CA Paris, 24 janvier 2023, n° 22/12646
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Areitec (Sté), RM Five (Sté)
Défendeur :
Schalltechnik Dr.Ing Schoeps GMBH (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Barlow
Conseillers :
Mme Schaller, Mme Aldebert
Avocats :
Me Ortolland, Me Corcos, Me Bendjenna, Me Berg
I/ FAITS ET PROCÉDURE
1- La société de droit français Areitec et la société allemande Schall Technik Dr.ingSchoeps GmbH (ci-après : Schoeps) ont entretenu depuis 1992 des relations commerciales matérialisées par un contrat écrit dans le cadre duquel la première distribuait des produits d'équipements audios professionnels de la marque Schoeps en France.
2- La société RM Five établie en France est une société holding qui détient le capital de la société Areitec depuis le 29 janvier 2018, date à laquelle elle a acquis la totalité de ses actions.
3- La société Areitec reproche à la société Schoeps d'avoir, par un courriel en date du 14 avril 2020, brutalement mis fin à sa relation d'exclusivité qui aurait lié les sociétés en la faisant passer du statut de distributeur exclusif sur le marché français à celui de simple revendeur.
4- Estimant subir un grave préjudice financier, la société Areitec et la société RM Five, après vaine mise en demeure adressée le 15 avril 2020, ont par exploit en date du 17 juin 2020, attrait la société Schoeps devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir une réparation distincte pour chacune d'elles sur le fondement respectif des articles L. 442-6 I, 5° du code de commerce et 1240 du code civil.
5- Par un jugement en date du 7 juillet 2022, le tribunal de commerce de Paris a fait droit à la contestation de la compétence élevée par la société Schoeps au profit de la juridiction allemande et dit n'y avoir lieu au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
6- Les sociétés Areitec et RM Five ont interjeté appel de ce jugement par déclaration d'appel du 22 juillet 2019 et, après y avoir été autorisées par ordonnance du 25 juillet 2022, ont fait citer à comparaître à jour fixe, par acte d'huissier du 17 août 2022, la société Schoeps à l'audience du 25 octobre 2022 date à laquelle l'affaire a été renvoyée au 28 novembre 2022.
II/ PRÉTENTIONS DES PARTIES
7- Aux termes de leurs dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 24 octobre 2022, les sociétés Areitec et RM Five demandent à la cour, au visa de l'article 1188 du code civil et des articles 7-1 et 7-2 du Règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 dit « Bruxelles I bis », de bien vouloir :
- INFIRMER le jugement dont appel par lequel le tribunal de commerce de Paris s'est déclaré incompétent.
Statuant à nouveau,
- JUGER que la clause désignant Karlsruhe comme lieu d'exécution des prestations est inopposable a RM FIVE,
- JUGER qu'en vertu de l'article 7- 2) du Règlement Bruxelles I bis, en matière délictuelle, la juridiction compétente est celle du lieu ou' le fait dommageable s'est produit ;
- JUGER que le tribunal de commerce de Paris est compétent pour statuer sur les demandes de RM FIVE.
- JUGER que dans les faits, le lieu d'exécution des prestations n'est pas Karlsruhe mais le territoire français comme en attestent les confirmations de commandes, factures et bons de livraison ;
- JUGER que la volonté réelle des parties prime sur la volonté déclarée ;
- JUGER que le tribunal de commerce de Paris est compétent pour statuer sur les demandes de AREITEC.
- REJETER l'exception d'incompétence soulevée par la société SCHOEPS et se DECLARER compétent pour trancher le présent litige ;
- CONDAMNER la société SCHOEPS à verser à la société AREITEC la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société SCHOEPS à verser à la société RM FIVE la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER la société SCHOEPS aux entiers dépens de l'instance.
8- Aux termes de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 14 octobre 2022, la société Schoeps demande à la cour, au visa des articles 73, 75 et 122 du code de procédure civile, du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, dit « Bruxelles I bis », du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit « Rome I », des articles 1217 et suivants et 2224 du code civil, des articles L. 110-4, I et L. 442-1, II du code de commerce, de bien vouloir :
- CONFIRMER dans toutes ses dispositions le jugement déféré du tribunal de commerce de Paris en date du 07 juillet 2022 ;
En conséquence :
- JUGER l'action des sociétés AREITEC et RM FIVE irrégulières au titre d'une exception d'incompétence au profit des juridictions allemandes et, plus spécialement, les juridictions du ressort de la ville de KARLSRUHE, en Allemagne ;
- DEBOUTER les sociétés AREITEC et RM FIVE de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
En tout état de cause :
- CONDAMNER chacune des sociétés AREITEC et RM FIVE à verser à la société SCHOEPS la somme de 8 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
III/ MOYENS DES PARTIES
9- Au soutien de la compétence internationale de la juridiction parisienne, la société Areitec prétend, sur le fondement de l'article 7-1) sous b) du Règlement Bruxelles I bis, qu'elle était fondée à attraire la société Schoeps devant la juridiction du lieu dans lequel les services ont été fournis, à savoir le territoire français, pour statuer sur sa demande en réparation pour rupture de relations commerciales établies.
10- Elle fait valoir que si le contrat avait prévu que les livraisons avaient lieu en Allemagne à Karlsruhe, en réalité les parties se sont écartées de ces dispositions par un avenant verbal aux termes duquel elles sont convenues que le lieu d'exécution de toutes les prestations issues du contrat serait non pas Karlsruhe mais le territoire français.
11- La société RM Five expose quant à elle rechercher la responsabilité délictuelle de la société Schoeps pour le préjudice subi par ricochet.
12- Elle soutient que la violation de l'exclusivité à laquelle la société Schoeps était tenue en France a réduit à néant l'actif qu'elle a acquis et qu'elle est bien fondée au visa de l'article 7 tiret 2 du Règlement Bruxelles I bis à demander une indemnisation devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit, à savoir le territoire français.
13- En réponse, la société Schoeps conclut au visa des règles du Règlement Bruxelles I bis.
14- Elle fait valoir qu'envers la société Areitec s'agissant d'une action de nature contractuelle elle relève de la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation convenue par les parties à Karlsruhe, en Allemagne conformément à l'article 8 du contrat de sorte que seules les juridictions allemandes sont compétentes pour connaître du litige qui l'oppose à la société Areitec.
15- Elle demande à l'égard de la société RM Five de confirmer la décision des premiers juges qui ont considéré que pour une bonne administration de la justice, son action accessoire relevait de la connaissance des juridictions allemandes en faisant observer que le recours engagé par la société RM Five est en réalité une manœuvre de la société Areitec pour chercher à obtenir la compétence des juridictions françaises que les premiers juges ont à juste titre écartée.
IV/ MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'application du règlement « Bruxelles 1 bis ».
16- A titre liminaire, la cour rappelle que la présente action ayant été intentée en 2020 par deux sociétés établies sur le territoire national à l'encontre d'une société établie en Allemagne, le litige présente un élément d'extranéité qui entre dans le champ d'application matériel du règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Règlement Bruxelles I bis », lequel doit recevoir application et prévaloir sur les règles nationales de compétence.
17- En application de l'article 4, paragraphe 1, de ce règlement, Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre...
18- Cependant, en vertu de l'article 5.1, dudit règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre peuvent aussi être attraites devant les juridictions d'un autre État membre en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du chapitre de ce règlement relatif à la « Compétence », soit par les articles 7 à 26 de ce règlement.
19- Selon l'article 7 du règlement :
Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande ;
b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :
- pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
- pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;
c) le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas ;
2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.
20- C'est en application des critères de rattachement à la juridiction compétente et en se référant à la situation factuelle selon la nature délictuelle ou contractuelle de l'action mise en œuvre, qu'il appartient à la cour de vérifier la compétence internationale du tribunal de commerce de Paris pour connaître du litige.
Sur la compétence internationale du tribunal de commerce de Paris.
Sur le recours introduit par la société Areitec.
21- Il n'est pas contesté que s'agissant d'une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de la prétendue exclusivité d'un contrat de distribution établi de longue date et en présence d'un contrat liant les parties, les critères de compétence juridictionnelle sont ceux relevant de la matière contractuelle.
22- Aux fins de la détermination de la compétence judiciaire, les parties ne s'opposent pas sur la qualification du contrat de distribution ni sur le point de savoir si le contrat peut être qualifié de contrat de fourniture de services au sens de l'article 7-1 sous b) qui désigne la juridiction du « lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis » mais sont en désaccord sur le lieu convenu de l'exécution des prestations contractuelles.
23- La société Areitec soutient que les prestations étaient fournies d'un commun accord en France ce que la société Schoeps conteste en faisant valoir qu'aux termes du contrat les parties ont désigné comme lieu d'exécution le territoire allemand.
24- En l'espèce il ressort du contrat qu'après avoir énoncé sous l'article 2 de cette convention que « les livraisons ainsi que le transfert de risques auront lieu départ usine» les parties ont prévu sous l'article 8 que « Karlsruhe sera lieu d'exécution de toutes les prestations issues de ce contrat, même si la validité du contrat serait contestée ». Pour tout cas juridique découlant des relations commerciales entre Schoeps et Areitec, seul le droit allemand fera loi » et sous l'article 9 qu'« il ne peut être procédé à des modifications du présent contrat que sous la forme écrite ».
25- Il résulte clairement de ces stipulations que les parties ont convenu d'une clause de localisation à Karlsruhe dont la validité n'est pas remise en cause et qui, en application de l'article 7-1 b) du règlement Bruxelles 1bis précité, détermine la juridiction allemande pour connaître du litige.
26- Le fait qu'en pratique la fourniture des services a eu lieu en France selon l'adresse figurant sur les commandes et les factures ne laisse pas entendre que les parties ont voulu déroger à cette clause de localisation dont le changement ne pouvait être opéré que par écrit.
27- Il s'ensuit que, par application du droit de l'Union et des stipulations contractuelles précitées, le tribunal de commerce de Paris n'a pas la compétence internationale pour connaître du litige opposant la société Areitec à la société Schoeps, de sorte que la décision sera confirmée sur ce chef.
Sur le recours introduit par la société RM Five.
28- S'agissant d'une action indemnitaire fondée sur la responsabilité délictuelle engagée par la société RM Five, tiers au contrat de distribution, les critères de compétence juridictionnelle sont ceux relevant de la matière délictuelle, qui désignent en application de l'article 7-2 du règlement précité la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit.
29- En l'espèce, il n'est pas contesté que le fait dommageable allégué, à savoir la rupture de l'exclusivité à laquelle la société Schoeps serait tenue sur le territoire français, produit ses effets en France, de sorte que la juridiction parisienne est compétente pour connaitre de l'action de la société RM Five envers la société Schoeps en application des dispositions précitées sans qu'il y ait lieu de se référer à la règle interne d'une bonne administration de la justice.
30- Le jugement sera donc infirmé sur la compétence à l'égard de la société RM Five et les parties renvoyées devant le tribunal de commerce de Paris.
Sur les frais et dépens :
31- La société Areitec et la société Schoeps qui succombent chacune partiellement seront condamnées aux dépens partagés par moitié et déboutées de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
32- L'équité commande de ne pas faire droit à la demande de la société RM Five en paiement d'une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
V/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1. Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 7 juillet 2022 sauf en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître de l'action de la société RM Five contre la société SCHALLTECHNIK DR.ING SCHOEPS GMBH ;
Et statuant à nouveau,
2. Déclare le tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître de l'action de la société RM Five contre la société SCHALLTECHNIK DR.ING SCHOEPS GMBH ;
3. Renvoie la société RM Five et la société SCHALLTECHNIK DR.ING SCHOEPS GMBH à poursuivre l'instance entre elles devant le tribunal de commerce de Paris ;
4. Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code procédure civile ;
5. Condamne la société Areitec et la société SCHALLTECHNIK DR.ING SCHOEPS GMBH aux dépens partagés par moitié qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.