CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 16 mars 2011, n° 08/22097
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Côte Ouest (SARL), Facques (ès qual.), Martin (ès qual.)
Défendeur :
Caisse Nationale de Prévoyance - Assurances (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bartholin
Conseillers :
Mme Imbaud-Content, Mme Blum
Avoués :
SCP Naboudet-Hatet, Me Bettinger
Avocats :
Me Gaborit, Me Lecomte
Exposé des faits
EXPOSE DU LITIGE
Faits et procédure :
Par acte du 8 avril 1999, la Cnp assurances a donné à bail à la société Lascurade divers locaux d'une surface de 156m² environ, constituant le lot n° 241 et une partie du lot n° 249 d'un immeuble situé 5 boulevard de Vaugirard Paris 75015 à usage de commerces pour une durée de douze années moyennant un loyer annuel de 480 000 francs ht et hors charges payable en quatre termes égaux d'avance,
Le 3 avril 2007, la société Lescurade a cédé son fonds de commerce à la société Coté Ouest
Alléguant que la société Cote Ouest a laissé impayés le terme du troisième trimestre 2007, qu'elle n'a pas reçu la caution bancaire exigée du cessionnaire suivant les dispositions du bail et que la société Cote Ouest n'a pas fourni le descriptif des travaux engagés par elle dans les lieux loués, la Cnp assurances a, suivant acte d'huissier du 26 juillet 2007, délivré à la société coté Ouest un commandement contenant rappel de la clause résolutoire visée au bail, la sommant de :
- payer la somme de 32 469, 16 € outre les intérêts et le coût du commandement,
- produire un cautionnement bancaire garantissant le paiement d'une somme correspondant à un an de loyers,
- remettre à Cnp assurances la copie exécutoire de l'acte de cession en date du 3 avril 2007 ou un original enregistré,
- fournir le dossier technique décrivant les travaux effectués dans les lieux loués,
Par exploit d'huissier du 23 août 2007, la société Cote Ouest a assigné la Cnp assurances en demandant au tribunal de prononcer la nullité du commandement ; le Cnp assurances a signifié des conclusions tendant à la résiliation du bail, en les dénonçant aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce ;
Ayant formé incident pour obtenir paiement à titre provisionnel des échéances de loyers et charges des troisième et quatrième trimestres et du premier trimestre 2008, le Cnp assurances a obtenu par ordonnance du 7 février 2008 du juge de la mise en état condamnation de la société Cote Ouest à lui payer à titre provisionnel la somme de 92 669, 80 € ;
Puis par jugement du 30 octobre 2008, le tribunal de grande instance de Paris a :
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail depuis le 27 août 2007,
- ordonné l'expulsion de la société Cote Ouest et celle de tous occupants de son chef dans les deux mois de la signification du jugement, au besoin avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier,
- dit que les objets mobiliers se trouvant dans les lieux seront soumis aux dispositions des articles 65 et 66 de la loi du 9 juillet 1991
- condamné la société Cote Ouest à payer à Cnp Assurances une indemnité d'occupation égale au montant du loyer et des charges jusqu'à la signification du jugement,
- condamné la société Cote Ouest à payer à Cnp assurances une indemnité d'occupation égale au montant du loyer augmenté de 15% et des charges à compter de la signification du jugement jusqu'à la libération effective des lieux,
- condamné la société Cote Ouest à payer à Cnp assurances la somme de 38 953, 64 € due au titre des arriérés de loyers et charges outre 10% pour la clause pénale,
- dit que le dépôt de garantie restera acquis à Cnp assurances à titre d'indemnité contractuelle,
- condamné la société Cote Ouest à payer à cnp assurances la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La société Cote Ouest a formé appel de cette décision le 24 novembre 2008 ;
Par jugement du tribunal de commerce de Paris du 4 mars 2010, elle a été placée en redressement judiciaire, Me Facques étant désigné en qualité d'administrateur et Me Martin en qualité de mandataire judiciaire ;
La Cnp assurances a déclaré sa créance à hauteur d'une somme de 137 037, 23 € ;
Me Facques et Martin es qualités respectivement d'administrateur et mandataire judiciaires sont intervenus volontairement à la présente instance.
Ils demandent à la cour d'infirmer le jugement déféré et de :
- annuler le commandement délivré de mauvaise foi et ne pouvant aboutir à de quelconques conséquences juridiques,
- constater que la société Cote Ouest et les organes de la procédure doivent bénéficier du terme contractuel,
- dire en tant que de besoin que la clause résolutoire n'est pas acquise et en tout état de cause est inopposable aux mandataires judiciaires de la société en redressement judiciaire,
- débouter la Cnp Assurances de toutes ses demandes,
- la condamner à leur payer la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens avec droit de recouvrement au profit de la scp Naboudet Hatet avoués ;
La Cnp assurances demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement déféré et :
- dire et juger que l'absence de fourniture d'un acte de caution bancaire par la société Cote Ouest dans le délai de un mois à compter de la date de délivrance du commandement est un motif d'acquisition de la clause résolutoire, de fixer l'indemnité d'occupation due à compter du 26 août 2007 à la somme de 23 901, 30 € taxes et charges en us par mois, jusqu'à complète libération des lieux et la remise des clefs , de dire et juger que la somme de 38 953, 64 € due au titre des arriérés de loyers et charges produira intérêts au taux de 15% l'an tva en sus, à compter de la date d'exigibilité de chacune des échéances impayées jusqu'à la date du paiement de cette somme , d'admettre les intérêts dus sur la somme de 38 653, 64 € au passif de la société Cote Ouest , d'admettre la Cnp assurances au passif de la société Coté Ouest à hauteur de 124 331, 30 € correspondant aux sommes dues à la Cnp assurances au titre des arriérés de loyers et provisions sur charges dues au 4 mars 2010 , de dire et juger que la somme de 124 331, 10 € produira intérêts au taux contractuel de 15% l'an, tva en sus , à compter de la date d'exigibilité de chaque échéance impayées, et jusqu'au 3 mars 2010, d'admettre les intérêts dus sur la somme de 124 331, 30 € au passif de la société Cote Ouest, de dire et juger que la somme de 124 331, 10 € et ses intérêts échus au 4 mars 2010 seront majorés du montant de 10% à titre de clause pénale et d'admettre cette clause pénale au passif de la société Cote Ouest,
La Cnp assurances demande confirmation du jugement pour le surplus et y ajoutant, demande d'ordonner l'expulsion de la société Coté Ouest et de celle de tous occupants de son chef avec l'assistance de la force publique si besoin est et dire et juger que le dépôt de garantie restera acquis à la Cnp assurances à titre d'indemnité contractuelle sans préjudice de tous autres dommages- intérêts.
Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties il convient de se référer à leurs conclusions signifiées le 7 décembre 2010 pour Me Facques et Martin es qualités et le 30 décembre 2010 pour la Cnp assurances. Leurs moyens seront examinés au cours de la discussion ;
Motifs
SUR CE,
I Sur la résiliation du bail :
Il doit être rappelé que si le bail n'a pas été résilié avant l'ouverture d'une procédure collective, il ne peut plus l'être après pour un motif tiré du défaut de paiement des loyers et charges antérieurs, la règle de l'arrêt des poursuites qui est d'ordre public l'interdisant.
Si cependant l'action en résiliation commencée avant l'ouverture de la procédure collective n'a pas pour fondement l'inexécution d'une obligation financière, elle pourra être poursuivie après le jugement d'ouverture puisqu'une telle action n'est pas soumise à la règle de l'arrêt des poursuites.
Il convient en conséquence dans le cas d'espèce, d'examiner si les motifs allégués par la Cnp autres que ceux tirés du défaut de paiement des loyers et charges antérieurs au jugement de redressement judiciaire lesquels ont fait l'objet de la déclaration de créances auprès du mandataire judiciaire, sont fondés et de nature à entraîner la résiliation du bail et si le commandement a été délivré de bonne foi.
1- Sur la non-délivrance de l'acte de cession :
Le bail prévoit qu'une copie exécutoire de l'acte de cession ou un original enregistré devra être remis au bailleur, sans frais pour lui, le preneur étant tenu de respecter les règles de notification de l'article 1690 du code civil ;
Prétendant que la cnp assurances avait assisté à la signature de l'acte de cession et qu'à cette occasion, une copie de l'acte lui avait été remise, ce à quoi, la Cnp assurances a fait répondre par son avocat que la copie de l'acte n'avait pu lui être remise ce jour-là, les parties n'ayant pas terminé de signer l'acte , la société Cote Ouest a délivré à la Cnp assurances copie de l'acte de cession le 20 septembre 2007, soit postérieurement au délai d'un mois à compter du commandement du 26 juillet 2006 ;
Le bail ne prévoyant pas de délai dans lequel l'acte de cession doit être signifié au bailleur et quoiqu'il soit logiquement sous-entendu que cela doit se faire rapidement après la signature de l'acte, le fait pour la cessionnaire d'avoir signifié l'acte de cession le 20 septembre 2007 soit 5 mois après la cession à laquelle le bailleur a assisté, ne peut être considéré comme une infraction à une clause du bail et ne peut entraîner l'application de la clause résolutoire qui est d'application stricte .
Il ne peut pour autant être retenu que le commandement délivré le 26 juillet 2007 soit plus de deux mois après la signature de l'acte de cession, a été délivré de mauvaise foi alors que l'acte de cession n'avait pas encore été produit.
2- Sur la non-délivrance d'un dossier technique décrivant les travaux effectués par le preneur :
Le bail prévoit que le preneur ne peut effectuer dans les lieux aucuns travaux qui puissent changer la destination de l'immeuble ou nuire à sa solidité. Il ne peut faire aucune modification dans les lieux, procéder à aucune démolition, percement de murs ou de cloisons, sans le consentement exprès et par écrit du bailleur.
Pour obtenir le consentement du bailleur, le preneur communique à ce dernier un dossier technique des travaux envisagés comportant plans, descriptifs et notes techniques
Sans contester qu'ont été réalisés des travaux dans les lieux loués, les mandataires judiciaires de la société Cote Ouest font valoir que ce n'est que dans l'hypothèse où les travaux ont pour effet de changer la destination de l'immeuble ou nuisent à sa solidité que les prescriptions de l'article 5- 1 du contrat de bail trouvent à s'appliquer ;
Ils soutiennent que les travaux réalisés n'ont eu pour effet ni de changer la destination de l'immeuble, ni de porter atteinte à sa solidité, que l'obligation de fournir un dossier technique et de recueillir l'autorisation du bailleur ne peut donc trouver à s'appliquer, que la société Cote Ouest a démontré à de très nombreuses reprises' que les travaux qu'elle avait engagés n'entraient pas dans la catégorie pour lesquels l'autorisation du bailleur est requise.
Or, contrairement à ce que soutiennent les organes de la procédure collective de la société locataire, la communication au bailleur du dossier des travaux envisagés avec leurs plans, descriptifs et notes techniques n'est pas applicable uniquement lorsque les travaux envisagés par le preneur ont pour effet de changer la destination de l'immeuble ou peuvent nuire à sa solidité, de tels travaux étant tout simplement prohibés ;
La communication au bailleur du dossier technique des travaux envisagés est destinée à permettre à celui- ci d'apprécier sur les travaux envisagés entraînent une modification des lieux, une démolition, percement de murs ou de cloisons, auquel cas son consentement est nécessaire.
La production d'une lettre de l'entreprise de maçonnerie attestant n'avoir effectué aucune démolition de mur porteur, ni celle de mur de refend et que les travaux ont consisté en :
- travaux de doublage cloisonnement intérieur,
- réfection de faïence cuisine,
- peintures intérieures, faux plafonds suspendus,
- véranda aluminium
- électricité,
à laquelle était jointe la facture de travaux avec une description sommaire de ceux ci, est donc insuffisante pour permettre à la Cnp assurances d'apprécier la nature exacte des travaux entrepris et ne pouvait suppléer le dossier technique que le preneur s'oblige au terme du bail à transmettre au bailleur avant d'entreprendre les travaux ;
Il s'ensuit que faute d'avoir transmis ce dossier technique des travaux comportant notamment les plans et descriptifs de ceux - ci dans le délai d'un mois du commandement au plus tard, la société Coté ouest a failli à son obligation contractuelle ;
Le tribunal a donc à bon droit estimé que la clause résolutoire visée dans le commandement et applicable en cas de manquement du preneur à une de ses obligations nées du bail devait trouver à s'appliquer.
3- Sur la fourniture d'un cautionnement bancaire :
Le bail dispose que la fourniture d'une caution bancaire en garantie du paiement des loyers, taxes et accessoires, correspondant à douze mois de loyers, charges et taxes en sus est une condition essentielle et déterminante du bail et que faute d'y avoir satisfait, le bail sera résilié de plein droit si bon semble au bailleur.
Les mandataires judiciaires de la société Cote Ouest font observer qu'elle a remis le jour de la cession au bailleur des chèques représentant un an de loyers et que le tribunal a justement retenu que la Cnp était de mauvaise foi en exigeant la production d'une caution alors qu'elle disposait d’une garantie supérieure.
Or la remise d'une caution bancaire était une condition déterminante de l'engagement du bailleresse qui a néanmoins accepté la cession du fonds en échange de la remise de chèques d'un montant de 114 343, 82 € représentant un an de loyers au motif, selon Cnp assurances non contredite sur ce point, que la cessionnaire ne pouvait lui fournir la caution bancaire au jour de la signature ; la bailleresse n'a cependant cessé de réclamer ensuite la caution bancaire prévue au bail et s'est engagée par la voie de son conseil à restituer les chèques en question contre la remise d'une caution bancaire en bonne et due forme ; la preuve de la renonciation de la bailleresse à cette garantie n'est donc pas rapportée .
Afin de permettre la remise de cette caution sans difficulté pour la société locataire, la bailleresse a enfin remis à l'avocat de la société Cote Ouest le 20 mai 2008 les chèques d'un montant de 114 343, 82 € sans que lui ait été remise en échange la caution bancaire sollicitée et sans qu'ait été justifiées des difficultés de la société cote Ouest alors in bonis pour l'obtenir.
Il s'ensuit que la Cnp qui ne dispose plus des chèques de garantie remis le jour de la signature de l'acte de cession ne dispose toujours pas de la caution bancaire dont la société locataire était de tenue de justifier au plus tard dans le délai d'un mois à compter du commandement délivré le 26 juillet 2007.
La société Cote Ouest a donc manqué à son obligation essentielle de fournir une caution bancaire.
En ce qu'ils ont retenu que le commandement n'avait pas été délivré de bonne foi de ce chef et n'avait pu entraîner le jeu de la clause résolutoire, les premiers juges ont fait une appréciation inexacte des éléments du litige.
Quoiqu'il en soit, cette appréciation divergente n'a pas pour effet de modifier leur décision qui a justement constaté l'acquisition de la clause résolutoire depuis le 27 août 2007, ordonné l'expulsion de la société Coté Ouest des lieux et celle de tous occupants de son chef avec ses conséquences quant à la séquestration éventuelle du mobilier.
II - Sur la créance de Cnp assurances :
L'indemnité d'occupation due depuis cette date sera fixée à un montant équivalent au montant du loyer courant, charges et taxes en sus, sans qu'il y ait lieu de prévoir une augmentation de 15 % à compter de la notification du jugement conformément à la déclaration par la Cnp assurances d'une créance de loyers et charges jusqu au 3 mars 2010, veille de la date de prononcé du redressement judiciaire laquelle doit être cependant requalifiée en créance d'indemnités d'occupation et admise au passif du redressement judiciaire pour le montant de 124 331, 30 € .
Il n'y a pas lieu davantage d'appliquer à cette créance et d'admettre au passif de la société Cote Ouest des intérêts au taux contractuel de 15% l'an, tva en sus, à compter de l'exigibilité de chaque échéance ni davantage de clause pénale de 10%, la déclaration de créances faite par la Cnp assurances ne comportant pas l'indication d'une créance d'intérêts ou à titre de clause pénale.
S'agissant enfin du dépôt de garantie que la Cnp assurances demande de dire qu'il lui est acquis à titre d'indemnité contractuelle, elle n'a fait aucune déclaration de créance d'indemnité contractuelle, ayant au contraire précisé dans sa déclaration de créance, qu'elle entendait opérer compensation entre sa propre créance et le dépôt de garantie qu'elle détient d'un montant de 24 974, 35 € ; elle est donc mal fondée en cette demande.
I. les autres demandes :
Me Facques es qualités et Me Martin es qualités supporteront les dépens de l'instance.
Il y a lieu d'allouer à la Cnp assurances sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile une somme de 1500 € au titre de l'ensemble de ses frais irrépétibles.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
Dit valable le commandement délivré le 26 juillet 2007 par la Cnp assurances à la société Cote Ouest,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a constaté l'acquisition de la clause résolutoire à la date du 27 août 2007, ordonné l'expulsion de la société Cote Ouest et de tous occupants de son chef au besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier et ordonné la séquestration de son mobilier dans les termes de la loi du 9 juillet 1991,
Ajoutant,
Ordonne en tant que de besoin l'expulsion de Me Facques es qualités des lieux.
Reformant pour le surplus et statuant à nouveau,
Fixe la créance de la société Cnp assurances au passif du redressement judiciaire de la société Cote Ouest à la somme de 124 331, 10 € correspondant aux indemnités d'occupation dues jusqu'au 3 mars 2010, à l'exclusion de toute créance d'intérêts ou de clause pénale ;
Déboute la société Cnp assurances de sa demande tendant à lui voir acquis le dépôt de garantie à titre d'indemnité contractuelle ;
Dit que les entiers dépens seront supportés par Me Facques et Me Martin es qualités avec droit de recouvrement direct au profit de Me Bettinger avoué et les condamne es qualités à payer à Cnp assurances la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.