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Décisions

Cass. crim., 30 mars 2016, n° 15-81.550

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

M. Monfort

Avocat général :

Mme Caby

Avocat :

SCP Boré et Salve de Bruneton

Poitiers, du 19 févr. 2015

19 février 2015

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à la suite d'un contrôle routier concernant M. X..., l'enquête menée par les gendarmes a établi que l'intéressé, qui disait disposer de faibles revenus, exerçait en réalité une activité artisanale de réfection de toitures, sans avoir procédé aux déclarations sociale et fiscale obligatoires, percevait, de même que sa compagne, Mme Y..., des prestations sociales indues, et menait un train de vie confortable, Mme Y... étant propriétaire d'une maison évaluée à 330 000 euros ; que, poursuivis devant le tribunal correctionnel, M. X... a été déclaré coupable de travail dissimulé, de déclarations mensongères à une administration publique et de faux, et Mme Y... coupable de déclarations mensongères et de blanchiment aggravé ; que les prévenus et le ministère public ont relevé appel ;

En cet état :

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1er du 1er Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 et 324-7 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt a ordonné, à titre de peine complémentaire, la confiscation de la maison et du terrain d'assiette appartenant à Mme Y..., situés ...à Chauray (79), cadastré section AE n° 10 ;

" aux motifs qu'aux termes de l'article 324-7, 12°, du code pénal, les personnes physiques coupables, telles Mme Y..., de blanchiment ou de blanchiment aggravé encourent également, à titre de peine complémentaire, la confiscation de tout ou partie de leurs biens quelle qu'en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis ; que ce texte n'exige pas, pour que la confiscation soit possible, que le bien sur lequel elle porte ait été acquis avec les produits du délit principal ni même pendant la durée de la prévention visant ce délit ; qu'il suffit que l'auteur du blanchiment soit propriétaire du bien confisqué ; que, surabondamment, le paiement du terrain d'assiette de la maison de Chauray est toujours en cours de remboursement et les travaux de construction de cette habitation ne sont toujours pas terminés ; que c'est M. X... qui finance et a, pendant la période de prévention, financé les deux avec les revenus de son activité occulte ; qu'une partie non négligeable de ce bien immobilier procède ainsi de l'infraction de blanchiment ; qu'en tout état de cause, la confiscation de cette maison est particulièrement adaptée en tant que peine complémentaire, étant précisé que Mme Y... est propriétaire d'autres biens immobiliers, notamment, d'une fermette à Chatellarault et d'un terrain, qu'elle possède aussi deux caravanes et qu'elle dispose donc de moyens pour loger sa famille ; qu'il convient par conséquent d'infirmer le jugement et d'ordonner la confiscation du bien immobilier de Mme Y... situé à Chauray ;

" alors que la peine de confiscation ne doit pas porter atteinte de manière disproportionnée au droit de propriété du condamné ; qu'en ordonnant la confiscation de la maison de Mme Y...aux motifs « qu'une partie non négligeable de ce bien immobilier procéd ait de l'infraction de blanchiment » sans s'expliquer davantage, comme elle y était pourtant invitée, sur le rapport existant entre la valeur de l'immeuble confisqué et les sommes qui auraient été blanchies, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle de proportionnalité et n'a ainsi pas légalement justifié sa décision " ;

Attendu qu'après avoir confirmé le jugement sur la culpabilité des prévenus, l'arrêt, pour ordonner à l'encontre de Mme Y..., à titre de peine complémentaire, la confiscation de la maison et du terrain d'assiette lui appartenant, situés ...à Chauvay (79), cadastrés section AE n° 10, prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes conventionnel et légaux visés au moyen ; qu'en effet, d'une part, aux termes de l'article 324-7, 12°, du code pénal, les personnes physiques coupables de blanchiment encourent, à titre de peine complémentaire, la confiscation de tout ou partie de leurs biens, quelle qu'en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis, sans qu'il soit exigé que le bien sur lequel elle porte soit l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction ; que, d'autre part, les juges n'ont fait qu'user de leur pouvoir d'appréciation de la nécessité de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressée, au regard de la gravité des faits et de la situation personnelle de Mme Y... ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 132-19 du code pénal, 132-24 du code pénal, dans sa version antérieure à la loi n° 2014-896 du 14 août 2014, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

" en ce que l'arrêt a condamné M. X... à une peine d'emprisonnement de deux ans à titre de peine principale et dit qu'il ne serait que partiellement sursis à l'exécution de cette peine pour une durée de dix-huit mois, avec mise à l'épreuve ;

" aux motifs que le prévenu a, tant lors de l'enquête initiale que lors de débats de première instance et d'appel, reconnu l'intégralité des faits visés à la prévention ; que ses aveux sont corroborés par les constatations, régulières en la forme, des enquêteurs, et par les déclarations des témoins ; que le jugement ne peut qu'être confirmé sur la déclaration de culpabilité qui le concerne ; que la peine d'emprisonnement avec sursis avec mise à l'épreuve prononcée par le tribunal répond aux exigences des articles 130-1 et 132-1 du code pénal et doit être confirmée ; qu'il en est de même de la confiscation des sommes trouvées sur M. X... ; qu'il n'y a pas lieu en revanche à amende, compte tenu de la situation du prévenu telle qu'elle résulte des pièces fournies et des débats, conformément à l'article 132-20 du code pénal ;

" et motifs éventuellement adoptés que sur la sanction, M. X... a été condamné, le 23 mars 2006, à trois mois d'emprisonnement avec sursis pour travail clandestin et abus de faiblesse ; qu'il était pleinement informé de ses obligations et il convient de le condamner à deux d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis avec mise à l'épreuve pendant trois ans avec obligation de travailler et obligation de réparer les dommages causés par l'infraction ;

" 1°) alors qu'en matière correctionnelle, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée que si elle est spécialement motivée au regard de la situation matérielle familiale et sociale du prévenu ; qu'en prononçant une peine d'emprisonnement assortie d'un simple sursis partiel sans satisfaire à cette exigence spéciale de motivation, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

" 2°) alors qu'en matière correctionnelle, une peine d'emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu'en dernier recours, si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; qu'en prononçant une peine d'emprisonnement assortie d'un simple sursis partiel sans s'expliquer sur le caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

" 3°) alors qu'en matière correctionnelle, la peine d'emprisonnement sans sursis inférieure à deux ans doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et, sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement de peine ; qu'en prononçant une peine d'emprisonnement assortie d'un simple sursis partiel sans rechercher si la personnalité et la situation du condamné ne permettaient pas d'aménager la peine d'emprisonnement sans sursis ni justifier d'une impossibilité matérielle empêchant cet aménagement, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Vu l'article 132-19 du code pénal ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard des faits de l'espèce, de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur, de sa situation matérielle, familiale et sociale ainsi que du caractère inadéquat de toute autre sanction ; que, s'il décide de ne pas aménager la peine, le juge doit, en outre, motiver spécialement cette décision, soit en établissant que la personnalité et la situation du condamné ne permettent pas un tel aménagement, soit en constatant une impossibilité matérielle ;

Attendu que, pour condamner M. X... à la peine de deux ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis et mise à l'épreuve, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus énoncés ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; qu'elle sera limitée à la peine d'emprisonnement prononcée à l'encontre de M. X..., dès lors que la déclaration de culpabilité n'encourt pas la censure ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives à la peine d'emprisonnement prononcée à l'encontre de M. X..., l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Poitiers, en date du 19 février 2015, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Poitiers, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Poitiers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.