CC, 6 mai 2011, n° 2011-125 QPC
CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 75-701 DC du 6 août 1975 modifiant et complétant certaines dispositions de procédure pénale, notamment son article 7 ;
Vu la loi n° 81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, notamment ses articles 47 et 51, ensemble la décision du Conseil constitutionnel n° 80-127 DC du 20 janvier 1981 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-80 QPC du 17 décembre 2010 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant, par Me Éric Plouvier, avocat au barreau de Paris, enregistrées les 21 et 23 mars 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 22 mars et le 6 avril 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 393 du code de procédure pénale : « En matière correctionnelle, après avoir constaté l'identité de la personne qui lui est déférée, lui avoir fait connaître les faits qui lui sont reprochés et avoir recueilli ses déclarations si elle en fait la demande, le procureur de la République peut, s'il estime qu'une information n'est pas nécessaire, procéder comme il est dit aux articles 394 à 396.
« Le procureur de la République informe alors la personne déférée devant lui qu'elle a le droit à l'assistance d'un avocat de son choix ou commis d'office. L'avocat choisi ou, dans le cas d'une demande de commission d'office, le bâtonnier de l'Ordre des avocats, en est avisé sans délai.
« L'avocat peut consulter sur-le-champ le dossier et communiquer librement avec le prévenu.
« Mention de ces formalités est faite au procès-verbal à peine de nullité de la procédure » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 803-2 du même code : « Toute personne ayant fait l'objet d'un défèrement à l'issue de sa garde à vue à la demande du procureur de la République comparaît le jour même devant ce magistrat ou, en cas d'ouverture d'une information, devant le juge d'instruction saisi de la procédure. Il en est de même si la personne est déférée devant le juge d'instruction à l'issue d'une garde à vue au cours d'une commission rogatoire, ou si la personne est conduite devant un magistrat en exécution d'un mandat d'amener ou d'arrêt » ;
3. Considérant que, selon le requérant, l'article 803-2, applicable à tout défèrement à l'issue d'une garde à vue, et l'article 393, propre à la convocation par procès-verbal et à la procédure de comparution immédiate, ont pour effet de permettre que la personne suspectée d'avoir commis une infraction soit présentée, à l'issue de sa garde à vue, devant un magistrat du parquet qui peut recueillir ses déclarations et en faire usage dans la suite de la procédure pénale sans que cette personne ait eu accès au dossier de la procédure et soit assistée d'un avocat ; que, par suite, ces dispositions porteraient atteinte aux droits de la défense et au principe de séparation des pouvoirs ;
4. Considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant la procédure pénale ; qu'aux termes de son article 66 : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ;
5. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale ; que, s'agissant de la procédure pénale, cette exigence s'impose notamment pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions ;
6. Considérant, en outre, qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la poursuite des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figurent le respect des droits de la défense, qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789, et la liberté individuelle que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire ;
- SUR L'ARTICLE 803-2 :
7. Considérant que le défèrement de la personne à l'issue de la garde à vue en application des articles 63, alinéa 3, et 77, alinéa 3, du code de procédure pénale et selon les modalités prévues par son article 803-2 est une mesure de contrainte nécessaire à l'exercice des poursuites et à la comparution des personnes poursuivies devant les juridictions de jugement ; que, toutefois, elle doit être accompagnée de garanties appropriées ;
8. Considérant que l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet ; qu'à l'expiration de la période de garde à vue, le procureur de la République peut demander que la personne soit déférée afin de comparaître le jour même ; que la période comprise entre la fin de la garde à vue et le moment où la personne comparaît devant lui est placée sous son contrôle ; que ce magistrat peut décider du moment de sa comparution et de sa remise en liberté ; qu'en cas de mise en œuvre de la procédure de comparution immédiate selon les modalités prévues par les articles 395 et suivants du code de procédure pénale, la personne est aussitôt placée sous le contrôle de la juridiction qui dispose des mêmes pouvoirs ; que, dans sa décision du 17 décembre 2010 susvisée relative à l'article 803-3 du code de procédure pénale, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la privation de liberté nécessaire à la présentation de la personne devant un magistrat à l'issue de sa garde à vue et, le cas échéant, le lendemain de celle-ci ; qu'il résulte de ce qui précède qu'en permettant qu'une personne déférée à l'issue de sa garde à vue soit présentée le jour même à un magistrat du parquet, l'article 803-2 du code de procédure pénale ne méconnaît pas les exigences constitutionnelles précitées ;
- SUR L'ARTICLE 393 :
9. Considérant que les articles 47 et 51 de la loi du 2 février 1981 susvisée ont, pour le premier, abrogé les articles 71 à 71-3 du code de procédure pénale qui permettaient au procureur de la République d'interroger la personne déférée et de la placer sous mandat de dépôt jusqu'à sa comparution devant le tribunal et, pour le second, donné une nouvelle rédaction de l'article 393 du même code ; qu'ils ont, ce faisant, supprimé le droit, reconnu par la loi du 6 août 1975 susvisée à la personne présentée devant le procureur de la République en vue d'être traduite devant le tribunal correctionnel, de demander à bénéficier de l'assistance d'un avocat ;
10. Considérant qu'au considérant 34 de sa décision du 20 janvier 1981 susvisée, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné ces dispositions ; qu'à l'article 2 du dispositif de cette même décision, il les a déclarées conformes à la Constitution ;
11. Considérant, toutefois, que, par sa décision du 30 juillet 2010 susvisée, le Conseil constitutionnel a déclaré les articles 62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du code de procédure pénale contraires à la Constitution notamment en ce qu'ils permettent que la personne gardée à vue soit interrogée sans bénéficier de l'assistance effective d'un avocat ; que cette décision constitue un changement des circonstances de droit justifiant le réexamen de la disposition contestée ;
12. Considérant, d'une part, que les articles 40 et suivants du code de procédure pénale confèrent au procureur de la République le pouvoir soit de mettre en œuvre l'action publique et, dans ce cas, de décider du mode de poursuite qui lui paraît le plus adapté à la nature de l'affaire, soit de mettre en œuvre et de choisir une procédure alternative aux poursuites, soit de classer sans suite ; que le défèrement de la personne poursuivie devant le procureur de la République en application de l'article 393 a pour seul objet de permettre à l'autorité de poursuite de notifier à la personne poursuivie la décision prise sur la mise en œuvre de l'action publique et de l'informer ainsi sur la suite de la procédure ; que le respect des droits de la défense n'impose pas que la personne poursuivie ait accès au dossier avant de recevoir cette notification et qu'elle soit, à ce stade de la procédure, assistée d'un avocat ;
13. Considérant, d'autre part, que l'article 393 impartit au procureur de la République de constater l'identité de la personne qui lui est déférée, de lui faire connaître les faits qui lui sont reprochés, de recueillir ses déclarations si elle en fait la demande et, en cas de comparution immédiate ou de comparution sur procès-verbal, de l'informer de son droit à l'assistance d'un avocat pour la suite de la procédure ; que cette disposition, qui ne permet pas au procureur de la République d'interroger l'intéressé, ne saurait, sans méconnaître les droits de la défense, l'autoriser à consigner les déclarations de celui-ci sur les faits qui font l'objet de la poursuite dans le procès-verbal mentionnant les formalités de la comparution ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au considérant précédent, l'article 393 du code de procédure pénale n'est pas contraire aux droits de la défense ;
15. Considérant que les articles 393 et 803-2 du code de procédure pénale ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 13, l'article 393 du code de procédure pénale est conforme à la Constitution.
Article 2.- L'article 803-2 du même code est conforme à la Constitution.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.