Cass. crim., 4 mars 2020, n° 19-81.800
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
Mme Planchon
Avocat général :
Mme Zientara-Logeay
Avocat :
SCP Lyon-Caen et Thiriez
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 24 mars 2015, M. B... a déposé plainte contre M. A... X..., maire de la commune d'Esprels, dénonçant divers agissements de ce dernier et, notamment, de « graves conflits d'intérêts » , une « perception indue d'indemnités prohibées » , et une « vente illicite du bois communal via internet » susceptibles de constituer les délits de prise illégale d'intérêts, escroquerie, abus de confiance, détournement de biens, et abus de pouvoir avec la circonstance que les faits ont été commis de façon habituelle par une personne investie d'un mandat électif et dépositaire de l'autorité publique.
3.Le 16 juillet 2015, M. B... a déposé plainte avec constitution de partie civile contre M. X... et une information a été ouverte le 24 août 2016 contre ce dernier des chefs de prise illégale d'intérêts, détournement de fonds et de biens publics et concussion.
4. Les investigations entreprises ont permis d'établir que M. X... a siégé lors d'une délibération du conseil municipal du 16 mars 2012 au cours de laquelle, dans le cadre de la procédure de révision du plan local d'urbanisme (PLU), des parcelles lui appartenant, initialement situées dans des zones non constructibles, ont été classées en zone constructibles.
5. Par décision du 9 juillet 2013, le tribunal administratif de Besançon a annulé la procédure de PLU pour ce motif.
6. Par ailleurs M. X..., président du conseil d'administration de la caisse local du Crédit agricole de Franche-Comté de Villersexel jusqu'au 12 mars 2015, a, dans le cadre d'appels d'offres organisés par la commune d'Esprels les 20 janvier 2004, 28 juin et 27 décembre 2010 et 22 juillet 2014 pour l'obtention de prêts, participé au choix de cet établissement qui a été retenu comme étant le moins disant.
7. S'agissant des faits susceptibles de recevoir la qualification de concussion et de détournement de fonds publics liés à la vente de bois appartenant à la commune sur le site « Le bon Coin » , les investigations sont demeurées sans résultat.
8. Le 15 octobre 2018, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu dont M. B... a interjeté appel.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen est pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 432-12 du code pénal et des articles préliminaire, 8, 591 et 593 du code de procédure pénale.
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit y avoir lieu à constater l'extinction de l'action publique par l'effet de la prescription pour l'infraction de prise illégale d'intérêts liée à l'approbation du plan local d'urbanisme et à confirmer, pour le surplus, l'ordonnance de non-lieu déférée, alors :
« 1°/ que les juges du fond ne peuvent prononcer d'office la prescription de l'action publique sans avoir permis aux parties d'en débattre ; qu'il ne résulte d'aucune des mentions de l'arrêt, ni des pièces de la procédure que la question de la prescription a été précédemment évoquée lors de l'audience, ou devant le juge d'instruction ; qu'en relevant d'office l'extinction de l'action publique par l'effet de la prescription pour l'infraction de prise illégale d'intérêts liée à l'approbation du plan local d'urbanisme, sans avoir préalablement invité les parties à débattre de ce moyen, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé ;
2°/ que si l'intérêt au sens de l'article 432-12 du code pénal se traduit par la création d'une situation permanente, l'infraction de prise illégale d'intérêts devient un délit continu, dont la prescription ne commence à courir qu'au jour où cesse la situation délictueuse ; qu'en jugeant que la décision du tribunal administratif de Besançon en date du 9 juillet 2013 annulant la délibération portant approbation du plan local d'urbanisme était inopérante à établir que la prescription de l'infraction de prise illégale d'intérêts liée à l'approbation du plan local d'urbanisme n'était pas acquise, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
3°/ que la participation à une séance d'une collectivité territoriale, même sans vote, vaut surveillance ou administration au sens de l'article 432-12 du code pénal et permet de caractériser le délit si l'élu est le bénéficiaire de la décision ; qu'en retenant qu'il n'existait pas de charges suffisantes à l'encontre de M. X... d'avoir commis « les infractions de prise illégale d'intérêts », en ce compris l'infraction liée à l'approbation du plan local d'urbanisme, alors qu'il était établi que celui-ci était intéressé à l'adoption de ce plan et qu'il avait cependant assisté à la réunion du conseil municipal le 16 mars 2012 et participé au vote de ladite délibération, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 8 du code de procédure pénale ;
11. Il résulte des deux premiers de ces textes que les juges ne peuvent prononcer d'office la prescription de l'action publique sans avoir permis aux parties d'en débattre.
12. Pour constater la prescription de l'action publique concernant les faits de prise illégale d'intérêt en lien avec la procédure de PLU, l'arrêt attaqué, après avoir constaté que les faits ont été commis le 16 mars 2012 et que M. B... a déposé plainte le 24 mars 2015, énonce que plus de trois ans se sont écoulés entre ces deux dates sans qu'aucun acte d'instruction ou de poursuite n'ait été accompli.
13. Les juges concluent que les faits sont prescrits en application de l'article 8 du code de procédure pénale, la prescription étant acquise avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2017- 242 du 27 février 2017 qui porte le délai de prescription des délits à six années révolues et que la décision du tribunal administratif de Besançon en date du 9 juillet 2013 annulant cette délibération portant approbation du PLU est, sur ce point, inopérante.
14. En se déterminant ainsi, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
15. La cassation est encourue de ce chef.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen est pris de la violation des articles 432-12 du code pénal et 591 et 593 du code de procédure pénale ;
17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit y avoir lieu à confirmer l'ordonnance de non-lieu déférée s'agissant notamment de l'infraction de prise illégale d'intérêts liée aux fonctions de président de la caisse locale du crédit agricole de M.X..., maire de la commune d'Esprels, alors « que le délit de prise illégale d'intérêt est constitué par tout lien contractuel de l'élu avec la commune concernant une affaire dont il a l'administration et la surveillance et qu'il est indifférent qu'il en ait retiré un quelconque profit ; qu'en jugeant que les actes dénoncés avaient reçu toute justification et en se contentant de retenir qu'il n'était nullement démontré que le maire de la commune d'Esprels avait pris, reçu ou conservé directement ou indirectement un intérêt personnel quelconque, même moral, dans les opérations de prêts communaux consentis auprès de l'établissement bancaire qu'il présidait, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 432-12 du code pénal
18. Caractérise le délit de prise illégale d'intérêt le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement.
19. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu concernant le délit de prise illégale d'intérêt lié aux fonctions de président du conseil d'administration de la caisse locale de Crédit agricole de M. X..., l'arrêt attaqué relève qu'il n'est nullement démontré que le mis en cause a pris, reçu ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt personnel quelconque, même moral, dans ces opérations.
20. Les juges ajoutent que les actes que M. B... considère comme des anomalies constitutives d'infractions ont reçu toutes justifications attestant de leur régularité et n'ont, en aucun cas, été corroborées par des éléments extérieurs aux seules allégations de la partie civile.
21. En prononçant ainsi, alors qu'elle relève que M. X..., en sa qualité de maire de la commune d'Esprels, a participé à quatre appels d'offres à l'issue desquels la proposition de la Caisse locale du Crédit agricole dont il présidait le conseil d'administration a été retenue, ce dont il résulte que le prévenu a pris un intérêt moral dans l'opération, la chambre de l'instruction a violé le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
22. La cassation est à nouveau encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Besançon, en date du 06 février 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Dijon à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.