Cass. com., 1 juillet 2008, n° 07-20.643
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Favre
Rapporteur :
M. Petit
Avocat général :
Mme Bonhomme
Avocats :
Me Odent, SCP Thomas-Raquin et Bénabent
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 6 septembre 2007), rendu en matière de référé, que les actionnaires de la société Kerris, réunis en assemblée générale mixte, ont, d'une part, ratifié la cooptation de nouveaux administrateurs et, d'autre part, décidé d'une réduction du capital social à zéro suivie d'une augmentation du capital par émission d'actions nouvelles, la souscription étant réservée aux titulaires des actions anciennes à raison de soixante quinze actions nouvelles pour deux actions anciennes ; que la société ITM entreprises, titulaire d'une action au sein du capital de la société Kerris, après avoir vainement manifesté son intention de souscrire à l'augmentation du capital, a fait assigner la société Kerris et demandé, d'une part, qu'il soit fait injonction aux dirigeants de cette société de lui fournir des renseignements complets sur les administrateurs cooptés et, d'autre part, qu'il soit mis fin au trouble manifestement excessif causé, selon elle, par la résistance à l'exercice de son droit préférentiel de souscription ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société ITM entreprises fait grief à l'arrêt de l'avoir déclarée irrecevable en sa demande d'injonction de communication de différents documents, alors, selon le moyen, que la société anonyme est tenue de communiquer à ses actionnaires un certain nombre de documents en vue de la tenue des assemblées ; qu'en cas de non-respect de cette obligation d'information, les actionnaires peuvent diligenter en référé une procédure d'injonction de faire afin d'obtenir la communication forcée des documents retenus par la société ; que cette procédure ne peut donc être dirigée que contre le débiteur de l'information, c'est-à-dire la société elle-même, prise en la personne de ses représentants légaux ; qu'en décidant cependant en l'espèce, pour déclarer irrecevable la demande en injonction de communiquer formée par la société ITME contre la société Kerris, que la demande devait être dirigée contre les dirigeants, pris en leur nom personnel, et non contre la société elle-même, prise en la personne de ses représentants légaux, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 238-1 et R. 225-83 du code de commerce ;
Mais attendu que l'arrêt retient à bon droit que la procédure d'injonction de faire organisée par l'article L. 238-1 du code de commerce, qui tend à obtenir la communication de certains documents par les dirigeants sociaux et permet, en cas de succès de la demande, de faire supporter par eux la charge de l'astreinte et des frais de procédure, doit être dirigée contre ces dirigeants pris en leur nom personnel et non contre la société qu'ils représentent ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que la société ITM entreprises fait encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à voir constater que la société Kerris avait résisté abusivement à l'exercice légitime de son droit préférentiel de souscription à l'augmentation du capital aux fins de l'exproprier de sa qualité d'actionnaire et à ordonner en conséquence différentes mesures destinées à faire cesser ce trouble manifestement illicite, alors, selon le moyen :
1°/ que les actions comportent un droit préférentiel de souscription aux augmentations de capital ; que la suppression de ce droit préférentiel de souscription ne peut intervenir que dans des conditions strictement encadrées par la loi, qui exige notamment une délibération spécifique prise en ce sens par les actionnaires réunis en assemblée générale extraordinaire, ainsi qu'un avis des commissaires aux comptes ; qu'en dehors de ces hypothèses légales de suppression du droit préférentiel de souscription, celle-ci ne saurait être obtenue de manière détournée ou indirecte au détriment de certains actionnaires ; que tel est le cas lorsque la souscription à l'augmentation de capital est subordonnée à la détention d'au moins deux actions anciennes, cette clé de répartition aboutissant à priver de son droit préférentiel de souscription tout actionnaire qui, ne détenant qu'une seule action, est en outre placé dans l'impossibilité de négocier l'achat de rompus d'actions ; qu'en décidant cependant en l'espèce que cette "règle de répartition posée par l'assemblée et l'impossibilité pour l'actionnaire titulaire d'un nombre insuffisant d'actions de négocier l'achat de rompus ne peut être analysée en une suppression tacite du droit préférentiel de souscription et une exclusion volontaire de l'actionnaire", la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 225-132, L. 225-135, R. 225-114 et R. 225-115 du code de commerce ;
2°/ qu'en vertu de l'adage fraus omnia corrumpit, doit en tout état de cause être privé d'effet l'opération qui, sans être directement contraire à la loi, a toutefois pour but et résultat d'éluder l'application obligatoire de celle-ci ; que tel est le cas de l'adoption, lors d'une augmentation de capital, d'une clé de répartition des actions nouvelles dans le but de priver indirectement l'un des actionnaires du droit préférentiel de souscription qui lui est accordé par la loi ; qu'en l'espèce, la société ITME détenait une seule action dans le capital de la société Kerris et se trouvait de fait, dans l'impossibilité de se rapprocher d'un autre actionnaire afin de négocier l'achat de rompus, en raison de sa position d'actionnaire minoritaire dans cette société passée, comme elle l'indiquait, sous le contrôle de l'un de ses principaux concurrents, le groupe Carrefour, qui détenait la quasi-totalité des actions (3 997 sur 4 000) ; qu'ainsi que le faisait valoir la société ITME, la société Kerris avait subordonné la souscription d'actions nouvelles à la propriété de deux actions anciennes, afin "sous couvert d'une règle de répartition apparemment anodine de lui refuser l'exercice de son droit préférentiel de souscription" ; qu'en retenant néanmoins de façon générale et abstraite, sans prendre en considération les circonstances spécifiques de l'espèce, que "la règle de répartition ainsi posée et l'impossibilité pour l'actionnaire de négocier l'achat de rompus ne peut être analysée en une suppression tacite du droit préférentiel de souscription et une exclusion volontaire de l'actionnaire", la cour d'appel a violé ensemble l'adage fraus omnia corrumpit et l'article L. 225-132 du code de commerce ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que le droit préférentiel de souscription n'avait pas fait l'objet d'une suppression par l'assemblée générale extraordinaire, qu'il en résultait pour chacun des actionnaires la possibilité d'exercer ce droit proportionnellement au nombre d'actions détenues par lui et que l'assemblée générale avait décidé d'attribuer de façon égalitaire soixante-quinze actions nouvelles pour deux actions anciennes, l'arrêt retient que rien n'interdisait à l'assemblée de subordonner la souscription d'actions nouvelles à la détention de deux actions anciennes et que, sous réserve d'un abus de majorité qui n'était pas dans le débat, tout actionnaire titulaire d'un nombre impair d'actions anciennes devait donc se rapprocher d'un autre actionnaire, selon la pratique courante de la négociation des rompus, afin de vendre ou d'acquérir un droit préférentiel ; que l'arrêt retient encore que la réduction du capital à zéro conditionnée par une augmentation du capital subséquente est valable si elle est décidée dans l'intérêt social, que cette double décision peut conduire à exclure un associé et que lorsque le droit préférentiel de souscription est maintenu, la règle de répartition posée par l'assemblée et l'impossibilité pour l'actionnaire titulaire d'un nombre insuffisant d'actions de négocier l'achat de rompus ne peuvent être analysées en une suppression tacite du droit préférentiel de souscription et une exclusion volontaire de l'actionnaire ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations desquelles il résulte que le droit préférentiel de souscription de la société ITM entreprises n'avait fait l'objet d'aucune suppression indirecte ou frauduleuse, c'est à bon droit et sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a retenu que le refus par la société Kerris de satisfaire à sa demande de souscription n'était pas constitutif d'un trouble manifestement illicite ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.