Cass. 1re civ., 3 février 2021, n° 16-19.691
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
Mme Le Gall
Avocat général :
M. Lavigne
Avocats :
SCP Delvolvé et Trichet, SCP Célice, Texidor, Périer
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 juin 2016), M. Y..., avocat associé au sein de la société d'avocats [...] (la société d'avocats), était en arrêt maladie depuis le 6 février 2013 lorsque, le 29 août, il a informé celle-ci de son intention de quitter le cabinet, puis lui a adressé, le 1er octobre 2013, sa démission à effet au 31 décembre suivant.
2. Une assemblée générale extraordinaire a été convoquée au titre de cette démission sur laquelle elle n'a pas statué et par délibération du 25 novembre 2013, la société d'avocats a prononcé l'exclusion de M. Y... , en application de l'article 11 des statuts, au titre d'une incapacité d'exercice professionnel pendant une période cumulée de neuf mois au cours d'une période totale de douze mois.
3. Le 23 décembre 2013, M. Y... a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris d'une demande d'arbitrage portant sur des rappels de rétrocession d'honoraires depuis 2008 et l'octroi de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
4. M. Y... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de la somme de 700 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors :
« 1°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en rejetant la demande de dommages-intérêts de M. Y... motifs pris qu'il « ne verse aucune pièce de nature à établir avant septembre 2013 les comportements précise qu'il dénonce et les attestations qu'il produit, à l'exception de celle de M. N... H... avec lequel la SELAS [...] est en contentieux devant l'ordre des avocats, relatent uniquement le malaise qu'il ressentait alors dans son exercice professionnel, ce que corroborent les certificats médicaux produits qui relient l'état dépressif du patient à un contexte professionnel difficile sans autre précision », sans se prononcer, même succinctement, sur l'attestation de Mme T... laquelle démontrait que le syndrome d'épuisement de M. Y... trouvait sa source dans le mode d'exercice de la profession d'avocat qui lui était imposé par la société d'avocats en énonçant que « depuis trois ans environ, j'ai vraiment senti combien I... M... souffrait de ces méthodes de gestion de « l'humain », se traduisant par la formation de clans (
) se faisant et se défaisant et à l'égard desquels I... restait à distance ; mais aussi par une défiance injustifiée à l'égard de ses propres méthodes de travail. Une telle attitude a clairement contribué à son isolement car il était le seul à oser ouvertement contrer les excès de gestion », la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en rejetant la demande de dommages-intérêts de M. Y... motifs pris qu'il « ne verse aucune pièce de nature à établir avant septembre 2013 les comportements précise qu'il dénonce et les attestations qu'il produit, à l'exception de celle de M. N... H... avec lequel la SELAS [...] est en contentieux devant l'ordre des avocats, relatent uniquement le malaise qu'il ressentait alors dans son exercice professionnel, ce que corroborent les certificats médicaux produits qui relient l'état dépressif du patient à un contexte professionnel difficile sans autre précision », sans se prononcer, même succinctement sur l'attestation de M. et Mme W... dont il s'évinçait très clairement que l'exercice de la profession d'avocat tel qu'il était imposé par la société d'avocats affectait énormément M. Y... , la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve produits, la cour d'appel a estimé, sans être tenue de s'expliquer sur chaque élément de preuve invoqué, que la réalité d'un comportement fautif des dirigeants de la société d'avocats, à l'origine du syndrome d'épuisement professionnel dont M. Y... avait été victime en février 2013, n'était pas démontrée.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
7. M. Y... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en annulation de la résolution n° 1 votée par l'assemblée générale le 25 novembre 2013 ayant prononcé son exclusion de la société d'avocats, et sa demande en paiement de sa rémunération pour un montant de 627 519,10 euros au titre de l'année 2013, alors « qu'est nulle la délibération abusive de l'assemblée générale extraordinaire des associés d'une SELAS ; qu'en considérant qu'en raison du caractère abusif de l'exclusion de M. Y... , "seuls peuvent être alloués à M. Y... des dommages-intérêts s'il démontre que la décision litigieuse lui a causé un préjudice", la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1832 et 1833 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1832, 1833 et 1844-10, alinéa 3, du code civil :
8. Il résulte du dernier de ces textes que la décision prise abusivement par une assemblée générale d'exclure un associé affecte par elle-même la régularité des délibérations de cette assemblée et en justifie l'annulation.
9. Pour rejeter la demande d'annulation de la résolution d'assemblée générale du 25 novembre 2013 et la demande en paiement de la rétrocession d'honoraires pour l'année 2013, l'arrêt énonce que, si l'exclusion prononcée par l'assemblée générale est abusive, dès lors que cette assemblée avait été convoquée pour prendre acte de la démission de M. Y... et que la mesure prononcée était motivée par la volonté de résister à ses prétentions financières, seuls peuvent être alloués à celui-ci des dommages-intérêts s'il démontre que cette décision lui a causé un préjudice.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'annulation de la délibération n° 1 votée lors de l'assemblée générale du 25 novembre 2013 et la demande de rétrocession d'honoraires pour l'année 2013, l'arrêt rendu le 15 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.