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Décisions

CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 16 mai 2014, n° 12/20208

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

L'hôtel Brighton (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vidal

Conseillers :

Mme Martini, Mme Richard

Avocats :

Me Grappotte Benetreau, Me Sanson, Me Teytaud, Me Lafond, Me Boukaouraych

TGI Paris, du 24 sept. 2012, n° 11/13583

24 septembre 2012

Exposé des faits

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Suivant acte d'huissier en date du 30 août 2011, Mme Souad G. a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris la SAS Société de l'Hôtel BRIGHTON (l'hôtel BRIGTHON) pour obtenir sa condamnation à lui verser, sur le fondement des articles 1952 et 1953 du code civil, une somme de 506.636 € correspondant aux bijoux et espèces volés dans le coffre-fort de la chambre qu'elle occupait avec sa s'ur le 19 septembre 2007, outre une somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

Par jugement en date du 24 septembre 2012, le tribunal de grande instance de Paris a retenu que l'hôtel BRIGTHON avait commis une faute en offrant à ses clients un coffre-fort qui n'était fixé au sol que par quatre vis, ce qui avait permis au voleur de s'en emparer facilement, cette faute permettant dès lors à Mme Souad G. d'obtenir le déplafonnement de son indemnisation, mais que la cliente avait elle aussi commis une faute en laissant dans ce coffre des bijoux d'une valeur aussi importante que celle qu'elle avance, sans demander à les déposer au coffre de l'hôtel. Il a donc opéré un partage de responsabilité dans la proportion de 2/3 à la charge de l'hôtelier et d'1/3 à la charge de la cliente. Retenant que Mme Souad G. ne rapportait la preuve de la valeur des bijoux volés qu'à hauteur de la somme de 117.136 € et ne démontrait pas que le coffre contenait également des espèces, il a condamné l'hôtel BRIGTHON à lui payer la somme de 78.090 € à titre de réparation de son préjudice matériel ainsi que celle de 1.000 € en réparation de son préjudice moral, outre une somme de 1.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Il a assorti sa décision de l'exécution provisoire à hauteur de la somme de 15.200 €.

La SAS Société de l'Hôtel BRIGHTON a interjeté appel de cette décision.

La SAS Société de l'Hôtel BRIGHTON, aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 10 septembre 2013, demande à la cour de réformer le jugement du tribunal de grande instance de Paris déféré et, statuant à nouveau, de :

A titre principal,

• Dire qu'aucune faute n'est démontrée à l'encontre de l'hôtelier de nature à écarter l'application de la limitation légale de l'indemnisation édictée à l'article 1953 alinéa 3 du code civil, • Dire que Mme Souad G. ne justifie pas préalablement de la réalité et du montant du préjudice qu'elle allègue, • La condamner en conséquence à lui restituer la somme de 15.200 € payée au titre de l'exécution provisoire, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de son règlement, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil , outre une somme de 3.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la demanderesse justifierait du montant de son préjudice,

• Limiter l'indemnisation à la somme de 15.200 € représentant 100 fois le prix de la chambre, conformément aux dispositions de l'article 1953 alinéa 3 du code civil et débouter Mme Souad G. du surplus de ses demandes, • Dire que Mme Souad G. a commis une faute à l'origine de son dommage, de nature à exonérer partiellement l'hôtelier de sa responsabilité et partager la responsabilité dans une proportion qui ne saurait être inférieure à la moitié, • Rejeter toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Elle fait valoir les moyens et arguments suivants :

1. Elle n'a pas commis de faute : elle a mis à la disposition de sa cliente un coffre identique à celui existant dans tous les hôtels, coffre fixé au mur par 4 vis et fonctionnant avec une combinaison, un tel coffre n'ayant pas vocation à servir de coffre-fort sécurisé mais seulement à recueillir des effets courants, les objets de grande valeur devant être remis au coffre de l'hôtel ; par ailleurs, la sécurité est assurée par un pass magnétique sécurisé permettant l'accès aux chambres et des caméras de surveillance à tous les étages ; le vol était totalement imprévisible pour le personnel, même si l'hôtel est naturellement assuré ;

2. Mme Souad G. ne rapporte pas la preuve du préjudice allégué : elle n'a pas informé l'hôtel de la présence des bijoux dans sa chambre ; le rapport COTRANEX comme les photos n'établissent pas que les bijoux se trouvaient dans la chambre ; l'attestation de sa s'ur, produite seulement en appel et établie près de 6 ans après les faits, est bien tardive et ne peut convaincre la cour ;

3. Si le préjudice était établi, il conviendrait de retenir la limitation d'indemnisation et d'opérer un partage de responsabilité en retenant que Mme Souad G. a commis une faute d'imprudence en déposant dans le coffre de sa chambre des bijoux de grande valeur et des espèces pour le montant qu'elle réclame et pour avoir laissé la fenêtre à tout le moins entrebâillée puisqu'aucune effraction n'a été retrouvée.

Mme Souad G., en l'état de ses écritures signifiées le < 12 juillet 2013, conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu la faute de l'hôtel BRIGTHON et déplafonné le montant de l'indemnisation qui lui était due et retenu l'existence d'un préjudice moral, mais à sa réformation pour le surplus et demande à la cour, statuant à nouveau, de :

• Condamner l'hôtel BRIGTHON à lui payer la somme de 503.636 € correspondant à la valeur des bijoux et au montant des espèces dérobés dans le coffre-fort, et à lui payer la somme de 30.000 € en réparation de son préjudice moral, • A titre subsidiaire, dans le cas où une faute serait retenue contre elle, dire que sa faute n'est

Elle expose les moyens et arguments suivants :

1. L'hôtel a commis une faute en mettant à la disposition de ses clients un coffre n'offrant pas la sécurité à laquelle ils sont en droit de s'attendre puisqu'il était seulement vissé au sol et que le voleur a mis moins de 18 mn pour fouiller la chambre et arracher le coffre ; il a pu y avoir une connivence entre l'individu entré dans sa chambre et repéré par la caméra de surveillance et un membre du personnel ; la possibilité pour un tiers de s'introduire dans une chambre située au 3ème étage par la fenêtre et d'aller et venir dans l'hôtel dans être inquiété constitue également une faute ;

2. La cliente n'a commis aucune faute : rien ne prouve que l'ouverture de la fenêtre est de son fait, plusieurs personnes étant entrées dans la chambre après son départ à 8h et aucune consigne n'était donnée sur la nécessité de maintenir la fenêtre fermée ; elle a eu une fausse impression de sécurité compte tenu de la présence des pass magnétiques, des caméras de surveillance et de la présence du coffre, ce qui l'a amenée à laisser ses bijoux dans celui-ci, sans imaginer qu'il pouvait être si facilement arraché ; enfin, aucune consigne n'était donnée au client de déposer ses objets de valeur dans le coffre de l'hôtel ;

3. Elle a donné la liste exacte des bijoux qui se trouvaient dans le coffre lors de sa plainte et qui font l'objet de l'expertise par le cabinet COTRANEX et sa s'ur corrobore ses déclarations.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 23 février 2014.

Motifs

MOTIFS DE LA DECISION :

Considérant qu'en application des articles 1952 et 1953 du code civil, les aubergistes ou hôteliers sont responsables, comme dépositaires, des vêtements, bagages et objets divers apportés dans leur établissement par le voyageur qui loge chez eux, pour un montant illimité en cas de détérioration ou de vol des objets de toute nature déposés entre leurs mains ou qu'ils ont refusé de recevoir sans motif légitime et pour un montant limité à l'équivalent de 100 fois le prix de location du logement par journée dans les autres cas, à moins que le voyageur ne démontre que le préjudice qu'il a subi résulte d'une faute de celui qui l'héberge ou de ceux dont celui-ci doit répondre ;

Qu'il résulte de ces textes que le voyageur bénéficie de plein droit de l'indemnisation des objets volés dans sa chambre dans la limite du plafond de 100 fois le prix de la nuitée, sous réserve de démontrer, par tous moyens, y compris par témoignage ou présomptions, la matérialité du dépôt et la réalité du vol, et qu'il peut obtenir une indemnisation illimitée à condition d'établir, soit le dépôt des objets entre les mains de l'hôtelier ou son refus illégitime, soit une faute de l'hôtelier dans l'exécution de son obligation de mettre à la disposition du voyageur une chambre offrant toutes les conditions de sécurité ;

Que la faute de la victime soit de nature à exonérer partiellement l'hôtelier de sa responsabilité si elle a contribué à la réalisation du dommage ;

Considérant qu'il est constant que Mme Souad G., de nationalité marocaine, styliste en haute couture en voyage d'affaires à Paris pour quelques jours, a séjourné avec sa soeur à l'Hôtel BRIGHTON, 218 rue de Rivoli à Paris 1er , à compter du 17 septembre 2008, et y a occupé la chambre 303 située au 3ème étage ; que le 19 septembre 2008, elle a été informée par le directeur de l'hôtel qu'un vol avait été commis dans sa chambre vers 13h, alors qu'elle se trouvait à un rendez-vous professionnel ; qu'en effet, il est établi que la chambre d'hôtel de Mme Souad G. a été visitée par un voleur s'étant introduit par la fenêtre et ayant arraché le coffre-fort individuel placé dans le placard avant de s'enfuir par les couloirs de l'hôtel ; que les faits ont été commis entre 12h40 - heure à laquelle la femme de chambre est passée sans rien constater d'anormal - et 13h05 - heure à laquelle elle est revenue dans la chambre faire le ménage et a constaté le désordre laissé par le voleur ; que celui-ci a d'ailleurs été aperçu par les caméras de surveillance du 3ème étage à 12h58, se dirigeant vers l'issue de secours ; que Mme Souad G. a immédiatement déclaré au directeur de l'hôtel qui l a indiqué lors de son audition par les services de police que le coffre de sa chambre contenait des bijoux de prix et qu elle en a donné ensuite une liste précise lors de son dépôt de plainte ;

Que la preuve matérielle d'un dépôt par Mme Souad G. de ses objets de valeur dans le coffre et du vol de ces objets soit ainsi suffisamment rapportée par les éléments du dossier, sous réserve de l'appréciation plus précise de la valeur des objets ainsi déposés et du préjudice résultant du vol qui sera opérée dans le cadre de l'évaluation des dommages et intérêts alloués à la victime ;

#1 Considérant que Mme Souad G. sollicite le déplafonnement de son indemnisation, au-delà du plafond légal qui, au regard du prix de sa chambre, est d'un montant de 15.200 €, le prix de la nuitée étant de 152 € ; qu'il lui appartient donc d'apporter la preuve d'une faute de l'hôtelier dans le respect de son obligation de sécurité et de surveillance ;

Qu'aucune faute de l'Hôtel BRIGHTON n'est établie quant à la sécurité intérieure de l'hôtel, celle-ci étant assurée par un système de pass magnétique donnant accès aux chambres qui n'a pas été défaillant et a permis de contrôler toutes les entrées et sorties de la chambre 303 et par des caméras de surveillance dont il est établi qu'elles ont parfaitement fonctionné ;

#2 Que par contre constitue une faute de l'Hôtel BRIGHTON le fait de mettre à disposition un coffre individuel dépourvu de garantie suffisante, puisqu'il n'était pas scellé dans un mur mais seulement fixé par quatre vis dans le placard mural, ce mode de fixation ayant ainsi permis au voleur de l'arracher assez facilement, ce dont témoigne la rapidité du vol, intervenu entre 12h40, heure de passage de la femme de chambre, et 12h58, heure de la visualisation du voleur dans le couloir ; que c'est en vain à cet égard que l'Hôtel BRIGHTON soutient que le coffre en cause est un coffre de marque ARFE, semblable à celui qui est mis à la disposition des clients dans tous les hôtels, sa faute tenant à l'inefficacité du mode de fixation de ce coffre, non scellé aux parties fixes ;

Que le jugement soit donc confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute de l'hôtelier permettant à la cliente d'obtenir le déplafonnement de son indemnisation ;

#3 Considérant qu'il est avéré que le voleur a pénétré dans la chambre par la fenêtre, restée entrouverte ; que le fait que Mme Souad G. ait pu laisser la fenêtre entre baillée - ce qu'elle admet dans ses déclarations aux services de police - ne peut être considéré comme fautif de sa part dès lors que la chambre se situait au 3ème étage de l'hôtel, à 10 m de haut, sans balcon, et que rien ne permettait de penser qu'il était possible de pénétrer dans la chambre par la fenêtre depuis l'immeuble voisin, aucune recommandation n'étant formulée à cet effet par l'hôtelier à ses clients ;

Que par contre, constitue une faute de la cliente ayant contribué à la réalisation de son dommage le fait pour elle de ne pas avoir déposé ses bijoux dans le coffre de l'hôtel, alors qu'il s'agissait de bijoux de très grande valeur dont elle n'avait pas un usage quotidien et qu'ayant l'habitude de voyager, elle ne pouvait méconnaître les recommandations d'usage pour le dépôt de tels objets de valeur ; qu'en effet, le fait pour un client de conserver dans sa chambre, même dans le petit coffre mis à sa disposition, des objets dépassant très largement le montant du plafond hôtelier, rend le dommage totalement imprévisible pour l'hôtelier et justifie que soit retenue une faute du voyageur qui ne l'a pas avisé et qui n'a pas utilisé la possibilité, prévue par l'alinéa 2 de l'article 1953 du code civil, de déposer réellement ses objets de grand prix entre ses mains ;

Que le jugement soit donc confirmé en ce qu'il a retenu, de ce fait, une faute de Mme Souad G., sauf à retenir que cette faute est de nature à exonérer l'Hôtel BRIGHTON à hauteur de la moitié du dommage résultant du vol ;

#4 Considérant que Mme Souad G. a donné, dès le dépôt de sa plainte, une liste détaillée des bijoux contenus dans le coffre de sa chambre : un collier en perles noires et diamants avec boucles d'oreilles assorties, un collier avec pendentif en forme de poire en diamants, une bague en diamants et rubis, une bague en diamants et saphirs, un solitaire, un pendentif en diamants, un pendentif de plusieurs couleurs de forme rectangulaire, une paire de créoles en diamants, une paire de boucles d'oreilles diamants, une paire de boucles pendantes et deux montres, l'une de marque Chopart, l'autre de marque Barthelay, ainsi que des bijoux fantaisie ; que ses déclarations sont confirmées par l'attestation de sa soeur, Mme I.K. ; que les photos de Mme Souad G. démontrent par ailleurs que l'intéressée aimait porter des bijoux de prix qu'elle avait toutes les raisons d'emporter pour son séjour professionnel à Paris, lequel comportait nécessairement des sorties habillées compte tenu de sa profession de styliste ;

Que le rapport du cabinet COTRANEX est sans aucune valeur probatoire et que les factures produites aux débats - qui ne correspondent pas toutes aux bijoux déclarés - permettent à la cour de retenir une valeur des bijoux de 78.503 € ;

Que Mme Souad G. a déclaré qu'elle avait déposé dans le coffre une somme de 31.500 € en espèces ; mais que rien ne justifie du dépôt d'un tel montant d'espèces (justificatif d'un retrait d'espèces ou bordereau d'un établissement de change), de sorte que c'est à juste titre que le tribunal a rejeté la demande de ce chef ;

Qu'ainsi, le dommage résultant du vol peut être évalué à la somme totale de 78.503 € sur laquelle Mme Souad G. est en droit de prétendre au versement, compte tenu du partage de responsabilité opéré, de la somme de 39.251,50 € ;

#5 Considérant que Mme Souad G. avait également déposé au coffre son passeport et ses billets d'avion, ce pour quoi il est justifié de lui allouer une somme de 1.000 € en réparation de son préjudice moral résultant des tracasseries et contrariétés liées à leur disparition, sans que puisse lui être opposé le partage de responsabilité puisque ces objets avaient toute leur place dans le coffre individuel mis à la disposition de la cliente ;

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu les dispositions de l'article 696 du code de procédure civile,

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf à ramener le montant de l'indemnisation due par la SAS Société de l'Hôtel BRIGHTON à Mme Souad G. au titre du préjudice matériel résultant du vol de ses bijoux dans la chambre d'hôtel, le 19 septembre 2008, à la somme de 39.251,50 € ;

Y ajoutant,

Condamne la SAS Société de l'Hôtel BRIGHTON à verser à Mme Souad G. une somme de 1.200 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

La condamne aux dépens d'appel lesquels seront recouvrés dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.