu par les premiers juges à leur égard ; sur le délit de blanchiment : que l'alinéa 2 de l'article 324-1 du code pénal punit le concours apporté à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit ; que l'opération incriminée doit porter sur le produit (direct ou indirect) de l'infraction préalable ; que ce texte rédigé en des termes très larges, elle permet de retenir dans les liens de la prévention tous ceux qui participent à une opération de blanchiment et que cette forme du délit peut donc être imputée à l'auteur de l'infraction principale et peut également être reproché au complice de l'auteur du crime ou du délit principal (Cass. Crim. 14 janvier 2004, n°03 81.165, Cass. Crim., 10 mai 2005, n°04 85.743, Cass. Crim., 2 juin 2010, n°09 82.013) – la Cour de cassation a approuvé la condamnation pour blanchiment d'une personne poursuivie pour escroquerie qui déposait les chèques provenant des escroqueries commises sur une compte en Belgique avant de rapatrier les sommes en France puis de la investir dans des opérations immobilières (Cass. Crim., 30 octobre 2013) ; qu'en outre l'article 324-1-1 du code pénal issu de l'article 8 de la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013, crée une présomption aux termes de laquelle « pour application de l'article 324-1, les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus » ; que cette présomption ne peut être irréfragable et que dès lors, dans l'hypothèse décrite, il appartient au prévenu de démontrer que les biens ou les revenus sur lesquels portent l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ont une origine licite ; qu'il en ressort que le blanchiment peut même, selon la jurisprudence être réalisé par tout acte de disposition ou d'administration ; qu'ainsi le blanchiment est également réalisé par le seul fait de déposer des fonds sur un compte bancaire (Cass. Crim., 11 février 2009 ; que concernant la notion de dissimulation dans les agissements de blanchiment, celle-ci ne doit pas s'entendre uniquement d'opérations matérielles mais peut également consister en des actes juridiques relevant de la simulation, les techniques employées variant évidemment selon la nature des biens en question et/ou les motivations du prévenu ; qu'il peut également s'agir d'un emprunt bancaire contracté par le blanchisseur et rembourser par l'agent principal grâce à des fonds blanchis par leur transfert sur le compte de l'acquéreur, l'acquisition étant ainsi dissimulée par un habillage juridique fictif (Cass. Crim., 10 octobre 2007) ; qu'il ressort de l'enquête que tant M. X... s'est rendu coupable de ce délit en faisant sciemment virer à partir du compte bancaire de la société civile immobilière Cape la somme de 78 euros à la société 2P2M et la somme de 13 880 euros à destination du compte de la société TA Prestations Services, géré par son frère Hervé ; qu'il résulte de l'enquête que Mmes Y... se sont sciemment rendues coupables de ce délit en recevant et faisant transiter par différents comptes la somme de 78 120 euros versée au nom de la société civile immobilière Cape vers les comptes des sociétés Burotik Express (5600) & Madinina Kaz (25 500 euros) ou encore en payant par carte bancaire la somme de 18 042 euros sur le compte de la société 2P2M International et enfin en retirant des espèces (7 000 euros) ; qu'il s'en évince que le jugement, qui énonce qu'il ne résulte pas des éléments du dossier et des débats que les éléments constitutifs des infractions de blanchiment soit constitués ou réunis, sera infirmé ;

"et aux motifs, à les supposer adoptés, que concernant Mmes Y... : que la situation financière de M. A... au cours du premier semestre 2014 rend incohérent l'existence de la réalisation d'un projet de construction immobilière par celui-ci ; que les déclarations de sa fille, Mme A..., co-associée de la société civile immobilière Cape, confirme l'absence de tout réel projet de cette nature ; que la référence sur le devis de la société 2P2M International du 10 avril 2014 et sur la facture de cette entreprise du 12 juin 2014 d'une maison en kit, dont les éléments sont entreposés suite à une livraison au courant du dernier trimestre 2013, sur un terrain du Lamentin (972) appartenant à Mme B... qui avait contacté les sociétés des soeurs Y... sur conseil de M. X... pour la construction d'une villa, l'établissement et la remise non pas d'un mais de deux chèques, l'un de 8 000 euros et l'autre de 12 000 euros, à M. A..., daté du 20 juin 2014, soit huit jours après la réception des fonds de la Banque des Antilles Françaises, le retrait en espèces du compte bancaire de la société 2P2M International, sans justification, de la somme totale de 21 000 euros dans les deux semaines qui ont suivi la réception du virement de la Banque des Antilles Françaises d'un montant de 78 120 euros établissent et caractérisent la participation de Mmes Y... aux faits de complicité d'escroquerie qui leurs sont reprochés ; (
) Concernant M. X... que la présence dans le dossier de demande de crédit de la société civile immobilière Cape de documents émanant de la société TA Prestations Services remis par son frères et de la société 2P2M International de Mmes Y..., personnes avec lesquels il entretient des relations professionnelles et société dont le siège social a pour adresse la même que celle de la société par actions simplifiée dont il est l'associé unique, la société Blue Label Communication Sasu, immatriculée depuis le 4 septembre 2013, les déclarations de M. et Mme A..., les déclarations de son frère M. Hervé X... en garde à vue sur sa demande d'établissement de fausse facture et de faux devis, son rôle dans l'élaboration du dossier de crédit présenté pour la société civile immobilière Cape, son suivi particulièrement attentif et réactif, puis dans la transmission des fonds sur les comptes de la société TA Prestation Services et de la société 2P2M International établissent et caractérisent son rôle d'instigateur des faits d'escroquerie commis par M. A... et l'assistance qu'il lui a apportée dans la commission de ceux-ci ;

"1°) alors que, des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes ; qu'en retenant que le fait pour M. X... d'avoir fait virer des fonds libérés par la BDAF vers les comptes des sociétés TA Prestations Services et 2P2M International constituait à la fois le délit de blanchiment et le délit de complicité d'escroquerie, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés ;

"2°) alors que, des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes ; qu'en retenant que le fait pour les prévenues d'avoir réalisé différents mouvements avec les fonds prêtés par la BDAF constituait à la fois le délit de blanchiment et le délit de complicité d'escroquerie, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés" ;

Sur le premier moyen pris en sa première branche ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale et le principe ne bis in idem ;

Attendu que, des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour infirmer le jugement et déclarer M. X... coupable de blanchiment, l'arrêt retient qu'il a sciemment fait virer les fonds libérés par la banque du compte bancaire de la société civile immobilière vers les sociétés 2P2M et TA ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de ses propres énonciations que l'intervention du prévenu, pour laquelle il a été déclaré coupable de complicité d'escroquerie, dans l'élaboration du dossier de crédit et les virements des fonds au profit des deux sociétés établissait son rôle d'instigateur des faits d'escroquerie et l'assistance qu'il a apportée dans leur commission, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, dans la limite de la prévention retenue à l'égard de la personne condamnée, des faits constitutifs de blanchiment distincts, n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Sur le premier moyen pris en sa seconde branche ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale et le principe ne bis in idem ;

Attendu que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour infirmer le jugement et déclarer Mmes Y... coupables de blanchiment, l'arrêt retient qu'elles ont reçu et fait transiter par différents comptes la somme de 78 120 euros versée par la société civile immobilière à la société 2P2M vers les comptes de sociétés tierces, Burotik Express et Madidina Kaz, ont effectué des paiements par carte bancaire et retiré des espèces ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte de ses propres énonciations que caractérisaient le délit de complicité d'escroquerie retenu à l'égard des prévenues, la référence sur le devis établi par la société 2P2M d'un projet immobilier que M. A... n'avait jamais eu l'intention de réaliser, la remise de chèques à M. A... et le retrait en espèces du compte de la société, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, dans la limite de la prévention retenue à l'égard des personnes condamnées, des faits constitutifs de blanchiment ne procédant pas de la même action unique, n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encore encourue de ce chef ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 15 mars 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Fort-de-France autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Fort-de-France et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.