Cass. crim., 9 novembre 2016, n° 15-86.183
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
Mme Planchon
Avocats :
SCP Ohl et Vexliard, SCP Piwnica et Molinié, SCP Spinosi et Sureau
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'en vertu d'une convention signée le 31 janvier 2001 entre M. Jean X... et le syndicat mixte de l'île Saint-Germain (SMISG), associant le conseil général des Hauts-de-Seine, présidé par M. Charles B..., également président du SMISG, et la ville d'Issy-les-Moulineaux, dont le maire, M. André Y..., était désigné vice-président du SMISG, le premier a fait don au second de cent quatre-vingt-douze oeuvres d'art d'une valeur totale estimée à 7, 58 millions d'euros, en échange de l'engagement de faire construire, sur l'île Saint-Germain à Issy-les-Moulineaux, un musée d'art contemporain portant le nom de " centre d'art contemporain-donation Jean X... " au sein duquel celui-ci devait jouer un rôle éminent et prépondérant ; que, dans l'attente de la construction du bâtiment, le stockage des oeuvres a été prévu dans des locaux mis gratuitement à la disposition du SMISG par M. X... et situés dans sa propriété à Bullion (78), le syndicat étant seulement tenu de rembourser les charges précisées dans l'annexe 7 de l'acte ; que, par convention du 1er août 2001, la société Liseclaire, dont M. X... était le gérant de fait, a conclu un bail de sous-location avec le SMISG, qui n'employait aucun personnel, portant sur la sous-location de locaux d'une surface totale de 1 052 m ² ;
Attendu que, le 26 août 2003, le procureur de la République a diligenté une enquête préliminaire suite à la dénonciation, par le comptable de la société Liseclaire, de nombreuses irrégularités ; que les investigations ont révélé que celle-ci, ainsi que la société Art Concept, également dirigée par M. X... et dont le SMISG était, avec la société Liseclaire, le seul client, auraient obtenu du SMISG le règlement de factures relatives à des prestations fictives ou ne correspondant pas aux obligations contenues dans les conventions susvisées, après que Mme Geneviève A..., fonctionnaire du conseil général des Hauts de Seine, puis MM. B... et Y..., les eurent validées ; qu'une information a été ouverte des chefs de faux, usage de faux, escroquerie et abus de biens sociaux, au cours de laquelle le juge a été saisi de faits de prise illégale d'intérêt imputable à M. Y..., qui est intervenu auprès de M. X... pour favoriser l'embauche de l'un de ses amis, M. François C..., au sein de la société Art Concept ; qu'à l'issue de l'information, plusieurs personnes ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel, dont M. X... des chefs de faux et usage de faux et recel de détournement de fonds publics, MM. B... et Y... et Mme A... des chefs de recel de faux et usage et détournement de fonds publics ;
Attendu que, par jugement du 21 janvier 2013, le tribunal correctionnel les a déclarés coupables et condamnés de ces chefs ; qu'ils ont, ainsi que le procureur de la République, interjeté appel de cette décision ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 485 et 593 du code de procédure pénale et de l'article 441-1 du code pénal ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 485 et 593 du code de procédure pénale et de l'article 432-15 du code pénal ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve des infractions de faux et usage et détournement de fonds publics et de recel de ces délits n'était pas rapportée à la charge des prévenus, en l'état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens, qui reviennent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 485 et 593 du code de procédure pénale et de l'article 432-12 du code pénal ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale et, ensemble l'article 432-12 du code pénal ;
Attendu qu'en vertu du premier de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, selon le second de ces textes, se rend coupable de prise illégale d'intérêt la personne chargée d'une mission de service public qui prend un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, la charge d'assurer la surveillance ou l'administration ;
Attendu que, pour relaxer M. Y... du chef de prise illégale d'intérêt et M. C...du chef de recel, l'arrêt relève que, d'une part, M. Y..., qui exerçait les fonctions de vice-président du SMISG au moment de l'embauche de M. C...par la société Art et Concept, ne peut être considéré comme ayant la surveillance de cette société, d'autre part, une recommandation de M. Y... en faveur de M. C..., à la supposer avérée, ne peut être considérée comme suffisante pour constituer le délit de prise illégale d'intérêt, enfin, il n'est pas démontré que l'intérêt qui aurait pu être pris par M. Y... était contraire à l'intérêt général ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si M. Y... ne bénéficiait pas, à la date de l'embauche de M. C...par la société Art et Concept, d'une délégation de pouvoirs du président du SMISG lui donnant un pouvoir de surveillance sur le fonctionnement du syndicat mixte, et en exigeant, pour caractériser le délit de prise illégale d'intérêt, l'existence d'un " intérêt suffisant " qui ne soit pas contraire à l'intérêt général, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi des conditions qu'elle ne prévoit pas, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 23 septembre 2015, mais en ses seules dispositions relatives aux délits de prise illégale d'intérêt et de recel de cette infraction, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.