Livv
Décisions

Cass. com., 28 avril 2004, n° 03-15.415

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Paris, du 14 mai 2003

14 mai 2003

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que, titulaire d'un brevet français n° 93 12166, enregistré sous le n° 2.711.230, couvrant un procédé de régulation de chauffage et dispositif programmable correspondant, la société Atlantic a poursuivi les sociétés Applimo, Campa et Noirot pour avoir fabriqué et commercialisé des cassettes programmables destinées à équiper des convecteurs, et constituant, à son sens, la contrefaçon de ce brevet, pour en reproduire les revendications n° 1 à 7 ; que ces sociétés ont objecté la nullité de ces revendications, l'absence de reproduction du dispositif breveté et l'indépendance des convecteurs par rapport à cette invention ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que les sociétés Applimo, Campa et Noirot font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur action en nullité de la revendication 1 du brevet français dont la société Atlantic est titulaire, alors, selon le moyen :

1 / qu'elles faisaient valoir comme premier moyen de nullité l'absence de nouveauté de la revendication 1, ainsi que cela ressort spécialement des pages 3, 6, 7 et 13 des conclusions signifiées les 12 mars 2003, étant observé d'ailleurs que la société Atlantic s'est attachée à longueur d'écritures à tenter de démontrer que son brevet était nouveau, ce qui fait ressortir de plus fort que le moyen tiré de l'absence de nouveauté saisissait bien la cour d'appel, étant observé que le dispositif des conclusions n'est pas le seul lieu procédural où doit figurer un moyen de nullité ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel méconnaît les termes du litige dont elle était saisie, et partant, viole l'article 4 du nouveau Code de procédure civile, ensemble le principe dispositif ;

2 / que la renonciation à un moyen tiré de l'absence de nouveauté d'un brevet doit être expresse et non équivoque ; qu'en affirmant que dans ses dernières écritures, les sociétés Applimo, Campa et Noirot auraient renoncé au moyen tiré de l'absence de nouveauté alors qu'à l'inverse, elles avaient produit d'autres documents pour démontrer de plus fort que le brevet Atlantic invoqué était nul pour défaut de nouveauté, spécialement en ce qui concerne la revendication n° 1, la cour d'appel, qui ne caractérise pas une renonciation à se prévaloir d'un moyen de défense drastique, ne justifie pas légalement son arrêt au regard de l'article L. 611-11 du Code de la propriété intellectuelle et de l'article 71 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / que la cour d'appel affirme qu'il est expressément renvoyé au jugement déféré pour l'exposé de l'art antérieur qui n'est pas contesté par les parties ; alors qu'à l'inverse, non seulement son état antérieur était contesté, mais encore les sociétés Applimo, Campa et Noirot avaient invoqué deux documents nouveaux pour démontrer l'absence de nouveauté notamment à savoir le document Noirot référencé 7386 et un brevet français n° 2.496.925 publié le 25 juin 1982 (cf. notamment p. 3 des conclusions signifiées le 12 mars 2003) ; qu'ainsi, l'art antérieur était contesté par les parties la société Atlantic en avait pris l'exacte mesure ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel viole de plus fort l'article 4 du nouveau Code de procédure civile, ensemble méconnaît ce que postule le principe du dispositif ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'en constatant que dans leurs dernières écritures, les sociétés Applimo, Campa et Noirot renonçaient à opposer le défaut de nouveauté de la revendication 1, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de caractériser autrement l'absence d'un tel moyen de défense, a exactement apprécié les termes du litige qui lui était soumis, dès lors que ces sociétés indiquaient dans ces conclusions que l'objet de cette revendication était déjà tout entier contenu dans l'état de la technique illustré par le brevet Anectron, sauf en ce que le programme journalier était découpé en tranches d'une heure, au lieu de l'être en tranches de deux heures, d'où suivait la reconnaissance de cet élément nouveau, dont seul le caractère inventif pouvait dès lors donner lieu à débat ;

Et attendu, en second lieu, qu'en "renvoyant au jugement déféré pour l'exposé de l'art antérieur qui n'est pas contesté par les parties", la cour d'appel, qui a d'ailleurs examiné les documents nouvellement produits devant elle, a constaté, non point que l'état de la technique antérieure n'étaitpas contesté, mais que l'exposé qu'en avait fait le tribunal au vu des pièces produites en première instance ne l'était pas ;

D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa troisième branche, n'est pas fondé en ses deux autres branches ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que les sociétés Applimo, Campa et Noirot font encore grief à l'arrêt d'avoir jugé valable la revendication 1 du brevet Atlantic et d'avoir dit qu'elles s'étaient rendues auteurs de contrefaçon de ladite revendication, ensemble des revendications 1 à 7, alors, selon le moyen :

1 / qu'il ressort de la revendication n° 1 du brevet Atlantic n° 93.12166 et spécialement des a) et b) de la dite revendication que contrairement à ce qu'affirme la cour d'appel, la modulation du chauffage électrique se faisait par le double effet d'un maniement de micro-interrupteurs journaliers et hebdomadaires, en sorte que, comme cela a déjà été avancé (p. 6 des conclusions d'appel signifiées le 12 mars 2003), le procédé considéré ne permettait nullement d'affecter à chacun des jours de la semaine un programme qui serait différent d'un jour à l'autre, soit un total de sept programmes journaliers distincts ;

qu'ainsi, la cour d'appel, en statuant comme elle l'a fait, méconnaît la loi du brevet Atlantic et dénature la revendication n° 1, violant ce faisant l'article 1134 du Code civil, ensemble les règles et principes qui gouvernent la dénaturation d'un écrit clair ;

2 / que de la démonstration des sociétés Applimo, Campa et Noirot qui insistaient sur le fait que la revendication 1 ne permettait nullement d'affecter à chacun des jours de la semaine un programme qui serait différent d'un jour à l'autre et que le seul élément qui différencie la prétendue invention de l'art antérieur tel que définie par le brevet lui-même, consiste dans le fait, pour chaque jour de la semaine au choix d'exécuter un programme de chauffage donné ou de ne pas l'exécuter (cf. p. 6 des conclusions signifiées le 12 mars 2003), la cour d'appel ne devait que s'expliquer sur cette démonstration critiquant l'analyse des premiers juges et directement en prise avec la revendication 1 ; qu'ainsi l'arrêt n'est pas légalement justifié au regard de l'article L. 611-11 du Code de la propriété intellectuelle, violé ;

3 / que lorsque la cour d'appel analyse le brevet Anectron invoqué spécialement au titre d'une antériorité, elle relève en premier lieu que "les premiers juges ont relevé exactement que ce brevet organise une programmation journalière divisée en tranches horaires qui permet de faire varier la température d'une tranche horaire à l'autre ; que ce dispositif autorise également à déroger au programme journalier en imposant des conditions de chauffage uniforme pendant toute la journée considérée ; que par ailleurs, il prévoit la possibilité de programmations différentes en fonction des zones géographiques correspondant à des parties distinctes de l'habitation devant bénéficier de programmes de chauffage différent", et constate en second lieu que "contrairement à ce que prétendent les sociétés Applimo, Campa et Noirot, les deux rangées de 12 micro-interrupteurs que montre la figure 3, face aux références Z I et Z II, ne sont pas destinées à régler un programme journalier différent selon les jours de la semaine, mais à obtenir un programme différent selon les zones d'habitation ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel se contredit en fait et partant méconnaît les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

4 / qu'en affirmant que les deux rangées de 12 micro-interrupteurs que montre la figure 3, face aux références Z I et Z II du brevet Anectron, invoquées à titre d'antériorité, ne sont pas destinées à régler un programme journalier différent selon les zones de l'habitation, la cour d'appel dénature le brevet Anectron qui à l'inverse organise une programmation journalière divisée en tranches horaires qui permet de faire varier la température d'une tranche horaire à l'autre ;

qu'ainsi, la cour d'appel viole l'article 1134 du Code civil, ensemble méconnaît les règles et principes qui gouvernent la dénaturation d'un écrit clair ;

Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a souverainement apprécié, non point le sens de la revendication n° 1, dont elle a exactement reproduit les termes, mais sa portée au regard notamment de la description de l'invention et des dessins figurant à la demande de brevet, et ne s'étant ainsi livrée à aucune interprétation susceptible d'impliquer une dénaturation, a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en deuxième lieu, que ne sont pas entachés de contradiction les motifs retenant, d'une part, que le brevet cité à titre d'antériorité organise une programmation journalière divisée en tranches horaires qui permet de faire varier la température d'une tranche horaire à l'autre, et, d'autre part, que certains de ses autres moyens sont destinés, non pas à régler un programme journalier différent selon les jours de la semaine, mais à obtenir, également, un programme différent selon les zones d'habitation, dès lors qu'il résulte de ces motifs que l'obtention de deux effets différents et autonomes sont ainsi revendiqués par ce même brevet ;

Et attendu, enfin, qu'ayant constaté que le brevet cité à titre d'antériorité comportait des caractéristiques relatives, pour les unes, à la programmation journalière de la température, pour les autres, à la régulation de celle-ci quant aux diverses zones d'habitation, la cour d'appel n'a pas dénaturé les termes de ce brevet en retenant que les micro-interrupteurs faisant l'objet du débat n'étaient relatifs qu'à cette seconde fonction ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé en sa quatrième branche et manque en fait en ses trois autres branches ;

Sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que les sociétés Applimo, Campa et Noirot reprochent encore à l'arrêt d'avoir décidé qu'elles ont commis des actes de contrefaçon des revendications 1 à 7 du brevet dont la société Atlantic est titulaire, alors, selon le moyen :

1 / que la cassation qui ne manquera pas d'être prononcée s'agissant du premier et ou du deuxième moyen entraînera par voie de conséquence l'annulation de l'arrêt en ce qu'il juge valables les revendications 2 à 7 du brevet Atlantic n° 93.12166 et ce en application de l'article 624 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / que dans leurs écritures signifiées le 12 mars 2003, les sociétés Applimo, Campa et Noirot faisaient valoir que la revendication 4 devait être annulée, la prévision d'une horloge réglable au moyen de deux touches de sélection et de validation étant déjà connue par le convecteur programmeur 7386, voire par le brevet Anectron (cf. p. 16 des conclusions signifiées le 12 mars 2003) ; qu'en ne répondant pas à ce moyen de nature à voir déclarer nulle la revendication n° 4, la cour d'appel méconnaît ce qu'implique l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / qu'il était également soutenu que la revendication 5 était d'une entière banalité, l'alimentation du programmateur par le secteur ou par une pile ou batterie étant en outre envisagée dans le brevet Anectron (cf. page 3 lignes 16 à 20) en sorte que la revendication en cause devait être annulée (cf. page 16 des conclusions signifiées le 12 mars 2003) ;

qu'en ne répondant pas davantage à ce moyen, la cour d'appel viole de plus fort l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

4 / qu'il était avancé que l'objet de la revendication 6 est connu par le convecteur programmateur 7386 où le module de commande est détachable et embrochable sur l'appareil de chauffage, que cette revendication sera dès lors également annulée (cf. page 16 des conclusions signifiées le 12 mars 2003) ; qu'en ne consacrant pas davantage de motifs à cet aspect de la démonstration, la cour d'appel viole l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que le pourvoi ayant été rejeté en ses premier et deuxième moyens, il doit l'être également en ce qu'il est pris d'une cassation par voie de conséquence ;

Attendu, en second lieu, qu'en énonçant que les revendications n° 4 à 7, dépendantes de la revendication n° 3, jugée valable, sont par là-même valables, la cour d'appel, qui a statué par décision motivée, n'était pas tenue de répondre à des conclusions que cette solution rendait inopérantes ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses quatre branches ;

Et sur le cinquième moyen :

Attendu que les sociétés Applimo, Campa et Noirot font enfin grief à l'arrêt de les avoir condamnées in solidum à verser à la société Atlantic une somme complémentaire de 50 000 euros au titre des frais irrépétibles, alors, selon le moyen, que les exigences d'un procès équitable font que les condamnations au titre des frais irrépétibles doivent rester mesurées ; qu'une condamnation à ce titre à hauteur de 50 000 euros dépasse la mesure et est de nature à constituer une entrave dans le libre accès au juge en sorte qu'une telle condamnation postule une motivation spécifique pour satisfaire aux exigences de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble à l'équité du procès ; qu'en se contentant d'une affirmation pour condamner au paiement d'une somme complémentaire de 50 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel ne justifie légalement son arrêt au regard de l'article 6-1 précité, ensemble de l'équité du procès ;

Mais attendu que les sociétés Applimo, Campa et Noirot ayant elles-mêmes réclamé paiement d'une indemnité de 100 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles, elles ne peuvent faire grief d'une condamnation prononcée pour un montant moindre que la cour d'appel a discrétionnairement fixé ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 613-4 du Code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour prononcer condamnation sur le fondement du texte susvisé, l'arrêt constate que le brevet dont la société Atlantic est titulaire décrit l'incorporation du module de programmation, objet de l'invention, dans un réseau de chauffage, qu'il définit la coopération de ce module avec les appareils de chauffage, que la mise en oeuvre du procédé suppose que l'appareil soit apte à recevoir le programmateur par "enfichage", que les notices de la cassette contrefaisante précisent qu'une fois la cassette programmée, elle est prête à donner des informations à tout type d'appareil de la gamme et qu'il faut ajuster le programmateur dans le logement du boîtier jusqu'à son encliquetage ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le brevet ne couvre qu'un dispositif de programmation, et non les convecteurs sur lesquels il peut être adapté, ce dont il résultait que l'offre à la vente de convecteurs propres à recevoir le dispositif contrefait ne constituait pas la fourniture des moyens de mettre en oeuvre l'invention et se rapportant à un élément essentiel de celle-ci, la cour d'appel a violé le texte susvisé par fausse application ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du quatrième moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a prononcé condamnation sur le fondement de l'article L. 613-4 du Code de la propriété intellectuelle, l'arrêt rendu le 14 mai 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

Condamne la société Atlantic aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette sa demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit avril deux mille quatre.