Cass. crim., 14 novembre 2007, n° 07-80.220
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Labrousse
Avocat général :
M. Fréchède
Avocats :
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Defrenois et Levis
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé par la société civile professionnelle Defrenois et Levis pour Christian Y..., pris de la violation des articles 432-12 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a infirmé le jugement entrepris en déclarant Christian Y... coupable du chef de prise illégale d'intérêts et l'a condamné à une peine de trois mois d'emprisonnement assorti du sursis simple et à 3 000 euros d'amende ;
"aux motifs que Christian Y... était investi d'un mandat électif au moment des faits (page 7) ; qu'il était présent lors de la première délibération du conseil municipal engageant l'opération d'urbanisation dite de «Saulcy» ; qu'il était également présent aux autres délibérations du conseil municipal au cours desquelles le projet a été finalisé ; que même si Christian Y... n'a pas participé au vote, sa participation aux séances du conseil municipal « vaut surveillance ou administration au sens de l'article 432-12 du code pénal» ; qu'en qualité de gérant de la SCI Jessica, bénéficiaire de la vente de parcelles sises au Saulcy, Christian Y... a pris un intérêt direct dans une opération dont il avait la surveillance ou l'administration ; qu'en déclarant vouloir préserver son paysage et en reconnaissant «avoir gagné sur les deux tableaux», Christian Y... a accompli sciemment l'acte constituant l'élément matériel du délit (page 8) ;
"alors que le délit de prise illégale d'intérêt suppose, pour être constitué, que le prévenu investi d'un mandat électif ait la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement dans une opération pour laquelle il lui est reproché d'avoir pris un intérêt ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que le demandeur n'a jamais participé au vote lors des délibérations du conseil municipal portant sur la vente et l'urbanisation des terrains sis au «Saulcy» ; que pour retenir néanmoins Christian Y... dans les liens de la prévention, les seconds juges se sont bornés à considérer que ce dernier était présent, en qualité de secrétaire de séance, lors des délibérations du conseil municipal ; qu'en se déterminant par des éléments impropres à caractériser en quoi le demandeur exerçait une quelconque forme de contrôle sur l'opération litigieuse, la cour d'appel a méconnu les textes visés au pourvoi" ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Boré et Salve de Bruneton pour René X..., pris de la violation des articles 121-7 et 432-12 du code pénal et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt a déclaré René X... coupable de complicité de prise illégale d'intérêts et l'a condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 3 000 euros ;
"aux motifs que Christian Y... était investi d'un mandat électif au moment des faits ; qu'il était présent lors de la première délibération du conseil municipal engageant l'opération d'urbanisation dite de «Saulcy» ; qu'il était également présent, lors des délibérations dudit conseil municipal, en date du 23 mars 2000 et 19 septembre 2000, au cours desquelles le projet a été finalisé et ce toujours en sa qualité de conseiller municipal ; que Christian Y... a, de plus, été nommé, lors de chacune de ces délibérations, secrétaire de séance, ainsi qu'il résulte des procès-verbaux de ces délibérations, sur lesquels figure, à chaque fois la mention suivante : « un scrutin a eu lieu, Christian Y... a été nommé secrétaire de séance » ; que Christian Y... fait observer qu'il n'a jamais pris part au vote ainsi qu'en atteste la mention portée, in fine, de chacune des délibérations susvisées : « décision prise par 12 voix pour, Christian Y... sort et ne prend pas part au vote » ; que la participation active de Christian Y... aux séances déclaratives du conseil municipal du 24 juin 1999, 23 mars 2000 et 19 septembre 2000, vaut surveillance ou administration au sens de l'article 432-12 du code pénal ; que sur le troisième élément, pour être retenu dans les liens de la prévention, l'élu doit avoir pris ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt dans une opération ou une entreprise ; que cet intérêt peut être de nature matérielle ou morale, direct ou indirect : qu'il est établi et par ailleurs nullement contesté, que Christian Y... a participé aux délibérations déjà citées du conseil municipal de Dommartemont, qui avaient pour objet la cession des parcelles communales cadastrées AE 60, 159 et 160 soit à la société France Construction, soit à la SCI Jessica ; qu'à l'occasion de ces délibérations auxquelles il participait, sans, il est vrai, pendre part au vote, le conseil municipal a décidé de la cession des parcelles de la SCI Jessica ; que Christian Y... n'a jamais contesté que la SCI Jessica lui appartenait en propre, puisque le capital de cette société de 10 000 francs était divisé en 100 parts sociales de 100,000 francs chacune dont il détenait 90 parts, les 10 parts restantes étant détenues par son épouse, Ghislaine Z... ; que Christian Y... n'a jamais contesté être le gérant de la SCI Jessica ; qu'au surplus, René X... a déclaré à la police judiciaire : « de toute façon, comme je l'ai déjà dit SCI Jessica ou Y..., c'est pareil " ; que la cour constate que la cession de parcelles communales à été finalement faite au profit des époux Y..., personnellement, devant Me A..., notaire à Nancy, comme le prévoyait la délibération du 19 septembre 2000 qui autorisait la cession à la SCI Jessica « ou toute personne pouvant s'y substituer.. ; » ; que ces éléments établissent que Christian Y... a pris un intérêt direct dans cette opération, dont il avait, par ailleurs, la surveillance ou l'administration ; que peu important le fait que Christian Y... ait acquis au prix arrêté par les Domaines, dès lors que le fait d'avoir participé à des délibérations, en qualité d'élu municipal, à propos d'une cession de biens communaux à son profit personnel, caractérise en son entier, les éléments matériels de prise illégale d'intérêts ( ) ; qu'il résulte de l'ensemble des ces éléments que l'infraction de prise illégale d'intérêts reprochée à Christian Y... est caractérisée en tous ses éléments » ;
"alors que la complicité n'existe que pour autant qu'il y a un fait principal punissable ; que le délit de prise illégale d'intérêts suppose, pour être constitué, que le prévenu investi d'un mandat électif ait la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement d'une opération pour laquelle il lui est reproché d'avoir pris un intérêt ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt que Christian Y... n'a jamais participé au vote lors des délibérations du conseil municipal portant sur la vente et l'urbanisation des terrains sis au «Saulcy» et a quitté la salle lors de ce vote ; que pour retenir Christian Y... dans les liens de la prévention, la cour d'appel s'est bornée à considérer que ce dernier était présent, en qualité de secrétaire de séance, lors des délibérations du conseil municipal, sans caractériser une quelconque forme de contrôle sur l'opération litigieuse ; qu'en condamnant René X... pour complicité de faits impropres à caractériser le délit de prise illégale d'intérêts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale en violation des textes susvisés" ;
Sur le second moyen de cassation, proposé par la société civile professionnelle Boré et Salve de Bruneton pour René X..., pris de la violation des articles 121-7 et 432-12 du code pénal, des articles L. 2131-11 et L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt a déclaré René X... coupable de complicité de prise illégale d'intérêts et l'a condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 3 000 euros ;
"aux motifs que la cour se doit de vérifier si les faits reprochés à René X... sur la prévention de prise illégale d'intérêts, peuvent recevoir une autre qualification, à savoir celle de complicité de prise illégale d'intérêts commise par Christian Y... ; qu'est complice d'un délit celui qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation ; qu'il convient, en conséquence, de rechercher si René X... a aidé, assisté ou facilité la préparation ou la consommation de la prise illégale d'intérêts commise par Christian Y... ; que l'analyse des diverses pièces de la procédure établit que :
- René X... a été destinataire, en premier lieu, le 12 septembre 1997, d'un dossier adressé par la société France Constructions Bouygues, qui souhaitait acquérir pour les lotir, les terrains communaux litigieux ; que par courrier du 10 mai 1999, adressé au maire, René X..., Christian Y..., en son nom, a déclaré « confirmer » son intérêt pour l'acquisition des mêmes parcelles ; qu'il avait, à cette fin, depuis une année, sollicité M. B..., architecte pour que celui-ci établisse des esquisses du futur lotissement qu'il envisageait de construire ; que le terme «confirmer» utilisé par Christian Y... atteste de ce que les deux hommes s'étaient entendus sur l'opération projetée ; que l'ordre du jour figurant à la convocation pour le conseil municipal du 24 juin 1999, porte la mention « cession de terrain SCI », sans qu'il soit fait état du premier projet de lotir, à savoir celui de France Construction en date du 12 septembre 1997 ; que les délibérations du Conseil porteront sur les modalités de paiement, sans qu'il soit jamais fait allusion aux références techniques et professionnelles de deux concurrents et sans que René X... ait jugé utile de demander à France Construction une réactualisation de son offre, au vu des propositions de son «concurrent» Christian Y... ; qu'il résulte de ces éléments que René X... a aidé et facilité la préparation du délit de prise illégale d'intérêts commis par Christian Y... ; que par ailleurs, René X... a reconnu qu'il savait parfaitement que la SCI Jessica était détenue intégralement par la famille Y... et notamment par son conseiller municipal, Christian Y..., qu'à ce sujet, il a déclaré : « je ne connaissais pas la SCI Jessica mais il est évident, au travers de ses courriers des 10 mai et 10 juin 1999, que cette SCI était la sienne (celle de Christian Y...) et qu'il l'avait peut-être créée à cet effet. Nous, ce qui nous intéressait, c'était de céder le terrain à Christian Y... (D446)», « pour nous Jessica était représentée au conseil (municipal) par Christian Y..., son gérant, pour moi Y... égale Jessica (D445) », déclarations faites devant les services enquêteurs, confirmées devant les premiers juges : « pour moi, Jessica et Y..., c'était la même chose (E20)» ; que René X... a lui-même inscrit à l'ordre du jour du conseil municipal du 21 juin 1959 (sic) la cession de terrain à cette SCI (D00 358) ; qu'à l'occasion des délibérations dudit conseil en date du 21 juin 1999, 23 mars et 19 septembre 2000, René X... a présenté, lui-même, cette opération immobilière en qualité de «rapporteur» à ladite séance, au profit de la SCI Jessica dont il savait qu'elle était détenue par son conseiller municipal Y..., présent à ces séances ; qu'il a ainsi porté assistance et facilité la commission du délit de prise illégale d'intérêts par Christian Y... ; qu'en sa qualité de maire, il lui appartenait de veiller au respect de la loi ; qu'il est ainsi établi que René X... était informé, de longue date, des tenants et aboutissants de cette opération qu'il a grandement favorisée ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que René X... a eu parfaitement conscience d'aider et d'assister Christian Y... dans la préparation puis la commission de la prise illégale d'intérêt dont il a été déclaré coupable ; que la décision déférée sera infirmée, et que René X... sera déclaré coupable de complicité du délit de prise illégale d'intérêts reproché à Christian Y...» ;
"1°/ alors que le maire ne peut enjoindre au conseiller intéressé à l'affaire soumise au conseil municipal de se retirer et c'est au conseiller qu'il appartient de quitter la séance de lui-même s'il considère qu'il existe un intérêt personnel exigeant son retrait ; que la cour d'appel a relevé qu'en l'espèce, l'élément matériel du délit de prise illégale d'intérêts imputé à Christian Y... était caractérisé en son entier par le fait d'avoir participé à des délibérations, en qualité d'élu municipal, à propos d'une cession de biens communaux à son profit personnel, peu important le fait qu'il ait acquis les terrains à leur juste prix ; qu'en affirmant que Christian X... aurait aidé et facilité la commission par Christian Y... de ce délit alors qu'il ne lui appartenait pas d'apprécier si Christian Y..., qu'il était tenu de convoquer, devait s'abstenir de participer à une délibération du Conseil municipal dont il ne pouvait l'exclure, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"2°/ alors que la complicité par aide ou assistance ne peut s'induire d'une simple inaction ou abstention ; que la cour d'appel est entrée en voie de condamnation aux motifs que René X... aurait inscrit à « l'ordre du jour figurant sur la convocation pour le conseil municipal du 24 juin 1999 la mention « cession de terrain SCI" sans qu'il soit fait état du premier projet de lotir de France Construction en date du 12 septembre 1997», que «les délibérations du conseil avaient porté sur les modalités de paiement sans qu'il ne soit jamais fait allusion aux références techniques et professionnelles des deux concurrents et sans que René X... ait jugé utile de demander à France Construction de réactualiser son offre au vu des propositions de son «concurrent» Christian Y..." et qu'il «a présenté lui-même cette opération immobilière en qualité de «rapporteur» à ladite séance» ; que la cour d'appel en a déduit que René X... aurait «grandement favorisé» cette opération ; qu'en affirmant ainsi que René X... aurait aidé Christian Y... à emporter la décision du conseil municipal tout en constatant, par motifs propres et adoptés, que les terrains avaient été cédés à leur juste prix, que la décision de cession était conforme aux intérêts de la commune et que, par conséquent, l'élément matériel du délit de prise illégale d'intérêts se résumait à la seule présence de Christian Y... à la délibération du conseil, la cour d'appel, qui s'est ainsi prononcée par des motifs impropres à caractériser un acte positif établissant une aide apportée par René X... à la commission d'un délit qui consistait à avoir participé aux délibérations sur une affaire dans laquelle l'élu avait un intérêt, a privé sa décision de motifs en violation des textes susvisés» ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, par délibérations en date des 21 juin 1999, 23 mars 2000 et 19 septembre 2000, le conseil municipal de la commune de Dommartemont, dont René X... et Christian Y... étaient respectivement maire et conseiller municipal, a décidé la cession de parcelles communales à la société civile immobilière Jessica, gérée par Christian Y..., détenteur de 90 % des parts sociales ; que les époux Y..., se substituant, lors de l'acte de vente, à la société Jessica, sont devenus propriétaires desdits terrains, dont ils ont ensuite échangé une partie contre des parcelles contiguës appartenant à une société chargée de les lotir, ce qui leur a permis de devenir propriétaires de terrains constructibles et viabilisés aux frais de ladite société ;
Attendu que, pour déclarer Christian Y... et René X... coupables respectivement de prise illégale d'intérêts et de complicité, la cour d'appel relève que Christian Y... était présent et exerçait les fonctions de secrétaire de séance lors de la première délibération du conseil municipal engageant l'opération d'urbanisation ainsi que lors des délibérations suivantes au cours desquelles le projet a été "finalisé" ; que, dès lors, nonobstant le fait qu'il n'ait jamais pris part aux votes et soit sorti lors de ces derniers, sa participation active aux séances déclaratives du conseil municipal précitées vaut surveillance ou administration au sens de l'article 432-12 du code pénal ; que les juges ajoutent que René X..., qui s'était entendu avec Christian Y... pour réaliser l'opération litigieuse, l'a, en qualité de rapporteur, présenté lui-même lors des séances du conseil municipal, sans faire état d'un précédent projet de lotir émanant de la société France Construction, à qui il n'avait pas jugé utile de demander une actualisation de son offre, au vu des propositions de son concurrent ; que les juges en concluent que René X..., qui savait que la société Jessica était détenue par Christian Y..., a porté assistance et facilité la commission du délit de prise illégale d'intérêts reproché à ce dernier ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous leurs éléments les délits de prise illégale d'intérêts et complicité dont elle a déclaré les prévenus coupables, a justifié sa décision ;
Qu'en effet, la participation, serait-elle exclusive de tout vote, d'un conseiller d'une collectivité territoriale à un organe délibérant de celle-ci, lorsque la délibération porte sur une affaire dans laquelle il a un intérêt, vaut surveillance ou administration de l'opération au sens de l'article 432-12 du code pénal ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.