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Décisions

CA Paris, ch. 3 sect. 1, 12 janvier 2023, n° 22/02605

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Poissonnier, [J] & Associes (SARL)

Défendeur :

Lacaille & Lassus Architectes Associes (SAS), Sccv La Cascade (SCI), Gcc Immobilier (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mme Berquet, Mme Combrie

Avocats :

Me Descosse , Me Mourre

CA Paris n° 22/02605

11 janvier 2023

EXPOSE DU LITIGE
 
 
A la suite d'un appel d'offres passé en octobre 2016, sous la forme d'un « dialogue compétitif », la ville de [Localité 5] a retenu la candidature de la société Lacaille & Lassus Architectes Associés, en collaboration avec les sociétés La Cascade et GCC Immobilier, pour l'édification d'un bâtiment dénommé « La Cascade ».
 
La société Poissonnier, [J] & Associés, invoquant la contrefaçon des plans, esquisses, croquis et projet qu'elle aurait établis en 2015 à l'occasion d'un premier appel d'offres, et dénonçant subsidiairement des actes de concurrence déloyale, a assigné la société Lacaille & Lassus Architectes Associés et les sociétés La Cascade et GCC Immobilier devant le Tribunal Judiciaire de Marseille afin d'obtenir l'indemnisation de son préjudice.
 
Dans le cadre de l'instruction du dossier, les sociétés La Cascade et GCC Immobilier ont saisi le juge de la mise en état par conclusions d'incident du 9 janvier 2022 pour voir déclarer irrecevable l'action de la société Poissonnier, [J] & Associés pour défaut de qualité à agir tant sur le fondement de l'action en contrefaçon que sur le fondement de la concurrence déloyale.
 
Les sociétés La Cascade et GCC Immobilier soutenaient notamment que la société Poissonnier, [J] & Associés n'apportait pas la preuve qu'elle était titulaire de droits d'auteur sur l'œuvre revendiquée et faisaient valoir que les conditions pour que soit constituée une œuvre collective n'étaient pas remplies.
 
La société Poissonnier, [J] & Associés soutenait au contraire qu'elle était titulaire d'une oeuvrecollective.
 
Par ordonnance du 7 février 2022 le juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de Marseille a :
 
- déclaré irrecevable la société Poissonnier, [J] & Associés à agir en contrefaçon de droits d'auteur sur une oeuvrecollective constituée par des plans, études et croquis relativement au projet d'aménagement de l'îlot de la Cascade à [Localité 5],
- rejeté l'exception d'irrecevabilité de l'action en concurrence déloyale de la société Poissonnier, [J] & Associés,
- condamné la société Poissonnier, [J] & Associés à verser à la société Lacaille & Lassus Architectes Associés et les sociétés La Cascade et GCC Immobilier ensemble la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure,
- rejeté les demandes au titre des frais irrépétibles de procédure de la société Poissonnier, [J] & Associés et de la société Lacaille & Lassus Architectes Associés,
- condamné la société Poissonnier, [J] & Associés aux dépens de l'incident
 
 
Par acte du 21 février 2022 la société Poissonnier, [J] & Associés a interjeté appel de l'ordonnance.

 
Par conclusions enregistrées le 7 juin 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Poissonnier, [J] & Associés (SARL) soutient que :
 
- à titre principal, elle est titulaire des droits d'auteur sur l'œuvre architecturale l'îlot La Cascade et dispose ainsi du droit d'agir puisqu'elle en est l'initiateur et a pris la direction du projet ; elle a également exploité l'œuvre créée de façon collective ; le nom de la société est toujours apparu, fusionnant les contributions individuelles des salariés intervenus sur le projet ; la société Pitch Promotion n'était pas à l'initiative de la création puisqu'en sa qualité de promoteur, elle était la personne pour qui le bilan était réalisé ; la création de  a été faite sous sa direction ; l'œuvre a été diffusée sur son site internet, et a été soumise au promoteur,
- à titre subsidiaire, elle bénéficie d'une présomption de titularité des droits d'auteur en tant que personne morale en l'absence de revendication de la part du ou des auteurs,
- elle justifie d'un intérêt à agir au titre de la concurrence déloyale dès lors que cette action est distincte de l'action en contrefaçon, que les circonstances sont établies et que son préjudice financier, évalué à 62 627 euros, est également justifié, outre son préjudice moral.
 
La société appelante demande dès lors à la Cour d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle l'a déclarée irrecevable en son action en contrefaçon, l'a condamnée au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et l'a déboutée de sa demande à ce titre.
La société Poissonnier, [J] & Associés sollicite ainsi de :
 
- la déclarer recevable à agir au titre de la contrefaçon à l'encontre de la société Lacaille & Lassus Architectes Associés et des sociétés La Cascade et GCC Immobilier,
- débouter les sociétés intimées de leurs demandes dans le cadre de l'appel incident,
- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle l'a déclarée recevable à agir au titre de la concurrence déloyale,
- débouter la société Lacaille & Lassus Architectes Associés et les sociétés La Cascade et GCC Immobilier de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Lacaille & Lassus Architectes Associés et les sociétés La Cascade et GCC Immobilier au paiement de la somme de 5 000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions enregistrées le 10 octobre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Lacaille & Lassus Architectes Associés (SAS) réplique que :
 
- au visa des articles 31 et 32 du code de procédure civile, la société Poissonnier, [J] & Associés ne justifie pas de son droit d'agir et rappelle que la recevabilité d'une action en contrefaçon des droits d'auteur est soumise à la preuve par le demandeur de sa qualité de titulaire du droit d'auteur,
- la société Poissonnier, [J] & Associés ne démontre pas que les conditions lui permettant de se prévaloir de la qualification d'oeuvrecollective sont réunies : le projet a été élaboré sous l'égide de la société Pitch Promotion et non de la société Poissonnier, [J] & Associés ; la société Poissonnier, [J] & Associés ne démontre pas avoir pris la direction du projet par des directives adressées à ses salariés, et les attestations doivent être jugées irrecevables et écartées au visa de l'article 202 du code de procédure civile en l'absence des mentions obligatoires ; la société Poissonnier, [J] & Associés ne justifie pas davantage de l'exploitation de l'oeuvresur son site internet ; la société Poissonnier, [J] & Associés ne peut invoquer une fusion des contributions à son initiative puisque c'est le logo de la société Pitch qui apparaît,
- la société Poissonnier, [J] & Associés ne peut se prévaloir de la présomption de titularité des droits d'auteur dans la mesure où si une personne morale peut être investie des droits de l'auteur conformément à l'article L.113-5 du code de la propriété intellectuelle, elle n'a pas pour autant la qualité d'auteur ; en tout état de cause, cette présomption est inapplicable dès lors que la société Poissonnier, [J] & Associés n'établit pas l'exploitation paisible de l'oeuvrerevendiquée,
- l'action de la société Poissonnier, [J] & Associés doit également être déclarée irrecevable au titre des actes de concurrence déloyale en l'absence de preuve de la qualité d'auteur de la société Poissonnier, [J] & Associés et de l'absence de preuve des investissements réalisés et du coût des études
 
La société Lacaille & Lassus Architectes Associés demande ainsi à la cour de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré la société Poissonnier, [J] & Associés irrecevable à agir en contrefaçon de droits d'auteur et de l'infirmer en ce qu'elle l'a déclarée recevable au titre de la concurrence déloyale.
La société Lacaille & Lassus Architectes Associés sollicite dès lors que soit déclarée irrecevable pour défaut de qualité à agir la société Poissonnier, [J] & Associés et qu'elle soit condamnée au paiement de la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
 
Par conclusions enregistrées le 13 mai 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, les sociétés La Cascade (SCI) et GCC Immobilier (SASU) répliquent pour leur part que :
 
- la société Poissonnier, [J] & Associés ne justifie pas d'une qualité à agir sur le fondement de la contrefaçon de droits d'auteur,
- en premier lieu, s'agissant de l'oeuvrecollective, elle ne démontre pas que l'oeuvrerevendiquée a été créée à son initiative, sous sa direction et son contrôle comme le fruit de plusieurs contributions créatives qui se fondent dans un ensemble, et qu'elle l'a ensuite elle-même divulguée au sens des dispositions de l'article L.113-2 alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle,
- en second lieu, s'agissant de la présomption de cotitularité, elle ne peut trouver à s'appliquer dès lors que la société Poissonnier, [J] & Associés ne démontre pas avoir exploité paisiblement l'œuvre revendiquée ; la simple diffusion sur son site internet, si elle est retenue, ne caractérise pas une commercialisation et donc une exploitation ; subsidiairement, si la présomption de titularité était retenue, la société Poissonnier, [J] & Associés ne pourrait revendiquer un préjudice moral dès lors que la personne morale ne peut avoir la qualité d'auteur ni être investie à titre originaire de l'ensemble des droits d'auteur,
- à titre incident, l'action de la société Poissonnier, [J] & Associés doit également être déclarée irrecevable au titre de la concurrence déloyale dès lors qu'elle échoue à prouver sa qualité d'auteur ainsi que les éléments concrets sur les investissements financiers ou humains engagés, distincts de ses honoraires
 
Ainsi, les sociétés La Cascade et GCC Immobilier demandent à la Cour, à titre principal, de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré irrecevable à agir la société Poissonnier, [J] & Associés sur le fondement du droit d'auteur et la débouter de son appel et de toutes fins qu'il comporte.
A titre subsidiaire, si la présomption de titularité est retenue, juger irrecevable l'action de la société Poissonnier, [J] & Associés sur le fondement du droit moral et pour former des demandes au titre d'un préjudice moral,
Sur leur appel incident, les sociétés La Cascade et GCC Immobilier demandent l'infirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré recevable la société Poissonnier, [J] & Associés en son action en concurrence déloyale.
Par ailleurs, elles sollicitent la condamnation de la société Poissonnier, [J] & Associés à leur payer chacune la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de justice de première instance et d'appel, dont distraction.
 
Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 17 octobre 2022 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 14 novembre 2022.
 
A cette date, l'affaire a été retenue et mise en délibéré au 12 janvier 2023.
 
 
 MOTIFS
 
 
Sur la recevabilité des actions engagées par la société Poissonnier, [J] & Associés :
 
En application de l'article 122 du code de procédure civile constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
 
Ainsi, au visa de l'article 31 du code de procédure civile l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
 
Pour autant, au visa de l'article 31 susvisé, il a été jugé que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, et que l'existence du droit invoqué n'est pas une condition de recevabilité de l'action mais de son succès.
 
Il en résulte que sur le fondement de l'action en concurrence déloyale, le demandeur à l'action n'a pas à faire la preuve préalable des actes fautifs, de son préjudice ainsi que d'un lien de causalité, ces conditions relevant, non pas de la recevabilité de son action au visa des articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile, mais d'une appréciation au fond des éléments constitutifs de l'action en concurrence déloyale fondée sur l'article 1240 du code civil.
 
L'ordonnance sera dès lors confirmée en ce qu'elle a déclaré la société Poissonnier, [J] & Associés recevable en son action en concurrence déloyale.
 
De même, le bien-fondé de l'action en contrefaçon, action qui procède d'un régime autonome de celui de l'action en concurrence déloyale, ne relève pas d'un débat sur la recevabilité.
 
En revanche, le défaut de qualité pour agir constitue un moyen de nature à rendre irrecevable toute prétention émise par une personne dépourvue du droit d'agir.
 
Ainsi, aux termes de l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporel exclusif et opposable à tous, comprenant des attributs d'ordre intellectuel et moral mais également d'ordre patrimonial.
 
De ce fait, l'auteur d'une œuvre peut agir en contrefaçon à l'égard des tiers, pour autant qu'il établisse sa qualité d'auteur.
 
Au cas particulier, considérant qu'une personne morale ne peut avoir la qualité d'auteur, la société Lacaille & Lassus Architectes Associés a soulevé à bon droit l'absence de qualité pour agir de la société Poissonnier, [J] & Associés au titre de son action en contrefaçon.
 
La société Poissonnier, [J] & Associés invoque le fait qu'elle est titulaire des droits d'auteur sur l'œuvre collective dite La Cascade, élaborée entre plusieurs collaborateurs au sein du cabinet d'architecture.
 
A cet égard, la personne morale qui exploite sous son nom une œuvre à laquelle ont concouru plusieurs participants, est présumée, jusqu'à preuve contraire, titulaire des droits sur cette œuvre collective.
 
Néanmoins, lorsque la qualification est discutée il appartient à celui qui se prévaut de celle-ci d'apporter la preuve qu'il y a bien œuvre collective.
 
Au visa de l'article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle l'œuvre est dite collective si elle est créée à l'initiative d'une personne physique ou morale, qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom, et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé.
 
En cause d'appel, la société Poissonnier, [J] & Associés produit des éléments permettant d'attester que le projet architectural est bien une création collective dès lors qu'il a mobilisé divers intervenants avec des approches complémentaires au sein d'une équipe de conception dirigée par M. [B] [J].
 
Il convient de rappeler que les formalités imposées par les articles 202 et suivants du code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité et que le juge peut en tout état de cause apprécier souverainement si une attestation non conforme à l'article 202 présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction. Dès lors, la nullité des attestations produites par la société appelante n'a pas lieu d'être prononcée de ce seul fait.
 
En revanche, la société Poissonnier, [J] & Associés ne justifie pas qu'elle est à l'origine de l'édition, de la publication et de la divulgation du projet architectural sous sa direction et son nom.
 
En effet, si elle produit deux versions (non datées) du projet intitulé « Îlot de la Cascade » au nom de Poissonnier [J] (pièces 21 et 22) il n'est pas établi que ces deux versions aient été diffusées.
 
De plus, comme l'a constaté le premier juge, le projet présenté dans le cadre d'un premier appel de la mairie de [Localité 5] en 2015 n'est pas divulgué sous l'égide de la société Poissonnier, [J] & Associés. Le cabinet d'architecture apparaît en effet, par son logo, comme participant sous la direction de la société « Pitch Promotion/Groupe Imestia », laquelle se présente en tête de l'organigramme comme promoteur et maître d'ouvrage.
 
Ainsi, si la société Pitch a effectivement consulté la société Poissonnier, [J] & Associés pour l'élaboration d'un projet architectural, il n'en reste pas moins que le projet a été divulgué sous la direction du promoteur et ne peut être à ce titre considéré comme une œuvre collective dont la société Poissonnier, [J] & Associés serait titulaire au sens de l'article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle.
 
Enfin, les captures d'écran produites aux débats ne sont pas exploitables en l'espèce et sont insuffisantes à faire la preuve de la divulgation du projet avant la contrefaçon alléguée en l'absence d'éléments datés et précis.
 
En conséquence, il y a lieu de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état également en ce qu'elle a déclaré la société Poissonnier, [J] & Associés irrecevable en son action en contrefaçon.
 
Sur les frais et dépens :
 
La société Poissonnier, [J] & Associés, partie succombante, conservera la charge des dépens de la procédure d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
 
En revanche, il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile dans la perspective des débats au fond à intervenir et de l'indemnité d'ores et déjà allouée en première instance.
 
 
PAR CES MOTIFS
 
 
La Cour,
 
Confirme l'ordonnance rendue le 7 février 2022 par le juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de MARSEILLE,
 
Y ajoutant,
 
Dit que la société Poissonnier, [J] & Associés conservera la charge des dépens de la procédure d'appel, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
 
Dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.