Cass. crim., 7 décembre 2022, n° 21-83.354
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
M. de Lamy
Avocat général :
M. Bougy
Avocats :
SCP Spinosi, SCP Melka-Prigent-Drusch
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a porté à la connaissance du procureur de la République des faits pouvant constituer le délit de concussion.
3. Il a relevé que M. [D] [U], qui occupe notamment la fonction de conseiller régional, a perçu pour les années 2016, 2017 et 2018 des sommes excédant le montant plafonné des rémunérations et indemnités des élus locaux prévu par l'article L. 4135-18 du code général des collectivités territoriales.
4. Le 2 février 2016, la commission permanente du conseil régional de la Réunion a, en effet, décidé d'autoriser M. [U], désigné par l'assemblée plénière de la Région parmi les nouveaux représentants de cette institution au sein de la société d'économie mixte locale (SEML) [1], à présenter sa candidature pour exercer les fonctions de président du conseil d'administration de celle-ci et de directeur général.
5. Le conseil d'administration de la société [1] a élu M. [U] en qualité de président directeur général et a fixé sa rémunération mensuelle brute à la somme de 6 800 euros.
6. Les juges du premier degré ont déclaré M. [U] coupable, notamment, du chef de concussion et l'ont condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à une peine de trois ans d'inéligibilité.
7. M. [U] ainsi que le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [U] coupable du chef de concussion, alors :
« 1°/ que la loi pénale étant d'interprétation stricte, le délit de concussion ne saurait sanctionner la perception ou l'exonération d'autres titres que ceux visés par le texte d'incrimination ; que l'alinéa 1er de l'article 432-10 du Code pénal ne vise que le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits ou contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu'elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû ; que n'entre pas dans le champ d'application de ce texte, la rémunération d'un directeur général dans le cadre d'un contrat ou d'un mandat de droit privé, dès lors que celle-ci est spécifique et destinée à rémunérer des fonctions et une activité totalement différentes de celles d'un président et échappe ainsi au champ d'application des règles du plafonnement et de l'écrêtement, et ne saurait ainsi constituer une somme de nature à « excéder ce qui est dû » ; qu'en décidant cependant en l'espèce que le délit de concussion était établi en son élément matériel, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision, en méconnaissance des articles L. 4135-18 du code général des collectivités territoriales, 432-10 du code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ que le délit de concussion par dépositaire de l'autorité publique est une infraction intentionnelle qui nécessite, pour être constituée, que le prévenu ait conscience que ce qu'il perçoit l'est de manière indue ; que le délit ne peut donc être caractérisé par une simple interprétation erronée par l'agent des règles de droit ; que dès lors la seule perception par M. [D] [U] d'une rémunération au titre de sa fonction de directeur général au sein de la société [1], à supposer même qu'elle fût indue, ne pouvait, contrairement à ce qu'affirme l'arrêt attaqué, caractériser le délit de concussion, dès lors que l'exposant a cru pouvoir la percevoir en toute légalité ; qu'en considérant que « nonobstant l'interprétation des textes qu'il a soulevé devant le tribunal puis devant la cour, M. [D] [U] avait suffisamment d'expérience en tant qu'élu local pour avoir agi sciemment », la cour d'appel a ainsi méconnu les articles 121-3, 432-10 du Code pénal ; 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que les juges sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que dans ses conclusions d'appel, M. [D] [U] soutenait que sa rémunération au titre de sa fonction de directeur général n'était pas « touchée par le champ textuel des règles du plafonnement et de l'écrêtement » et qu'en tout état de cause, aucune mauvaise foi ne pouvait lui être reprochée, dès lors que celui-ci avait tenu à procéder au remboursement des sommes considérées comme trop-perçus ; qu'en omettant ces circonstances et en ne recherchant pas si tel était le cas, a cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 432-10 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Pour déclarer le prévenu coupable du chef de concussion, l'arrêt attaqué énonce que l'article L. 4135-18 code général des collectivités territoriales dispose que le conseiller régional titulaire d'autres mandats électoraux ou qui siège à ce titre, notamment, au conseil d'administration ou au conseil de surveillance d'une SEML ou qui préside une telle société ne peut percevoir, pour l'ensemble de ses fonctions, un montant total de rémunérations et d'indemnités de fonction supérieur à une fois et demie le montant de l'indemnité parlementaire telle qu'elle est définie à l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l'indemnité des membres du Parlement. Le montant supérieur à ce plafond doit être écrêté et reversé au budget de la personne publique au sein de laquelle le conseiller a exercé le plus récemment un mandat ou une fonction.
11. Les juges relèvent qu'il est établi que M. [U] était dépositaire de l'autorité publique au moment des faits, dès lors qu'il occupait les fonctions de conseiller régional de la Réunion puis de 1er vice-président dudit conseil régional, de maire de la commune de [Localité 2], de 3ème vice-président de la communauté d'agglomération du sud et de président-directeur général de la société [1].
12. Ils ajoutent que M. [U] a toujours reconnu avoir perçu les sommes versées au titre de l'ensemble de ses fonctions et les a déclarées à la HATVP, et qu'il soutient toutefois que la rémunération qu'il perçoit de la société [1] en vertu de ses fonctions de président directeur général n'est pas explicitement visée par l'article L. 4135-18 du code général des collectivités territoriales et n'entre donc pas dans le calcul de l'écrêtement.
13. Les juges retiennent que le conseil d'administration de la société [1], après avoir désigné à l'unanimité M. [U] en qualité de président du conseil d'administration de cette société, a décidé, comme l'article L. 225-51-1 du code de commerce le lui permet, de déroger à la pratique antérieure et de dire que la direction générale sera dorénavant assumée, sous sa responsabilité, par le président du conseil d'administration.
14. L'arrêt attaqué précise que dès lors que l'exercice de la direction générale est assumé par le président du conseil d'administration, celui-ci devient président directeur général et aucune distinction n'est à opérer entre la rémunération de président et celle de directeur général, les rémunérations versées à ce titre à l'élu étant soumises au plafond du cumul des rémunérations.
15. Les juges soulignent que M. [U] avait suffisamment d'expérience en tant qu'élu local pour considérer qu'il a agi sciemment. Qu'il ne pouvait, en effet, ignorer que l'exercice de la direction générale de la société [1] était attaché, de par les conditions de sa désignation en tant qu'élu de la Région au sein d'une structure majoritairement détenue par celle-ci et abondée par des fonds publics, à l'exercice de sa fonction de président de la société et qu'il aurait dû a minima s'interroger, en sa qualité de dépositaire de l'autorité publique, sur le cumul des rémunérations, ne pouvant valablement s'exonérer par l'absence d'alertes préalables émanant des services administratifs du conseil régional.
16. Les juges concluent qu'en omettant de déclarer des rémunérations qu'il savait excéder ce qui lui était dû en sa qualité d'élu, M. [U] s'est rendu coupable du délit de concussion.
17. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision et n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
18. En premier lieu, selon l'article 432-10 du code pénal le délit de concussion se consomme, notamment, par le fait, pour une personne dépositaire de l'autorité publique, de percevoir des salaires et indemnités au-delà de ceux auxquels elle sait avoir droit.
19. En deuxième lieu, l'article L. 4135-18 du code général des collectivités territoriales détermine un plafond total de rémunération et d'indemnité de fonction pour le conseiller régional titulaire d'autres mandats électoraux ou qui siège à ce titre, notamment, au conseil d'administration ou au conseil de surveillance d'une SEML ou qui préside une telle société.
20. En troisième lieu, l'élément moral du délit de concussion, qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, se déduit de la matérialité des faits et ne saurait être remis en cause par un acte qui leur est postérieur tel le remboursement des sommes considérées comme un trop-perçu.
21. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [U] aux peines principales de huit mois d'emprisonnement assortis d'un sursis simple et dix mille euros d'amende, et à la peine complémentaire de privation du droit d'éligibilité pour une durée de trois ans, alors :
« 1°/ qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit en justifier la nécessité au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale ; qu'en condamnant M. [D] [U] à la peine de huit mois d'emprisonnement assortis du sursis simple sans s'être précisément expliquée sur la gravité des faits, la personnalité de l'exposant ni sur le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 132-1 du code pénal, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine d'amende doit motiver décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; qu'en l'espèce, pour prononcer la peine de 10 000 euros d'amende à l'encontre de l'exposant, la cour d'appel s'est abstenue de prendre en considération les ressources et les charges qui pesaient sur lui ; qu'en statuant ainsi, par des constatations impropres à caractériser la prise en compte des charges de l'exposant dans le calcul du quantum de l'amende, la cour d'appel n'a pas justifié ce chef de décision au regard des articles 132-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 132-1 et 132-20, alinéa 2, du code pénal :
23. Selon le premier de ces textes en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur.
24. Selon le second de ces textes, le juge qui prononce une amende doit, en outre, motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu.
25. Pour condamner le prévenu, notamment, à huit mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 10 000 euros, l'arrêt attaqué fait état des sommes annuellement perçues par M. [U] pour toutes les fonctions qu'il exerce, retient la gravité de l'atteinte commise à la probité et ses conséquences sur le conseil régional et relève, enfin, son absence de condamnation pénale ainsi que sa restitution du trop-perçu.
26. En se déterminant ainsi, sans s'expliquer, d'une part, sur la situation personnelle de l'intéressé et, d'autre part, sur le montant de ses charges la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
27. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
28. La cassation sera limitée aux peines, dès lors que les déclarations de culpabilité n'encourent pas la censure. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 25 mars 2021, mais en ses seules dispositions relatives au prononcé des peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.