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Décisions

Cass. crim., 19 mars 2008, n° 07-84.288

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Labrousse

Avocat général :

M. Fréchède

Avocat :

SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Chambéry, du 1 mars 2007

1 mars 2007


Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 432-12 du code pénal, 385, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claude X... coupable de prise illégale d'intérêts, l'a condamné à une peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 10 000 euros et a prononcé l'interdiction des droits civiques , civils, et de famille pour une durée de trois ans et a déclaré l'action civile recevable ;

"aux motifs que, sur la surveillance ou l'administration exercée par Claude X... au moment des faits, et plus précisément de la délibération en cause du 1er juillet 2003, que celui-ci ne peut contester avoir présidé la séance du conseil municipal et participé au vote alors même que cette séance portait sur une affaire dans laquelle il avait un intérêt direct, compte tenu de l'implantation de sa propriété par rapport aux travaux envisagés et des modifications qui allaient en résulter quant à une augmentation à venir de la superficie de sa propriété par abandon des reliquats non utilisés par la société chargée des travaux de voirie » ; qu' en effet, « il a été décidé au cours de cette séance de procéder, d'une part, à la cession des deux parcelles AC 59 et 60 appartenant au domaine public de la commune depuis 1984 et 1998, sous-entendu à la société Allobroges Habitat, d'autre part, au déclassement d'un chemin rural qui allait être déplacé selon un tracé modifié prévu apparemment depuis 1998, ce tracé permettant cette extension de la propriété du maire, décisions devant avoir des conséquences importantes sur la propriété du maire lui-même, et à l'abandon de la partie déclassée » ; qu'en fait, « le but de cette séance était de permettre à terme de récupérer le reliquat des parcelles AC 59 et AC 60 à son profit par remise par la société qui devait devenir propriétaire ainsi que la récupération de la partie déclassée du chemin rural le concernant » ; que « le prévenu ne peut pas venir dire qu'aucune décision n'a été alors prise à cette séance, puisque cette délibération a :
- décidé la cession de parcelles appartenant au domaine public de la commune à une société privée,
- mis en oeuvre la consultation pour avis du Service des Domaines pour cette cession de parcelles ;

- décidé le déclassement partiel du chemin du Petit Feu et l'abandon de la partie déclassée ;
- mis en oeuvre ainsi la procédure d'enquête publique préalable au déclassement du chemin rural, qui a été réalisé du 26 septembre au 10 octobre 2003 sans qu'aucune observation ne soit formulée et aboutissant à un avis très favorable du commissaire enquêteur sur le sujet» ; que «cette simple présence et vote à la délibération du prévenu à la délibération du 1er juillet 2003 suffit à établir la surveillance ou l'administration exercées par lui, conformément aux dispositions de l'article 432-12 du code pénal, le prévenu étant alors doté par la décision, selon ses propres termes, de pouvoirs pour signer l'acte authentique de cession des parcelles à la société Allobroges Habitat et autorisé à effectuer toutes les démarches nécessaires à ce projet» ; que «pour être complet, il convient de constater que l'intervention du prévenu s'est poursuivie puisqu'il a également présidé et voté lors de la séance du conseil municipal du 4 novembre 2003 qui a été engagée pour en fait entériner le déclassement partiel du chemin du Petit feu, mais pour prévoir une «cession à titre gratuit» à la société Savoisienne alors qu'il s'agissait d'Allobroges Habitat, au départ, le tout avant de traiter de l'apparition de la nouvelle voirie qui serait généreusement rétrocédée au domaine public de la commune, sans qu'à aucun moment, il ne soit fait allusion des reliquats existants et à leur sort, le prévenu n'ignorant pas alors qu'il était le principal intéressé par la récupération de ces reliquats et qu'il avait ainsi préparé par ces actes pris dans le cadre de sa fonction l'acquisition à son profit desdits reliquats sur les trois terrains concernés» ; que «sur la prise d'intérêts, que le texte fait état d'une interdiction, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque» ; qu'«ainsi que l'ont retenu les premiers juges, qu'il est parfaitement établi par la procédure qu'un accord verbal a été passé entre le prévenu et M. Y..., directeur adjoint de la société Allobroges Habitat, avant l'intervention de la délibération du 1er juillet 2003, selon lequel les reliquats de parcelles restant après les travaux seraient revendus à Claude X..., sous réserve que la société en devienne officiellement propriétaire» ; que «cet accord est confirmé par l'envoi et le contenu de la lettre adressée par cette société à la mairie de Cognin en date du 16 juin 2003 qui sollicite de celle-ci la cession des parcelles AC 59 ET AC 60, le déclassement du chemin du Petit Feu et l'autorisation d'engager les travaux «avant les acquisitions définitives des terrains» lettre qui est à l'origine de la délibération en cause du 1er juillet 2003, faisant apparaître une cession à venir des parcelles AC 59 et AC 60 à la société Allobroges Habitat ; qu'il est évident que cette lettre n'a été envoyée qu'après que soient tombés d'accord à la fois M. Y... et le prévenu sur la «récupération» par ce dernier des reliquats de parcelles, le prévenu ayant l'habitude de par son ancienneté dans la fonction d'élu de ce genre d'opérations ; que «le prévenu ayant pris conscience qu'il manquait un élément du puzzle, à savoir la récupération d'un reliquat du chemin rural devenu déclassé, il fallait en permettre la cession d'une manière ou d'une autre, ce qui explique la délibération du 4 novembre l'ordonnant à titre gratuit, alors même que la solution existait avec les dispositions de l'article L. 160-10 du code rural dont on ne comprend pas qu'elles n'aient pas été strictement respectées dans la forme avec mise en demeure des riverains et dépôts de soumission par les propriétaires riverains dans le mois suivant la mise en demeure ; qu'au surplus, cette délibération n'était juridiquement pas correcte puisque selon la préfecture, l'abandon de la partie déclassée du chemin rural ne pouvait se faire que de façon onéreuse et non à titre gratuit ; que, toutefois, cette délibération est intéressante sur le plan de l'établissement de l'intention du prévenu qui profitait alors de sa charge élective pour se favoriser en avançant de manière cachée» ; que «sur l'intention, celle-ci résulte de l'intérêt manifeste qu'avait manifesté le prévenu sur le long terme sur les parcelles environnant sa propriété, par la signature de la lettre du 10 juillet 1996 pour engager le droit de préemption de la commune de Cognin sur cette parcelle contiguë à son terrain, dans l'acquisition de la parcelle AC 60 dès 1998 en se manifestant auprès du vendeur M. Z... et auprès du notaire, puis par les tractations engagées avec la société Allobroges Habitat et la prise de la délibération du conseil municipal en date du 1er juillet 2003 suivie de celle du 4 novembre 2003, avant de profiter de la réfection minimale par la société Blondet de la base de la nouvelle voirie et des clôtures des propriétés mitoyennes pour faire achever la clôture et l'adjonction des nouveaux morceaux de terrain à sa propriété, conséquences dont il était l'heureux bénéficiaire» ; que «le fait que tous les actes de régularisation sont sans incidence sur l'existence de l'infraction au moment de la délibération en cause ; qu'ils sont en effet le 9 décembre 2005, et encore pour moitié seulement puisque la revente par la société Allobroges Habitat des reliquats de parcelles n'est toujours pas intervenue à ce jour, que le fait qu'ils n'aient pas été faits plus tôt permet de confirmer la conscience qu'avait alors le prévenu de commettre le délit reproché ; qu'en effet, le délit est instantané et que ces effets ne peuvent disparaître rétroactivement par l'effet d'actes postérieurs, quels qu'ils soient » ;

"alors que, d'une part, la prise illégale d'intérêts consiste pour un décideur public à prendre un intérêt dans une opération dont il est chargé d'assurer l'administration ou la surveillance ; qu'une délibération portant sur la réalisation d'un acte conditionné par une enquête publique, ne pouvant s'analyser que comme un projet n'est pas constitutive d'une opération au sens de l'article 432-12 du code pénal ; que la cour d'appel a considéré que le prévenu avait pris un intérêt dans l'opération en cause en participant à la délibération du 1er juillet 2003 ; que cependant, dès lors qu'elle constatait que la délibération prévoyait la cession de parcelles et le déclassement d'une voie conditionnée par la réalisation d'une enquête publique qui étaient indissociables, la cour d'appel ne pouvait sans se contredire affirmer que cette délibération constituait une décision engageant la commune ;

"alors que, d'autre part, les juges ne peuvent se prononcer que dans les limites de la prévention en application de l'article 388 du code de procédure pénale, sauf à avoir obtenu le consentement du prévenu à répondre de faits non visés à la prévention ; que, dès lors, la cour d'appel qui se prononce sur les délibérations postérieures à celle du 1er juillet 2003, dont elle n'était pas saisie, sans demander au prévenu s'il acceptait d'être jugé sur ces faits, a méconnu l'article 388 du code de procédure pénale ;

"alors que, par ailleurs, une personne ne peut prendre un intérêt dans une opération qui ne s'est pas réalisée ; que dès lors, en considérant que par sa participation à la délibération du 4 novembre 2003, le prévenu avait pris un intérêt dans une opération, alors qu'elle avait constaté que le conseil municipal avait décidé de prendre une autre délibération intervenue le 2 février 2004 à la suite des observations du préfet, laquelle abrogeait les précédentes délibérations, la cour d'appel n'a pu caractérisé la prise d'intérêt dans une opération au sens de l'article 432-12 du code pénal ;

"alors qu'à supposer qu'un accord verbal ait été passé avec le dirigeant de la société Allobroges Habitat pour la revente des terrains qui ne seraient pas utilisés pour la nouvelle voie, la cour d'appel n'explique pas en quoi le prévenu aurait pris un intérêt dans l'opération résultant des délibérations postérieures à celle du 1er juillet 2003 qui prévoyaient la vente des terrains litigieux non pas à la société Allobroges Habitat mais à la société Savoisienne ;

"alors qu'en outre, l'intérêt quelconque visé par l'article 432-12 du code pénal doit être pris dans l'opération à laquelle participe le décideur public et ne saurait résulter des opérations ultérieures dès lors qu'elles ne sont pas concomitantes à l'accomplissement de l'acte de la fonction ; que, dès lors, la prise illégale d'intérêts résulte du fait de prendre un intérêt direct dans l'opération, soit personnellement soit au bénéfice d'un proche parent ou de prendre un intérêt indirect dans l'opération, parce que la personne au profit de laquelle intervient l'opération est liée juridiquement au décideur public, mais sa qualité dissimulée ; que, dès lors, la délibération qui envisageait la vente de terrains à une société sans lien avec le maire de la commune ou un membre de sa famille ne constituait pas une opération dans laquelle le maire trouvait un intérêt direct ou indirect, aurait-il envisagé de racheter les terrains qui resteraient inutilisés à l'issue de l'opération ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a méconnu l'article précité ;

"alors qu'enfin la prise illégale d'intérêt résulte d'un acte accompli dans un intérêt personnel distinct de l'intérêt de la collectivité que représente le décideur public ; qu'en ne recherchant pas si l'opération envisagée dans la délibération litigieuse ne satisfaisait pas l'intérêt communal, même si elle était de nature à profiter ultérieurement au prévenu, non pas en tant que telle mais au regard de la situation de fait créée, et alors que la cour d'appel constatait que l'opération s'était finalement réalisée en application d'une délibération du 2 février 2004, à laquelle le prévenu n'avait pas participé, ce qui établissait l'intérêt de l'opération pour la commune, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale» ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'afin de permettre à la société Allobroges Habitat de réaliser une voie d'accès à un lotissement, le conseil municipal de Cognin, par une délibération du 1er juillet 2003, a décidé la cession à cette société de deux parcelles communales, dont l'une était limitrophe de la propriété du maire Claude X..., ainsi que le déclassement partiel d'un chemin rural et l'abandon de la partie déclassée dudit chemin ; qu'après avis favorable du commissaire enquêteur, le conseil municipal a autorisé la cession de la partie déclassée du chemin rural non utilisée à Claude X..., d'abord, à titre gratuit, par une délibération du 4 novembre 2003, puis, à la suite de l'intervention du préfet faisant valoir l'illégalité d'une telle cession, à titre onéreux, par une délibération du 2 février 2004 ; que, le 17 janvier 2005, Adnan A..., domicilié à Cognin et qui avait signé un compromis de vente avec les propriétaires de l'une des parcelles litigieuses, le 24 octobre 1997, avant d'être informé que cette dernière faisait l'objet d'une préemption par la municipalité, a porté plainte contre Claude X... en exposant qu'il avait constaté, début 2004, que ce dernier avait aggrandi la surface de sa propriété en construisant un mur qui englobait un reliquat des parcelles cédées à la société Allobroges Habitat et non utilisé après les travaux de voirie ; que Claude X... a été cité devant le tribunal correctionnel du chef de prise illégale d'intérêts pour avoir participé au vote de la délibération du 1er juillet 2003 ;

Attendu que, pour le déclarer coupable de ce chef, l'arrêt relève que le prévenu a présidé la séance du conseil municipal du 1er juillet 2003 et participé au vote, alors que cette séance portait sur une affaire dans laquelle il avait un intérêt direct, compte tenu de l'implantation de sa propriété par rapport aux travaux envisagés et de l'augmentation de celle-ci qui allait en résulter ; que les juges relèvent qu'un accord verbal avait été passé entre le prévenu et le dirigeant de la société Allobroges Habitat, avant ladite délibération, aux termes duquel les reliquats de parcelles non utilisés seraient revendus à Claude X... sous réserve que la société en devienne officiellement propriétaire ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que l'article 432-12 du code pénal n'exige pas que l'intérêt pris par le prévenu soit en contradiction avec l'intérêt communal, la cour d'appel a, sans excéder les limites de sa saisine, justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 432-12 du code pénal, 2, 3 et 591 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable la constitution de partie civile d'Adnan A... tout en constatant que l'infraction litigieuse ne lui avait pas porté préjudice» ;

Attendu que le demandeur est sans intérêt à critiquer les dispositions de l'arrêt ayant déclaré recevable l'action de la partie civile dès lors que les juges ont débouté cette dernière de l'ensemble de ses demandes ;

D'où il suit que le moyen est irrecevable ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.