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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 19 janvier 2023, n° 21/00725

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

DPC (SAS)

Défendeur :

Ingram Micro (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vitse

Conseillers :

Mme Cordier, Mme Fallenot

Avocats :

Me Le Roy, Me Groc, Me Druesne, Me Masse

T. com. Lille, du 26 nov. 2020, n° 20190…

26 novembre 2020

EXPOSE DU LITIGE

La société Ingram micro exerce une activité de grossiste spécialiste en produits de haute technologie.

La société DPC [Localité 3] exerce une activité de commerce de gros d'ordinateurs et d'équipements informatiques, périphériques, logiciels, consommables, papeterie et mobilier, vente et réparation informatiques aux particuliers et entreprises.

Ces deux sociétés sont entrées en relation d'affaires en février 2018, la première fournissant des produits à la seconde.

Dans la nuit du 16 au 17 décembre 2018, une commande d'un montant de 9 176,90 euros portant sur quatre téléphones portables haut de gamme a été passée sur le site internet de la société Ingram micro.

L'auteur de cette commande a usé de la raison sociale « DPC [Localité 3] ».

La société Ingram micro en a accusé réception le 17 décembre 2018 et les produits ont été livrés le lendemain à une adresse différente de celle de la société DPC [Localité 3].

Soutenant que l'auteur de la commande avait usurpé son identité, la société DPC [Localité 3] a déposé plainte contre X pour escroquerie et adressé à la société Ingram micro une attestation de non-réception de colis ainsi que le récépissé du dépôt de plainte.

Après avoir vainement mis en demeure la société DPC [Localité 3] de lui payer le montant de la facture correspondant à la commande litigieuse, la société Ingram micro l'a assignée devant le tribunal de commerce de Lille Métropole aux fins de voir :

« Vu les dispositions de l'article L. 441-6 du code de commerce, sur la communication des conditions générales de vente,

- Constater que la société INGRAM MICRO dispose à l'encontre de la société DPC [Localité 3] d'une créance certaine, liquide et exigible.

- Condamner par conséquent la société DPC [Localité 3] à lui payer la somme en principal de 9 195,74 €, outre les pénalités contractuelles de retard de 1,80 % par mois de retard à compter de la mise en demeure du 24 janvier 2019, ainsi que les dommages et intérêts forfaitaires égaux à 15 % du montant TTC impayé, soit 1 379,36 €.

Vu les dispositions de l'artic1e 700 du Code de Procédure Civile,

- Condamner la société DPC [Localité 3] au paiement d'une somme de 1 500 €,

Vu les dispositions des articles 696 et suivants du Code de Procédure Civile,

- Condamner la société DPC [Localité 3] aux entiers frais et dépens de l'instance. »

Par jugement du 26 novembre 2020, le tribunal de commerce de Lille Métropole a statué en ces termes :

DIT que les conditions générales de vente de la SAS INGRAM MICRO ont été acceptées par la SAS DPC [Localité 3], qu'elles lui sont opposables et qu'il n'y a pas de déséquilibre entre les droits et obligations des parties.

CONSTATE que la SAS INGRAM MICRO dispose à l'encontre de la SAS DPC [Localité 3] d'une créance certaine, liquide et exigible.

DEBOUTE la SAS DPC [Localité 3] de tous ses moyens, fins et conclusions.

CONDAMNE la SAS DPC [Localité 3] à payer à la SAS INGRAM MICRO la somme de 9 195,74 € en principal.

« DIT n'y avoir lieu à application des dispositions des articles L. 441-5 et L. 441-6 du Code de Commerce, dit les clauses pénales manifestement excessives et les réduit à la somme de 1 € et CONDAMNE donc la SAS DPC [Localité 3] à payer à la SAS INGRAM MICRO la somme de 1 €.

CONDAMNE la SAS DPC [Localité 3] à payer à la SAS INGRAM MICRO la somme de 1000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

CONDAMNE la SAS DPC [Localité 3] aux entiers dépens, taxés et liquidés à la somme de 73.24 € (en ce qui concerne les frais de Greffe), comprenant notamment les frais d'assignation, les frais de greffe et les frais de signification du jugement. »

Par déclaration du 1er février 2021, la société DPC [Localité 3] a relevé appel de l'ensemble des chefs du jugement.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 24 septembre 2021, la société DPC [Localité 3] demande à la cour de :

« INFIRMER le jugement de première instance en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau

DEBOUTER la société INGRAM MICRO de sa demande de paiement de la somme de 9 195,74 € ;

Sur l'appel incident

CONFIRMER le jugement de première instance en ce qu'il a débouté la société Ingram Micro de sa demande de condamnation au versement d'une indemnité au titre de la clause pénale ;

CONDAMNER la société INGRAM MICRO à payer à la société DPC [Localité 3] la somme de 4 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la société INGRAM MICRO aux entiers dépens. »

Elle fait valoir qu'aucun contrat-cadre, au sens de l'article L. 441-7 du code de commerce, ne régissait la commande litigieuse et qu'elle n'a pas accepté les conditions générales de vente jointes au formulaire d'engagement souscrit le 18 février 2018 en vue d'ouvrir un compte client auprès de la société Ingram micro, de sorte que celle-ci ne saurait lui opposer ses conditions générales de vente pour échapper à toute responsabilité.

Elle soutient que la société Ingram micro a manqué à son obligation de vigilance en donnant suite à une commande laissant apparaître une adresse IP, une adresse électronique et un lieu de livraison différents de ceux habituellement utilisés par sa cliente, laquelle ne passait au demeurant jamais commande de téléphones mobiles, ceux-ci n'entrant pas dans le champ de son activité commerciale.

Elle termine en soutenant que le manque de diligence de la société Ingram micro justifie en toute hypothèse de rejeter ses demandes formées au titre des pénalités de retard et dommages et intérêts forfaitaires.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 octobre 2021, la société Ingram micro demande à la cour de :

« Vu les articles 1104 et suivants du Code civil,

Confirmer le jugement rendu le 26 novembre 2020 par le Tribunal de commerce de LILLE METROPOLE en ce qu'il a condamné la société DPC [Localité 3] à payer à la société INGRAM MICRO la somme de 9.195,74 € en principal ;

Réformer le jugement du Tribunal de commerce de LILLE METROPOLE en ce qu'il a dit les clauses pénales manifestement excessives et les réduit à la somme d'1 € et condamner la société DPC [Localité 3] à payer à la société INGRAM MICRO les pénalités contractuelles de retard de 1,80 % par mois de retard à compter de la mise en demeure du 24 janvier 2019, ainsi que les dommages et intérêts forfaitaires égaux à 15 % du montant TTC impayé soit 1379.36 €.

Débouter la société DPC [Localité 3] de l'ensemble de ses demandes.

Vu l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la société DPC [Localité 3] au paiement d'une somme de 2.500 €.

Vu les articles 696 et suivants du Code de procédure civile,

Condamner la société DPC [Localité 3] aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel. »

Elle fait valoir que l'article L. 441-7 du code de commerce ne prévoit pas l'inopposabilité des conditions générales de vente au distributeur lorsque le contrat-cadre prévu par ce texte n'a pas été conclu. Elle ajoute que la société DPC [Localité 3] a reconnu avoir pris connaissances des conditions générales de vente dans son formulaire d'engagement du 18 février 2018 et précise qu'il n'est pas nécessaire que le cocontractant ait signé ou paraphé les conditions générales de vente elles-mêmes pour qu'elles lui soient opposables, la mention selon laquelle le contrat y renvoie valant acceptation de celles-ci.

Elle poursuit en indiquant que les conditions générales de vente liant les parties prévoient expressément qu'elle ne peut être tenue responsable des pertes subies par son client s'il est victime d'une fraude, tandis que les conditions d'utilisation de son site internet, également acceptées par la société DPC [Localité 3], excluent toute garantie du fournisseur en cas d'utilisation frauduleuse du compte client du distributeur.

Elle considère qu'à supposer même ces conditions générales et d'utilisation inopposables, sa responsabilité ne saurait être engagée, dès lors que la société DPC [Localité 3] a reçu un courriel de confirmation de la commande litigieuse et qu'elle n'a émis aucune contestation en réponse, outre qu'elle n'était pas tenue de vérifier l'adresse IP de l'émetteur de la commande, la typologie du matériel commandé ou encore l'adresse de livraison, observant à cet égard que la société DPC [Localité 3] avait précédemment sollicité la livraison de matériel à une adresse différente de la sienne. Elle estime que l'auteur de l'escroquerie est seul responsable du préjudice subi par la société DPC [Localité 3] à la suite du piratage de son compte client.

Elle termine en considérant que l'opposabilité des conditions générales de vente justifie de condamner la société DPC [Localité 3] au paiement des pénalités de retard et indemnité forfaitaire que les premiers jugent ont injustement écartées.

Après avoir suscité les observations des parties sur la recevabilité de l'appel devant la cour d'appel de Douai au vu des dispositions des articles L. 442-4, III, et D. 442-3 du code de commerce, le conseiller de la mise en état a, par ordonnance d'incident du 28 avril 2002, dit que cette cour n'était pas incompétente pour connaître du présent litige et l'appel recevable, dès lors qu'il résultait des écritures signifiées par les parties et malgré les termes de la déclaration d'appel, qu'aucune d'elles n'invoquait plus devant la cour les moyens fondés sur l'existence de pratiques restrictives de concurrence dans leur relation contractuelle et notamment l'existence d'un déséquilibre significatif.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 27 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

La société DPC [Localité 3] ne conteste pas que la vente litigieuse a été conclue à l'aide de son compte client, mais soutient que la société Ingram micro a commis une faute engageant sa responsabilité, sans pouvoir lui opposer une cause exonératoire tirée de ses conditions générales de vente, dont l'examen apparaît ainsi préalable.

I. Sur les conditions générales de vente

Après avoir évoqué l'opposabilité des conditions générales de vente litigieuses (I.1), il conviendra de s'interroger sur leur contenu (I.2).

I.1. Sur l'opposabilité des conditions générales de vente

La société DPC [Localité 3] soutient que les conditions générales de vente lui sont inopposables, au double motif qu'aucun contrat-cadre n'a été conclu (I.1.1) et que celles-ci n'ont pas été signées ou paraphées (I.1.2).

I.1.1 Sur l'absence de contrat-cadre

Il résulte de l'article L. 441-7 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige, soit celle issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, qu'une convention écrite annuelle conclue entre le fournisseur et le distributeur indique les obligations auxquelles se sont engagées les parties, en vue de fixer le prix à l'issue de la négociation commerciale.

Etablie soit dans un document unique, soit dans un ensemble formé par un contrat-cadre et des contrats d'application, une telle convention comporte trois volets : 1°/ un accord fixant les conditions de l'opération de vente des produits ou services dans le respect de l'article L. 441-6 du code de commerce ; 2°/ un accord déterminant les services rendus par le distributeur ou le prestataire à l'occasion de la commercialisation des produits ou service ; 3°/ un accord fixant les autres obligations négociées entre le fournisseur et le distributeur.

L'établissement d'une telle convention implique une certaine permanence de la relation commerciale, de sorte qu'elle ne s'impose pas dans les premiers mois de collaboration entre fournisseur et distributeur, les conditions générales de vente, telles que prévues à l'article L.441-6 du code de commerce, pris dans sa rédaction précitée, pouvant alors être communiquées via un autre support.

En l'espèce, la société DPC [Localité 3] a ouvert un compte client auprès de la société Ingram micro en février 2018, de sorte qu'au jour de la vente litigieuse, la faible ancienneté de la relation d'affaires n'imposait pas l'établissement d'un contrat-cadre intégrant les conditions générales de vente. Celles-ci ont été autrement et valablement communiquées au distributeur, ainsi qu'il sera dit ci-après.

I.1.2. Sur l'absence de signature ou de paraphe

L'article 1119 du code civil dispose que « les conditions générales invoquées par une partie n'ont effet à l'égard de l'autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées ».

Il est de jurisprudence constante que les conditions générales de vente sont opposables à une partie, dès lors qu'elle a apposé sa signature sous la mention précisant qu'elle reconnaît en avoir pris connaissance et les avoir acceptées, sans qu'il soit alors nécessaire de parapher les conditions générales de ventes elles-mêmes.

En l'espèce, il ressort des pièces produites que, le 18 février 2018, le représentant de la société DPC [Localité 3] a apposé sa signature au bas d'un document intitulé « Formulaire d'engagement en vue de l'ouverture d'un compte auprès d'INGRAM MICRO », un tel formulaire comportant la mention suivante :

« Par la signature de ce document, la société DPC [Localité 3] représentée par [D] [T] reconnaît avoir reçu un exemplaire, pris connaissance et accepté :

* les conditions générales de vente d'INGRAM MICRO (y compris son annexe sur les frais de transport) [...] »

Ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges, une telle reconnaissance rend opposables à la société DPC [Localité 3] les conditions générales de vente en débat, dont il n'est au demeurant pas soutenu que la version applicable au jour de la vente litigieuse serait différente de celle acceptée au jour de la signature du formulaire précité.

La résolution du présent litige commande d'ajouter qu'il résulte du même formulaire que son signataire a également reconnu avoir reçu un exemplaire, pris connaissance et accepté « * les conditions d'accès et d'utilisation du site Web INGRAM MICRO.FR [...] », lesquelles seront évoquées plus loin.

I.2. Sur le contenu des conditions générales de vente

L'article L. 441-6 du code de commerce, pris dans sa rédaction précitée, dispose que « les conditions générales de vente constituent le socle unique de la négociation commerciale ». Dûment acceptées, elles s'imposent donc aux parties et régissent leurs rapports réciproques.

En l'espèce, les conditions générales de vente litigieuses prévoient :

« 7. Livraison, frais et risques

INGRAM MICRO n'a aucune obligation de vérifier si le client ou les commandes passées par celui-ci font l'objet d'une activité frauduleuse ou de toutes autres activités criminelles voire de tentatives frauduleuses de la part du client final ou de tiers ».

Tandis que les conditions d'accès et d'utilisation du site internet de la société Ingram micro, précédemment évoquées, prévoient :

« Commandes

3. Les Conditions Générales de Vente d'Ingram Micro s'appliquent à toute commande passée par le client via le système. Le client renonce expressément à tout droit de contester la validité d'un contrat conclu à l'aide du système en accord avec les présentes conditions pour le seul motif de sa conclusion via le système.

Responsabilité et indemnisation

1. Le client est entièrement et inconditionnellement responsable de tout accès ou emploi illégitime du système et de ses moyens d'identification, ainsi que de toute conséquence directe ou indirecte d'un tel accès ou emploi illégitime. »

Il résulte de tout ce qui précède que les conditions générales de vente et d'utilisation du site internet de la société Ingram micro excluent sa responsabilité en cas d'usage frauduleux du compte de l'un de ses clients.

Le moyen tiré du manque de vigilance de la société Ingram micro lors de la vente litigieuse est donc inopérant et la décision des premiers juges doit être confirmée en ce qu'elle condamne la société DPC [Localité 3] à en payer le prix, dont le montant en principal n'est pas contesté.

II. Sur les pénalités de retard et les dommages et intérêts forfaitaires

L'article 1231-5 du code civil dispose que, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. Le même texte prévoit que le juge peut, néanmoins, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

En l'espèce, l'article 14 des conditions générales de vente de la société Ingram micro prévoient que le défaut de paiement total ou partiel d'une facture entraîne de plein droit l'allocation au vendeur de dommages et intérêts forfaitaires égaux à 15 % du montant T.T.C. impayé ainsi que des pénalités de retard au taux contractuel de 1,80 % par mois.

La société Ingram micro demande le paiement de ces sommes, constitutives de pénalités au sens des dispositions précitées du code civil.

De telles pénalités apparaissent toutefois manifestement excessives au regard du préjudice réellement subi par la société Ingram micro et leur montant sera en conséquence ramené à la somme de 1 euro, la décision des premiers juges étant confirmée de ce chef.

III. Sur les dépens et les frais irrépétibles

L'issue du litige justifie de confirmer le jugement entrepris sur les dépens de première instance et de condamner la société DPC [Localité 3] aux dépens d'appel.

L'équité commande de rejeter les demandes formées au titre des frais irrépétibles, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il condamne la société DPC [Localité 3] à payer à la société Ingram micro la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société DPC [Localité 3] aux dépens d'appel.