Cass. crim., 31 janvier 2023, n° 22-83.399
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
M. Samuel
Avocat général :
M. Quintard
Avocat :
SCP Melka-Prigent-Drusch
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Une enquête a été ouverte, sur plainte de quatre personnes, pour des lésions apparues à l'occasion d'actes soit de cryolipolyse, soit de micro-needling prodigués dans des centres de soins esthétiques créés par M. [T] [S] et gérés par Mme [Y] [G].
3. A l'issue des investigations, M. [S] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de complicité de l'exercice illégal de la médecine reproché à Mme [G], pour avoir notamment dispensé des formations relatives à ces actes et fourni du matériel nécessaire pour les pratiquer.
4. Les juges du premier degré l'ont déclaré coupable pour les faits portant sur les actes de micro-needling, l'ont relaxé pour les faits relatifs à la cryolipolyse et ont prononcé sur les intérêts civils.
5. Le prévenu, une partie civile et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen,
Sur le moyen, pris en sa troisième branche,
6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses autres branches,
Enoncé du moyen,
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [S] coupable dans les termes de la prévention, alors :
1°/ que seuls les actes à visée curative, et non simplement à visée esthétique, peuvent être qualifiés d'actes médicaux ; qu'en retenant que la cryolipolyse réalisée par une machine débridée constitue un acte médical, la cour d'appel a violé l'article L. 4161-1 du code de la santé publique et l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 ;
2°/ que l'acte médical au sens du 6° de l'article 2 de l'arrêté précité est un acte effectué avec un matériel qui est destiné à une abrasion ; qu'en retenant que l'acte de micro-needling constitue un acte médical, alors que le matériel utilisé ne pouvait engendrer l'abrasion des téguments, la cour d'appel a violé l'article L. 4161-1 du code de la santé publique et l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962.
Réponse de la Cour,
Sur le moyen, pris en sa première branche,
8. Pour infirmer le jugement et déclarer le prévenu coupable de complicité d'exercice illégal de la médecine, l'arrêt attaqué énonce, s'agissant de la cryolipolyse, qu'elle consiste en une action destinée à réduire la cellulite et à détruire les tissus adipeux par l'application, sur les adipocytes, qui constituent les cellules graisseuses du tissu sous-cutané, d'un froid auquel elles sont très sensibles, sans risque de détérioration des tissus adjacents.
9. Les juges ajoutent que le prévenu a reconnu s'être rendu compte que l'appareil qu'il avait vendu à la gérante des centres de soins esthétiques où était pratiquée cette méthode était un appareil réservé aux médecins qui n'avait pas été bridé.
10. Ils précisent qu'une cliente a constaté, le soir même des soins, l'apparition de tâches rougeâtres, de gonflements et de cloques, et que, selon le médecin expert, elle a subi, sur la zone d'application des ventouses, des lésions cutanées consistant en des brûlures de deuxième degré ayant causé des cicatrices de 8 sur 4 centimètres.
11. La cour d'appel en conclut que le prévenu, en vendant, en sa qualité de professionnel averti et de médecin spécialiste, en tant que franchiseur, une machine de cryolipolyse non bridée, réservée aux médecins, et en assurant, par ses actions de formation, son utilisation par des professionnels d'instituts d'esthétique, a permis à ces derniers de procéder à un refroidissement accru des adipocytes constitutif d'une cryothérapie réservée aux médecins par l'article 4 de l'arrêté du 6 janvier 1962.
12. En se déterminant ainsi, par des motifs qui établissent que le prévenu s'est rendu complice d'actes de physiothérapie effectués par des personnes non titulaires d'un doctorat en médecine, aboutissant à la destruction des téguments et entrant, comme tels, dans les prévisions dudit arrêté, peu important que ces actes n'aient poursuivi qu'un objectif esthétique, la cour d'appel a justifié sa décision.
13. Dès lors, le grief doit être écarté.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche.
14. Pour déclarer le prévenu coupable de complicité d'exercice illégal de la médecine, l'arrêt attaqué énonce, s'agissant du micro-needling, qu'il s'agit d'une technique qui consiste à réaliser, dans les différentes couches du derme, des micro-perforations à des profondeurs et vitesses variées, pour stimuler la synthèse des fibroblastes, responsables de la qualité de la peau, afin qu'ils produisent élastine et collagène. Il souligne qu'il peut en résulter des saignements en cas de traitement en profondeur.
15. Les juges ajoutent que les plaquettes publicitaires des centres de soins esthétiques, corroborées par les déclarations des employées de ces établissements, précisaient que la perforation répétée pouvait atteindre jusqu'à 3 mm, ce qui conduisait nécessairement à une action abrasive sur la peau.
16. Ils retiennent que des zones de brûlure sur le visage ont été constatées par l'expert sur deux personnes, dont l'une présentait des cicatrices correspondant à une brûlure du deuxième degré avec desquamation du front et des pommettes.
17. Ils soulignent que les phénomènes de pelage décrits par les victimes et habituellement constatés à l'issue des séances, tout comme les déclarations de la gérante des établissements, lesquelles font état de rougeurs en surface aboutissant parfois à des croutelles et d'un processus de cicatrisation, témoignent de cet effet abrasif découlant de l'usage d'un stylo électrique micro-perforant.
18. Ils précisent que l'usage de ce stylo a pu occasionner des effusions de sang au sens des dispositions de l'arrêté du 6 janvier 1962, ce qui s'entend d'une fuite de liquide sanguin à travers les parois d'un vaisseau sanguin vers le tissu, sans notion de quantité de sang écoulé, et relèvent que l'emploi, dans l'arrêté, du terme « susceptible » implique qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait systématiquement saignement, le simple fait que cet usage puisse y conduire étant suffisant.
19. Ils constatent encore que le fait d'enfoncer dans le derme des aiguilles, même de petite taille, est susceptible de provoquer une fuite de liquide sanguin vers les tissus, la possibilité de saignement dépendant des caractéristiques physiologiques de la peau ainsi que de la profondeur de pénétration des aiguilles qui, en l'espèce, pénétraient le derme de manière plus profonde que les derma-rollers avec lesquels le prévenu a entretenu la confusion.
20. La cour d'appel en déduit que cette nouvelle technique entre dans les prévisions de l'arrêté du 6 janvier 1962, même si elle n'y est pas spécifiquement dénommée.
21. Elle en conclut que, par ses actions de formation et la vente de stylos perforants dont l'usage relevait d'actes réservés aux médecins, puis par l'apport de son expertise de médecin pour le suivi des clientes présentant des dommages, le prévenu a, dans un but uniquement commercial, commis le délit de complicité d'exercice illégal de la médecine.
22. En statuant ainsi, par des motifs qui relèvent de son appréciation souveraine et établissent l'exécution, par des personnes non titulaires d'un doctorat en médecine, d'actes d'abrasion instrumentale des téguments à l'aide d'un matériel susceptible de provoquer l'effusion du sang, dont le prévenu s'est rendu complice, la cour d'appel a justifié sa décision.
23. En effet, l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 réserve la pratique de tels actes aux docteurs en médecine, sans exiger que le matériel utilisé soit destiné à l'abrasion des téguments et agisse exclusivement par rabotage, meulage ou fraisage.
24. Dès lors, le moyen doit être écarté.
25. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi