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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 27 janvier 2023, n° 21/11943

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Manufacture Française des Pneumatiques Michelin (SCA)

Défendeur :

TBWA Groupe (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme Primevert, Mme l'Eleu de la Simone

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Panneau, Me Hardouin, Me Tropin, Me Bourgeois

T. com. Paris, du 10 mai 2021, n° 202000…

10 mai 2021

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 10 mai 2021 qui, avec exécution provisoire, a reconnu aux torts de la société Michelin ('société Michelin') la rupture brutale de la relation commerciale établie avec la société TBWA Groupe ('société TBWA') et condamné la société Michelin à lui payer la somme de 1.912.000 euros de dommages et intérêts outre celle de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à payer les dépens.

Vu l'appel interjeté le 25 juin 2021 par la société Manufacture française des pneumatiques Michelin ;

Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 18 mars 2022 pour la société Manufacture française des pneumatiques Michelin, aux fins d'entendre :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que le préavis de 12 mois accordé par la société Michelin à la société TBWA était insuffisant, jugé que la société Michelin n'avait pas exécuté loyalement le préavis, et condamné la société Michelin à payer la somme de 1.912.000 euros en réparation du préjudice prétendument subi par la société TBWA sur le fondement de l'article L. 442-6, I 5° du code de commerce, outre la somme de 15.000 euros au titre des frais de justice et les dépens,

- juger raisonnable le préavis de 12 mois accordé par la société Michelin à la société TBWA,

- juger que la société Michelin a exécuté loyalement le préavis accordé à la société TBWA,

- débouter par voie de conséquence la société TBWA de l'ensemble de ses griefs, fins et prétentions au visa de l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce, en ce compris de ses demandes indemnitaires, en tout état de cause,

- débouter la société TBWA de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société TBWA à verser la somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société TBWA aux entiers dépens d'instance, dont distraction au profit de la société Lexavoué Paris-Versailles, prise en la personne de M° [T] [E], conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 12 mai 2020 pour la société TBWA groupe afin d’entendre, en application des articles L. 442-6.1.5° (ancien) du code de commerce et 563 du code de procédure civile :

- débouter la société Michelin de toutes ses demandes en cause d'appel,

- déclarer la société TBWA Groupe recevable et bien fondée en son appel incident,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que le préavis de 12 mois octroyé à TBWA par la société Michelin est insuffisant et qu'il est constitutif d'une rupture brutale de la relation commerciale établie et jugé que la société Michelin n'a pas exécuté loyalement le préavis,

- infirmer le jugement sur le quantum des dommages et intérêts,

- juger que les sociétés Michelin et TBWA ont été en relation commerciale établie pendant une durée de 33 années,

- juger que, compte tenu de l'intensité et des caractéristiques de la relation, du rang du marché de la société Michelin, de l'importance des équipes dédiées et des entraves à la reconversion de la société TBWA, TBWA aurait dû bénéficier d'un préavis de 18 mois,

- juger que la marge sur coûts variable doit être calculée sur la moyenne de 2015, 2016 et 2017 (trois derniers exercices clos),

- condamner la société Michelin à payer à la société TBWA la somme de 2.750.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de ses relations avec TBWA,

- condamner la société Michelin à payer à TBWA, outre la somme déjà allouée en première instance, la somme de 40.000 euros au titre des frais exposés en cause d'appel au visa de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Michelin en tous les dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera poursuivi par la société 2H Avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR,

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie à leurs conclusions ainsi qu'au jugement.

Il sera succinctement rapporté que par contrats successifs et leurs avenants souscrits depuis 1985, la société TBWA, agence de conseil en communication, s'est vue confier par la société Michelin des prestations de conseil en communication et de campagnes publicitaires qui ont évolué de 1985 à 2000 sur le périmètre de la France, étendue de 2000 à 2008 à des missions sur l'Europe, la Turquie, l'Afrique et le Moyen-Orient et à compter de 2009 au Monde pour les supports 'digital'.

Par lettre du 18 juillet 2018, la société Michelin à notifié à la société TBWA son intention de recourir à un appel d'offres pour :

'désigner la nouvelle agence de communication à laquelle serait confiée la responsabilité de la communication stratégique du Groupe dès le mois de juillet 2019' et qui 'se déroulera sur les premiers mois de 2019 avec pour objectif de commencer la collaboration avec l'Agence retenue dès juillet 2019. Le contrat qui nous lie actuellement continuera de s'appliquer jusqu'à la mise en place du nouveau contrat avec l'Agence retenu'.

Par courriel du 16 janvier 2019, la société TBWA a réclamé à la société Michelin, sur la base de leur relation commerciale de trente-trois ans, le bénéfice d'un préavis de trente-trois mois au lieu des douze mois dénoncés le 18 juillet 2018, et sur la base de la moyenne de la marge brute de 4.147.941 euros qu'elle estimait avoir réalisée en 2016 et 2017, et après déduction de la marge de 836.799 euros réalisée depuis juillet 2018, elle demandait le versement d'une indemnité de 10.570.038 euros hors taxes.

A la suite du refus que la société Michelin lui a opposé, la société TBWA l'a assignée en dommages et intérêts le 19 décembre 2019 devant la juridiction commerciale.

En premier lieu la société TBWA s'oppose au jugement en ce qu'il a retenu un préavis de quinze mois pour justifier la rupture de la relation commerciale établie aux torts de la société Michelin, au lieu de dix-huit mois qu'elle revendique en se prévalant de l'ancienneté de leur relation commerciale, de l'importance de la marge brute réalisée avec la société Michelin dans son chiffre d'affaires, de 12% en 2015 et 2016, puis de 5% en 2017 - à la suite de l'absorption de TBWA France par TBWA Groupe -, de l'équipe de plus de 20 salariés dédiée à la communication du groupe Michelin, de la durée de deux ans de la clause d'exclusivité par laquelle elle était empêchée d'investir une communication sur le secteur des pneus et enfin, du coût des licenciements qu'elle a dû supporter dans le courant de l'année du préavis et en prévision de la perte du marché.

Au demeurant, la société TBWA, major des sociétés de communication en France, ne conteste pas pertinemment que son chiffre d'affaires avec la société Michelin représentait entre 3 et 6% de son chiffre d'affaire global. Sa pièce n°4 n'établit en rien les frais qu'elle prétend avoir exposés au titre de licenciements de ses salariés affectés aux service de communication de la société Michelin, et tandis qu'elle ne livre pas davantage d'information de nature à déduire que la durée de la clause d'exclusivité dans la communication du secteur de la société Michelin l'empêchait, dans le délai du préavis de réorienter son activité vers d'autres secteurs de communication et de publicité, il convient d'infirmer le jugement qui a retenu un préavis de quinze mois au lieu des douze mois accordés par la société Michelin.

En revanche, en second lieu, alors que le chiffre d'affaires est établi en 2015 à 7.033.144 euros, en 2016 à 5.755.000 euros et en 2017, à 5.370.288 euros, soit une moyenne de 6.052.810 euros, la société Michelin n'établit pas que son besoin de prestations de communication s'est tari ou a diminué pour être ramené à 1.175.263 euros sur l'année 2018, puis à 653.900 euros de janvier à juillet 2019 (suivant décompte en pièce n°11 de la société Michelin).

Il en résulte la preuve que la société Michelin n'a pas exécuté loyalement le préavis, de sorte qu'est caractérisée une rupture partielle de la relation commerciale justifiant pour ce motif que le jugement soit confirmé sur le principe de la responsabilité.

Sur la base d'une marge variable que les premiers juges ont dûment fixée à 36,91%, l'assiette des dommages et intérêts sur douze mois s'établit à 2.234.092 euros de laquelle il convient de déduire, ce que les premiers juges ont omis, la marge variable réalisée par la société TBWA de septembre 2018 à juillet 2019 établie à 458.249 euros [soit de septembre à décembre 2018 = [((1.175.263/2) *36,91%)) + (653.900 *36,91%)], et par conséquent de fixer à 1.775.842 euros le montant des dommages et intérêts dus par la société Michelin.

2. Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société Michelin triomphant pour partie dans son recours, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles et les dépens et statuant de ces chefs en cause d'appel, il convient de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens ainsi que celle qu'elle a pu exposer au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf celle qui a fixé le montant des dommages et intérêts ;

Statuant à nouveau,

Condamne la société Manufacture française des pneumatiques Michelin à payer à la société TBWA la somme de 1.775.842 euros ;

Laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens ainsi que celle exposée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.