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Décisions

Cass. crim., 27 juin 2018, n° 17-84.280

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

Mme Planchon

Avocat général :

M. Mondon

Avocat :

SCP Lyon-Caen et Thiriez

Bastia, du 14 juin 2017

14 juin 2017

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, Premier du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 9 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 131-21, 321-1 et 432-12 du code pénal, 706-141, 706-141-1, 706-150, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a, dans le cadre d'une enquête ouverte notamment pour prise illégale d'intérêts, confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé la saisie un appartement sis à Paris appartenant à la société Limat ;

"aux motifs qu'il apparaît que la démarche des mis en cause visait à l'acquisition du terrain dans le seul but de procéder à une opération de promotion immobilière et de réaliser un profit conséquent, constat qui découle, entre autres, d'une part des manoeuvres mises à jour, d'autre part de la différence entre le prix de vente du terrain aux époux Z... (144 000) et celui de la revente de ce même terrain, soit 290 000 euros, en l'absence de tout élément justifiant un doublement de la valeur de ce même terrain dans un laps de temps de huit jours, d'autre part, du mode de paiement retenu, soit le versement d'une somme de 120 000 euros et une dation en paiement pour le reste, portant sur l'un des immeubles réalisés par la société My Home dans le cadre d'un autre projet, d'une valeur, en toute logique, de 170 000 euros, montant qui dépasse à lui seul le prix de vente initial du terrain, soit 144 000 euros ; qu'il n'est pas contesté que M. Jean Jacques A... est le gérant et animateur de la société My Home, société qui est, par ailleurs détenue à 100 % par la SARL Limat, dont M. A... est aussi le gérant et l'animateur ; qu'il ressort des investigations effectuées et spécialement des témoignages recueillis que M. A... était intéressé par l'acquisition de ce terrain depuis plusieurs années ; qu'il n'est pas contesté que le montant intégral du capital détenu par la société My Home a été viré au bénéfice de la société Limat pour la réalisation d'un autre projet immobilier sur Paris ; qu'il est acquis que le montant de ce capital provient essentiellement de la dernière opération immobilière réalisée, sur le terrain des époux Z..., le crédit du compte bancaire étant quasiment du même montant ; que dans ces conditions, eu égard aux développements qui précèdent, les deux personnes morales précitées, à commencer par l'appelante, ne sauraient être considérées comme des tiers de bonne foi ; qu'il ressort des éléments exposés ci-avant que le produit indirect de l'infraction, qui doit s'entendre en l'espèce comme le produit de la fraude mise à jour, est bien constitué du bénéfice réalisé par la société My Home sur l'opération immobilière rendue possible par les transactions frauduleuses réalisées sur le terrain litigieux, bénéfice estimé à un minimum de 610 000 euros en l'état des investigations ; que selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le principe de proportionnalité ne s'applique pas aux saisies opérées sur le produit, direct ou indirect, de l'infraction, en application de l'article 131-21 alinéa 3 du code pénal, ce texte n'imposant d'ailleurs pas au juge du fond de limiter la confiscation à la valeur du produit indirect de l'infraction lorsqu'il a été mêlé à des fonds d'origine licite pour l'acquisition du bien considéré ; que les arguments visant à remettre en cause la décision au motif que l'identité finale des personnes contre lesquelles le ministère public entend exercer des poursuites (personnes physiques ou personnes morales) sont, à ce stade, indifférents, d'autant que la saisie opérée n'a qu'une finalité conservatoire, à charge pour la juridiction saisie au fond, le cas échéant, de se prononcer sur la confiscation ; que s'agissant du risque de dissipation, il s'infère des comportements mis à jour que les personnes mises en cause ont fait montre d'une volonté de fraude pérenne, en ayant recours à des entités qui peuvent être considérées comme autant d'écrans dédiés à la dissimulation ; qu'en l'absence de saisie, le bien immobilier, situé à Paris, ville qui connaît une activité immobilière spéculative intense, a vocation à pouvoir être cédé à tout moment, spécialement à des acheteurs situés hors du territoire national, circonstance qui impose un regain de prudence ; qu'il apparaît que M. A..., principale personne intéressée à la fraude, est le gérant de la société Limat, dont il est aussi l'animateur, et se trouve de fait en situation de pouvoir à sa guise organiser la vente de l'immeuble saisi ; que les dispositions des articles punissant la prise illégale d'intérêts et le recel prévoyant la sanction de confiscation du produit direct ou indirect de l'infraction, la saisie ayant été adossée à l'article 131-21 alinéa 3 du code pénal, applicable en l'espèce, c'est donc à bon droit que le juge des libertés et de la détention de Bastia a ordonné la saisie de l'immeuble susvisé ; qu'en ce qui concerne la substitution de biens proposée, il apparaît que la défense offre en réalité une substitution de fondement légal de l'ordonnance, en proposant une saisie en valeur à hauteur de 700 000 euros environ, adossée à l'article 131-21 alinéa 9 du code pénal, demande paradoxale si l'on considère les arguments exposés ci-dessus, à laquelle la cour ne saurait en toute hypothèse donner suite, l'ordonnance étant fondée en droit et en fait ; qu'à titre surabondant, la cour relève que les documents produits par l'appelante sont insuffisants pour autoriser une telle décision ;

"1°) alors que pour procéder à la saisie du produit de l'infraction, il appartient aux juges d'en préciser la consistance et la valeur ; qu'en l'absence de produit de l'infraction d'origine, le recel ne peut être caractérisé ; que, pour confirmer l'ordonnance de saisie d'un bien immobilier d'une valeur de 1 143 000 euros, la chambre de l'instruction a relevé que les éléments de l'enquête permettaient de considérer que M. et Mme B... n'avaient acquis le bien immobilier qu'en vue de leur revente à M. A... pour la réalisation d'une opération de promotion immobilière et que le conseil municipal de la commune de [...] avait accepté cette vente, par deux délibérations auxquelles participait la mère de M. A..., ce qui établissait des indices de prise illégale d'intérêts ; que, pour estimer la saisie régulière, la chambre de l'instruction a jugé que le bénéfice réalisé dans cette opération immobilière par la société My Home s'élevait à 610 000 euros et que les fonds de ladite société, s'élevant à la somme de 1 167 850 euros, avaient ensuite été reversés à la société Limat, détenant 100% des parts de la précédentes et dont M. A... était le gérant, en vue de l'acquisition de l'immeuble saisi, pour un prix équivalent ; que le produit de la prise illégale d'intérêts dont aurait tiré bénéfice la société Limat ne pouvant résulter que d'une sous-évaluation du bien que la commune avait accepté de vendre à M. et Mme B... et la chambre de l'instruction ayant constaté que la vente à M. et Mme B... était intervenue au prix correspondant à l'évaluation faite par le service du domaine, ce dont il résultait que l'opération s'était réalisée dans des conditions financièrement régulières, ce qui excluait toute perte pour la commune, qui seule aurait constitué le bénéfice des auteurs des différentes infractions en cause dans l'enquête, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;

 


"2°) alors que, la chambre de l'instruction a par ailleurs relevé que la société My Home, dont M. A... était le gérant, avait racheté le bien à M. et Mme B... dans un délai de moins d'une semaine, pour une somme de 290 000 euros, estimant que cette différence de prix entre les deux ventes démontrait la fraude ; qu'elle relevait cependant que ce montant comprenait non seulement le versement à M. et Mme B... d'une somme de 120 000 euros, mais également le prix de leur relogement dans une autre habitation d'une valeur de 170 000 euros ; qu'ayant relevé que M. et Mme B... bénéficiaient d'un statut très protecteur, le bien que M. et Mme B... ont acquis étant le logement dont Mme B... était locataire, logement relevant du statut de la loi de 1948, les rendant pratiquement inexpulsables, ce qui aurait imposé à la commune de trouver une solution comparable de relogement de M. et Mme B... envisagé lors de la revente du bien, pour leur assurer un statut équivalent, si elle avait entendu vendre directement à la société My Home, ce qui excluait de prendre en compte au titre d'une éventuelle sous-évaluation du prix de la vente à M. et Mme B..., la valeur de la dation en paiement dont ils avaient bénéficié lors de la revente, la chambre de l'instruction qui n'a pas précisé quel aurait pu être le prix de vente directe à la société My Home du bien immobilier par la commune, n'a pas justifié sa décision par laquelle elle a estimé que le délit de prise illégale d'intérêts avait pu causer une perte à la commune, qui seul aurait pu être le produit de cette infraction, objet du recel ;

"3°) alors qu'à tout le moins, le produit de la prise illégale d'intérêts ne pouvait porter sur l'immeuble lui-même, chacun des membres du conseil municipal ne pouvant avoir été trompé par la décision de vendre le bien immobilier en objet des deux délibérations ; qu'il ne pouvait avoir été trompé que sur le prix de cession ; que la chambre de l'instruction qui estime que sa revente et la conduite du projet immobilier sur le terrain a permis de réaliser un bénéfice de 610 000 euros, faisant ainsi de l'immeuble le produit de l'infraction, quand la prise illégale d'intérêts n'avait pu tromper le conseil municipal sur l'objet de la vente, mais uniquement sur le prix de cession, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale ;

"4°) alors que le juge qui prononce la saisie d'un bien d'une valeur supérieure au produit de l'infraction qui a servi avec d'autres fonds à l'acquisition dudit bien ou sans considération pour la valeur exacte de ce produit doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée aux droits de l'intéressé ; que, dans ses conclusions, la société Limat invoquait le fait que la saisie portant sur un bien d'un valeur supérieure au produit de l'infraction qu'elle était suspectée d'avoir commise consistant dans le bénéfice qu'elle avait réalisée dans l'opération immobilière, constituait une atteinte disproportionnée au droit au respect de ses biens et de son activité professionnelle de promoteur immobilier, le bien saisi faisant partie des acquisitions aux fins de revente, compte tenu par ailleurs du fait qu'elle bénéficiait encore de la présomption d'innocence ; que la chambre de l'instruction qui estime qu'elle n'a pas à se prononcer sur la proportionnalité de la saisie compte tenu du fait qu'elle porte sur le produit de l'infraction, quand elle a elle-même constaté que le bien saisi avait été acquis au prix de 1 143 000 euros par la société Limat et que le bénéfice tiré de l'infraction soupçonnée s'élevait à la somme de 610 000 euros, même si elle précisait qu'il s'agissait d'un minimum, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des exigences des articles 706-150 du code de procédure pénale tel que devant être interprété au regard des articles 9 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de l'article premier du premier Protocole additionnel à ladite convention ;

"5°) alors que les juges peuvent prononcer une saisie en valeur, dans les conditions prévues par l'article 706-141-1 du code de procédure pénale ; que, la société Limat qui constatait que le produit de l'infraction soupçonnée était inférieur à la valeur du bien immobilier saisi, sollicitait à tout le moins que la saisie soit réalisée sur un bien d'une valeur équivalente à ce produit ; que la chambre de l'instruction qui a estimé que cette substitution de biens n'était pas envisageable, sans envisager de limiter la saisie au montant du produit de l'infraction, n'a pas justifié sa décision au regard des articles 706-141, 706-141-1 et 706-150 du code de procédure pénale" ;

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches ;

Attendu que, pour constater que les conditions légales de la saisie étaient réunies, l'arrêt, après avoir détaillé la chronologie des faits qui, selon les juges, démontre que la démarche des mis en cause visait à l'acquisition du terrain dans le seul but de procéder à une opération de promotion immobilière aux fins de réaliser un profit conséquent, énonce qu'il n'est pas contesté que M. A... est le gérant des sociétés My Home et Limat, la première étant détenue à 100% par la seconde, qu'il était intéressé par l'acquisition du terrain depuis plusieurs années, que le montant intégral du capital détenu par la société My Home, qui provient de l'opération immobilière réalisée sur le terrain vendu par les époux B... Z..., a été viré au bénéfice de la société Limat pour la réalisation d'un projet immobilier sur Paris ; que les juges ajoutent que les deux personnes morales précitées, et notamment la société appelante, ne sauraient être considérées comme des tiers de bonne foi et qu'il ressort de ces éléments que le produit indirect de l'infraction, qui doit s'entendre en l'espèce, comme le produit de la fraude mise à jour, est bien constitué du bénéfice réalisé par la société My Home sur l'opération immobilière litigieuse rendue possible par les transactions frauduleuses réalisées ; que la cour d'appel conclut que les dispositions réprimant les délits de prise illégale d'intérêt et de recel prévoyant la sanction de confiscation du produit direct ou indirect de l'infraction et la saisie étant fondée sur l'article 131-21, alinéa 3, du code pénal, c'est à bon droit que le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie du bien situé à Paris ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, relevant de l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et des circonstances de la cause, et dès lors que l'existence du produit direct ou indirect de l'infraction de prise illégale d'intérêt n'est pas soumise à la démonstration d'un préjudice ou d'une perte pour la commune, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;

Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche ;

Vu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1 du protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier sa décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que le juge qui autorise ou ordonne la saisie d'un bien acquis au moyen de fonds constituant l'objet ou le produit de l'infraction et de fonds licites, doit motiver sa décision, s'agissant de ces derniers, au regard de la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte ainsi portée au droit de propriété ;

Attendu que, pour refuser de se prononcer sur le caractère proportionné de la mesure de saisie, l'arrêt énonce que, selon une jurisprudence de la Cour de cassation, le principe de proportionnalité ne s'applique pas aux saisies opérées sur le produit, direct ou indirect, de l'infraction en application de l'article 131-21, alinéa 3, du code pénal, ce texte n'imposant d'ailleurs pas au juge du fond de limiter la confiscation à la valeur du produit indirect de l'infraction, lorsqu'il a été mêlé des fonds d'origine licite pour l'acquisition du bien considéré ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la saisie immobilière ordonnée, en ce qu'elle concerne un bien acquis, pour partie, avec des fonds d'origine licite, ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la demanderesse, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bastia, en date du 14 juin 2017 , et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant le chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bastia et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.