Cass. com., 6 février 2019, n° 16-13.636
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Avocats :
Me Le Prado, SCP Boullez, SCP Gaschignard
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que MM. Y... et Z..., associés de la société à responsabilité limitée D... (la société JSF) ayant notifié à M. X..., leur coassocié, le projet de cession de leurs parts sociales à la société Ovelar, l'assemblée générale extraordinaire de la société JSF a, par une délibération du 2 septembre 2013, refusé l'agrément de cette dernière ; qu'ultérieurement, M. X... a informé la société JSF de ce qu'il se proposait d'acquérir les parts sociales de ses deux associés à un prix déterminé à dire d'expert, à condition que ce prix soit inférieur à une certaine somme ; que sur requête du 20 novembre 2013, déposée par M. X... sur le fondement des dispositions des articles L. 223-14 et R. 223-11 du code de commerce, le président d'un tribunal de commerce a, par une ordonnance du 3 décembre 2013, désigné un expert avec mission de fixer le prix des parts sociales et prolongé, pour une durée de six mois jusqu'au 2 juin 2014, le délai de trois mois prévu par l'article L. 223-14 du code de commerce ; que le 20 décembre 2013, MM. Y... et Z... ont cédé leurs parts à la société Ovelar en considération de ce que M. X... n'avait pas procédé à leur acquisition dans le délai légal de trois mois suite au refus d'agrément ; que M. X... a saisi le tribunal de commerce en annulation de ces cessions ; que les sociétés Ovelar et JSF ont assigné MM. Y..., Z... et X... en rétractation partielle de l'ordonnance du 3 décembre 2013 en ce qu'elle prolongeait le délai d'acquisition des parts ; que MM. Y... et Z... ont, de leur côté, demandé la rétractation de l'ordonnance en toutes ses dispositions ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de déclarer les demandes des sociétés Ovelar et JSF recevables alors, selon le moyen :
1°/ que suivant l'article 1843-4 du code civil, dans sa rédaction applicable avant le 3 août 2014, dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible ; qu'en accordant aux sociétés Ovelar et JSF le droit de former un référé afin de rétractation contre l'ordonnance de désignation de l'expert, cependant que cette ordonnance, qui n'est susceptible d'aucun recours, ne peut donner lieu à référé à fin de rétractation, la cour d'appel a violé la disposition susvisée, ensemble les articles 122 et 125 du code de procédure civile ;
2°/ que seuls les associés dont le consentement est requis pour la cession et la société peuvent invoquer l'inobservation des dispositions de l'article L. 223-14 du code de commerce ; qu'en déclarant recevable le recours en rétractation formé par les sociétés Ovelar et JSF, la première étant le cessionnaire des parts sociales de la société JSF, la cour d'appel a violé la disposition susvisée ;
Mais attendu, d'une part, que le référé afin de rétractation ne constitue pas une voie de recours mais s'inscrit dans le nécessaire respect par le juge du principe de la contradiction, qui commande qu'une partie, à l'insu de laquelle une mesure urgente a été ordonnée, puisse disposer d'un recours approprié contre la décision qui lui fait grief ; que l'ordonnance du 3 décembre 2013 ayant été rendue sur requête sur le fondement des articles L. 223-14 et R. 223-11 du code de commerce, le référé aux fins de rétractation était recevable, peu important que cette ordonnance ait été rendue pour mettre en oeuvre l'expertise prévue à l'article 1843-4 du code civil auquel renvoie le premier de ces textes ; que la première branche, qui postule le contraire, manque en droit ;
Et attendu, d'autre part, qu'ayant retenu que les sociétés Ovelar et JSF étaient intéressées à la procédure dès lors que l'acte de cession des parts était susceptible d'être remis en cause, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elles étaient recevables à agir en rétractation de l'ordonnance ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu les articles L. 223-14, alinéa 3, et R. 223-11 du code de commerce ;
Attendu que pour rétracter l'ordonnance du 3 décembre 2013, l'arrêt retient que les dispositions de l'article R. 223-11 du code de commerce, de nature réglementaire, ne peuvent être contraires à celles de l'article 1843-4 du code civil, d'ordre public, et que la cohérence du dispositif impose de considérer que le renvoi opéré par l'article L. 223-14 du code de commerce à l'article 1843-4 du code civil concerne aussi la procédure, rien ne justifiant que, pour une même décision, le président du tribunal statue, pour le seul cas des sociétés à responsabilité limitée, par ordonnance sur requête et, dans les autres cas, en la forme des référés ; qu'il en déduit que la requête présentée par M. X... aux fins de désignation d'un expert n'était pas recevable, la demande devant être formée par assignation en la forme des référés ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le renvoi opéré par l'article L. 223-14, alinéa 3, du code de commerce à l'article 1843-4 du code civil a pour seul objet la détermination de la valeur des droits cédés par voie d'expertise et non pas les modalités de saisine du président du tribunal, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 624 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation, sur le second moyen, du chef de dispositif rétractant l'ordonnance du 3 décembre 2013 en ce qu'elle procède à la désignation d'un expert entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de l'arrêt rétractant l'ordonnance en ce qu'elle prolonge le délai prévu à l'article L. 223-14 du code de commerce, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme l'ordonnance du 17 décembre 2014 en ce qu'elle déclare recevable la demande des sociétés Ovelar et D... , l‘arrêt rendu le 14 janvier 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.