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Décisions

Cass. com., 9 novembre 2022, n° 20-16.454

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mollard

Rapporteur :

Mme Lefeuvre

Avocats :

SCP Alain Bénabent, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel

Paris, du 12 mars 2020

12 mars 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris,12 mars 2020), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 8 février 2017, pourvoi n° 15-23.050), la société Coopérative des transporteurs en benne (la société CTB), coopérative d'entreprises de transport routier de marchandises, a, selon des délibérations de son conseil d'administration du 27 mars 2012 et de l'assemblée générale du 23 juin 2012, décidé d'exclure la société SPS [Y] [J] (la société [J]), spécialisée dans le transport de bennes et de mobil-homes, qui en était membre depuis 2001.

2. Contestant cette exclusion, la société [J] a assigné la société CTB pour rupture brutale de leur relation commerciale, la société CTB formant des demandes reconventionnelles.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi incident, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. La société [J] fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société CTB la somme de 46 762 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la violation de la clause d'exclusivité, alors :

« 1°/ qu'en jugeant que l'article 26 du règlement intérieur impliquait que l'ensemble de la clientèle des sociétaires devait être gérée par la coopérative, c'est-à-dire par la société CTB, quand l'article 24 prévoyait qu'il existait deux clientèles distinctes, celle de la coopérative d'une part et celle des sociétaires d'autre part, la cour d'appel a violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

2°/ qu'en jugeant que l'article 26 du règlement intérieur impliquait que l'ensemble de la clientèle des sociétaires devait être gérée par la coopérative, c'est-à-dire par la société CTB, quand cet article précisait que "toute clientèle appartenant à un sociétaire avant son entrée dans CTB reste sa propriété exclusive, mais le seul fait de son adhésion à CTB et de l'organisation de celle-ci, implique pour toute la durée de cette adhésion, l'existence tacite d'un mandat de gestion de cette clientèle par CTB", ce qui impliquait clairement, et sans interprétation rendue nécessaire par l'obscurité de l'acte, que la clientèle acquise postérieurement à l'entrée dans la coopérative ne faisait pas l'objet d'un mandat de gestion tacite pour la société CTB, la cour d'appel a violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

5. C'est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, des termes du règlement intérieur de la société CTB, que leur ambiguïté rendait nécessaire, que la cour d'appel a retenu que, durant l'adhésion à la coopérative, la clientèle du sociétaire était gérée par la coopérative et que l'adhérent devait respecter la clause d'exclusivité.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur ce moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

7. La société [J] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en ne recherchant pas, comme cela lui était demandé dans les conclusions d'appel de la société [J], si la société CTB disposait des licences pour transporter les mobil-homes, quand les sociétés coopératives d'entreprises de transport public routier de marchandises ont la qualité de voiturier et qu'elles doivent donc être titulaires des licences adéquates pour se prévaloir d'une clientèle de convois exceptionnels, la cour d'appel a violé l'article L. 3441-5 du code des transports, ensemble l'article R. 433-1 du code de la route dans sa rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article R. 433-1, alinéa 1er, du code de la route :

8. Selon ce texte, le transport ou la circulation de marchandises, engins ou véhicules présentant un caractère exceptionnel en raison de leurs dimensions ou de leur masse excédant les limites réglementaires, doit faire l'objet d'une autorisation préalable.

9. Pour condamner la société [J] à payer à la société CTB la somme de 46 762 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la violation de la clause d'exclusivité insérée à son règlement intérieur, l'arrêt retient que la faute de la société [J] a causé un préjudice à la société CTB en ce que le chiffre d'affaires apporté par la société [J] a été moindre que celui escompté. Il fixe le montant des dommages et intérêts à 12,5 % de l'écart constaté entre les chiffres d'affaires réalisés par la société [J] entre 2008 et 2011 et les chiffres d'affaires dédiés à la coopérative.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la société CTB disposait des licences pour transporter les mobil-homes, ce qui, à supposer qu'elle en soit dépourvue, aurait une incidence sur le montant des dommages et intérêts à lui allouer, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

11. La société [J] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la décision de son exclusion provisoire et ses demandes de condamnation de la société CTB à lui payer les sommes de 121 800 euros et 4 000 euros, alors « qu'en jugeant que la société [J] ne pouvait demander à être indemnisée des conséquences de son exclusion de la société CTB emportant rupture du contrat de coopération en vertu duquel elle profitait des services coopératifs, quand une société membre d'une coopérative qui en a été exclue peut demander à être indemnisée du préjudice résultant de cette exclusion, indépendamment de toute demande en nullité de la délibération par laquelle le contrat de coopération a été rompu, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, ainsi que l'article 9 de la loi n° 83-657 du 20 juillet 1983 et l'article 7 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 9 de la loi n° 83-657 du 20 juillet 1983 et 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

12. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'un associé d'une société coopérative, telle une société coopérative d'entreprises de transports, n'est pas tenu de demander l'annulation de la décision d'exclusion pour solliciter la réparation du préjudice résultant de son exclusion.

13. Pour rejeter la demande en paiement de dommages et intérêts formée par la société [J] en réparation du préjudice résultant de son exclusion de la société CTB, l'arrêt relève que la société [J] n'a pas sollicité judiciairement la nullité de la décision de l'assemblée générale de la société CTB du 23 juin 2012 confirmant la décision du conseil d'administration de l'exclure de la société et retient que, n'ayant pas contesté la voie de procédure prévue par les statuts et le règlement intérieur, qui constituaient la loi des parties, celle-ci n'est plus fondée à contester les motifs retenus par les organes habilités à se prononcer sur la faute reprochée.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de la société SPS [Y] [J] en paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la décision de son exclusion de la coopérative, en ce qu'il condamne la société SPS [Y] [J] à payer à la société Coopérative des transporteurs en benne la somme de 46 762 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la violation de la clause d'exclusivité et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 12 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.