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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 30 janvier 2023, n° 20/02136

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Noergie (SAS)

Défendeur :

Lou Bio (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pignon

Conseillers :

Mme Fabry, Mme Goumilloux

Avocats :

Me Leconte, Me Poulain, Me Wickers, Me Coulibaly

T. com. Bordeaux, du 20 avr. 2020, n° 20…

20 avril 2020

EXPOSE DU LITIGE

La société LOU BIO est une société spécialisée dans la fabrication et la distribution de produits alimentaires et, plus particulièrement, de produits issus de l'Agriculture biologique.

La société NOERGIE a pour objet la recherche, la conception, le développement et la commercialisation de tous produits alimentaires (hors vente de produit alcoolisé), ainsi que le conseil aux entreprises en matière agro-alimentaire.

Elle a développé une gamme de produits commercialisée sous la marque PREMI et ses marques dérivées (PRÉMIBIO, PRÉMILAIT, PRÉMICHÈVRE, PRÉMIRIZ, PRÉMIBREBIS et PRÉMIAMANDE) dont elle est propriétaire.

Le 27 juillet 2010, les sociétés NOERGIE et LOU BIO ont conclu un contrat de distribution d'une durée indéterminée.

Au terme de ce contrat, la société NOERGIE a concédé à la société LOU BIO la distribution exclusive des produits PREMIBIO dans le secteur des magasins spécialisés et la vente par correspondance, pour la France, les territoires de l'Union Européenne, ainsi que le Brésil, l'Argentine, la Suisse et la Russie.

La société LOU BIO s'est engagée notamment à acheter les produits uniquement chez les fabricants agréés par la société NOERGIE, à assurer l'intégralité des frais de marketing et communication, soumettre à la société NOERGIE toute publicité, promotion et, d'une manière générale, tout écrit ayant trait aux produits de la société NOERGIE concernés par l'accord.

En contrepartie, la société NOERGIE percevait une rémunération correspondant à un taux de 5 à 8 % du chiffre d'affaires réalisé, selon les produits.

Une obligation de confidentialité était également prévue.

Le 24 février 2016, un nouveau contrat a été signé entre les sociétés NOERGIE et LOU BIO afin de redéfinir leurs obligations respectives.

Aux termes de ce contrat, la société NOERGIE avait notamment pour obligations :

- le développement des produits de la gamme PRÉMIBIO,

- la mise au point de leur fabrication,

- la qualité de l'approvisionnement,

- la garantie de la conformité des produits aux normes et réglementations en vigueur, et la communication à la société LOU BIO de toutes les informations et contenus utiles à la promotion et à la commercialisation des produits.

La société LOU BIO s'obligeait, quant à elle, notamment à :

- n'acheter les produits PREMIBIO qu'auprès des fournisseurs agréés par la société NOERGIE et à ne jamais modifier la présentation et la formulation des produits ;

- commercialiser les produits PREMIBIO en respectant les règles en vigueur dans le territoire et maintenir un quota minimum de produits ;

- supporter les frais marketing et de communication afférents aux produits ;

- soumettre à l'accord préalable et exprès de la société NOERGIE les supports de communication et de publicité des produits ;

- assurer auprès de la clientèle le service après-vente nécessaire à la commercialisation des produits.

Enfin, les parties s'engageaient à la confidentialité la plus totale concernant les informations afférentes aux produits, aux formulations et recettes de ces derniers, aux réseaux de distribution et aux fichiers clients.

Ce contrat était conclu pour une durée de 54 mois renouvelable par tacite reconduction pour de nouvelles périodes de 54 mois à défaut de dénonciation par l'une ou l'autre des parties trois ans au moins avant l'arrivée de chaque terme.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 septembre 2017, la société NOERGIE a dénoncé le contrat à la société LOU BIO, à compter de septembre 2020, en raison de son intention de ne pas renouveler celui-ci, et ce par application de l'article 9 dudit contrat.

La société LOU BIO a répondu le 18 septembre 2017 que la dénonciation avait été notifiée hors délai, le préavis de trois ans prévus à l'article 9 ayant expiré le 24 août 2017, et considérant que les relations étaient prolongées jusqu'au 24 février 2025.

Par courrier en date du 22 décembre 2017, la société NOERGIE a mis en demeure la société LOU BIO de cesser toute formation portant sur les produits PREMIBIO et d'apporter un correctif immédiat au support de formation utilisé par la dite société, lequel contiendrait plusieurs erreurs.

Le 28 décembre 2017, la société LOU BIO a soumis à la société NOERGIE certaines des modifications demandées.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 février 2018, la société NOERGIE a notifié à la société LOU BIO la résiliation anticipée du contrat, par application de l'article 10 du contrat, avec un préavis expirant le 14 février 2019.

Estimant cette rupture abusive, et faisant état de ruptures d'approvisionnement lui ayant causé des pertes financières, la société LOU BIO a assigné la société NOERGIE devant le tribunal de commerce de Bordeaux en sollicitant des dommages et intérêts et l'organisation d'une expertise comptable pour chiffrer son préjudice.

Par jugement contradictoire du 20 avril 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux a, en substance :

- débouté la société LOU BIO de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société NOERGIE en réparation des pertes subies par la société LOU BIO de 2015 à 2018 du fait des difficultés d'approvisionnements,

- dit que le contrat liant la société LOU BIO à la société NOERGIE a été abusivement résilié par cette dernière et qu'en conséquence, elle devra dédommager la société LOU BIO du préjudice subi de ce fait,

- débouté la société LOU BIO de sa demande d'indemnisation à hauteur de 11.055. 556 euros fondée sur la réclamation de la société La Finestra Sul Cielo au titre de la résiliation du contrat,

- désigné M. [L] [X] en qualité d'expert avec mission d'auditer les comptes de la société LOU BIO afin de déterminer pour les années 2016, 2017, 2018 et 2019 :

- la marge brute de la société,

- la marge brute dégagée par la commercialisation des produits Premibio,

- le montant des redevances contractuelles reversées à la société Noergie, donner au tribunal tous les éléments lui permettant d'évaluer le préjudice subi par la société Lou bio du fait de la résiliation du contrat avec la société NOERGIE et l'arrêt de la fabrication par la société ULVV,

(')

- réservé les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que l'instance sera reprise à l'initiative de la partie la plus diligente par dépôt de conclusions de reprise d'instance après remise du rapport d'expertise,

- réservé les dépens.

Par déclaration du 23 juin 2020, la société NOERGIE a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la société LOU BIO.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 11 octobre 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société NOERGIE demande à la cour de :

- vu les dispositions des anciens articles 1134, 1142,1147 et 1184 du code civil,

- vu la jurisprudence citée,

- vu les pièces versées aux débats,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit que le contrat liant la société LOU BIO à la société NOERGIE a été abusivement résilié par cette dernière et qu'en conséquence, elle devra dédommager la société LOU BIO du préjudice subi de ce fait ;

- et désigné un expert aux fins d'évaluation du préjudice subi par la société LOU BIO du fait de la résiliation du contrat avec la société NOERGIE et de l'arrêt de la fabrication par la société ULVV ;

Et statuant à nouveau sur ce point :

- constater, dire et juger que la société LOU BIO a commis des manquements graves à ses obligations contractuelles justifiant une résiliation anticipée du contrat liant les parties,

- en conséquence,

- constater, dire et juger qu'elle a valablement résilié le contrat la liant à la société LOU BIO ,

- débouter la société LOU BIO de sa demande d'indemnisation à hauteur de 743 430 euros au titre de sa perte de marge sur coûts variables sur l'année 2019,

- débouter la société LOU BIO de sa demande d'indemnisation à hauteur de 4.625. 526 euros au titre de sa perte de marge sur coûts variables sur la période courant du 1er janvier 2020 au 24 février 2025,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- débouté la société LOU BIO de sa demande de dommages et intérêts à son encontre en réparation des pertes subies par la société LOU BIO de 2015 à 2018 du fait des difficultés d'approvisionnement et autres inexécutions contractuelles, et,

- débouté la société LOU BIO de sa demande d'indemnisation à hauteur de 11 055, 556 euros fondée sur la réclamation de la société La Finestra Sul Cielo au titre de la résiliation du contrat.

- et statuant à nouveau sur ce point,

- dire et juger que la demande d'indemnisation de la société LOU BIO à hauteur de 20 000 euros au titre de la perte de temps de ses dirigeants et employés est nouvelle en cause d'appel et donc irrecevable,

- constater, dire et juger qu'elle a valablement exécuté l'ensemble de ses obligations contractuelles,

- en conséquence,

- débouter la société LOU BIO de sa demande d'indemnisation à hauteur de 100 000 euros en réparation de son prétendu préjudice de réputation,

- débouter la société LOU BIO de sa demande d'indemnisation à hauteur de 20 000 euros au titre de la perte de temps de ses dirigeants et employés,

- dire et juger que la présente procédure est abusive,

- en conséquence,

- condamner la société LOU BIO à lui régler la somme globale de 500 000 euros pour procédure abusive,

- condamner la société LOU BIO au paiement de la somme de 30 000 euros à parfaire en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, avec distraction au profit de la société Lexavoue.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 24 octobre 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société LOU BIO, demande à la cour de :

- vu les pièces versées aux débats,

- vu les articles 1134, 1142, 1147, 1184 et 1382 anciens du code civil,

- vu la jurisprudence citée,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 20 avril 2020 en ce qu'il a dit que le contrat liant la société LOU BIO à la société Noergie a été abusivement résilié par cette dernière et qu'en conséquence, elle devra la dédommager du préjudice subi de ce fait,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 20 avril 2020 en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à l'encontre de la société Noergie en réparation du préjudice subi de 2015 à 2018 du fait des difficultés d'approvisionnements,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 20 avril 2020 en ce qu'il a considéré qu'elle avait réclamé une perte de chiffres d'affaires et non une perte de marge et, en ce qu'il a, en conséquence, ordonné une expertise judiciaire pour évaluer la perte de marge subie du fait de la résiliation du contrat par la société NOERGIE et de l'arrêt de la fabrication par la société ULVV,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 20 avril 2020 en ce qu'il a dit que l'instance sera reprise à l'initiative de la partie la plus diligente par dépôt de conclusions de reprise d'instance après remise du rapport d'expertise,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 20 avril 2020 en ce qu'il a réservé les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuant à nouveau,

- dire et juger que de 2015 à 2018, la société Noergie n'a pas exécuté ses obligations de résultat au titre du contrat du 24 février 2016, en matière de régularité des approvisionnements et de conformité et d'étiquetages des produits PREMIBIO,

- dire et juger que la société NOERGIE a, par son comportement déloyal, engagé sa responsabilité contractuelle, puis, à l'expiration du contrat, en la dénigrant ou les produits distribués par elle, engagé sa responsabilité délictuelle,

- confirmer que, par son courrier du 14 février 2018, la société NOERGIE a résilié abusivement le contrat la liant à elle,

- dire et juger qu'elle a subi des préjudices tant financiers que moraux, résultant directement des inexécutions et comportements fautifs de la société NOERGIE, puis de sa résiliation abusive,

- en conséquence,

- condamner la société NOERGIE à lui verser la somme de 743.430 euros au titre de la perte de marge sur coûts variables subie en 2019 du fait de la société NOERGIE,

- condamner la société NOERGIE à lui verser la somme de 4.625.526 euros, au minimum, au titre de la perte de marge sur coûts variables subie du 1er janvier 2020 au 24 février 2025 du fait de la société NOERGIE,

- condamner la société NOERGIE à lui verser la somme de 100.000 euros en réparation de son préjudice de réputation résultant des inexécutions de la société NOERGIE pendant l'exécution du contrat, puis, de son comportement déloyal après son expiration,

- condamner la société NOERGIE à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de temps des dirigeants et employés de sa société du fait de la société NOERGIE,

- en tout état de cause,

- débouter la société NOERGIE de l'ensemble de ses demandes dont notamment sa condamnation pour procédure abusive et le paiement de la somme de 500 000 euros pour procédure abusive et 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société NOERGIE à lui verser la somme de 60 000 euros, comprenant les frais de justice de première instance, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel et sans caution, vu l'urgence et le péril en la demeure.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 31 octobre 2022 et le dossier a été fixé à l'audience du 14 novembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS

Les diverses dispositions des conclusions qui demandent de "constater" ou "dire et juger" ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais les moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, et il n'y a pas lieu de statuer sur ces demandes.

- Sur les inexécutions contractuelles :

La société LOU BIO demande la somme de 100.000 euros en réparation de son préjudice de réputation résultant des inexécutions de la société NOERGIE pendant l'exécution du contrat, puis, de son comportement déloyal après son expiration, en faisant valoir :

- que les articles 5.2, 5.3, 5.4, 5.5 et 7.4 du contrat obligeaient la société NOERGIE à assurer deux obligations essentielles, à savoir, la régularité de l'approvisionnement et la garantie de conformité aux normes et des étiquetages, outre les obligations de loyauté, et de promotion des produits,

- que de 2015 à 2018, elle a dû subir le déréférencement de quatre produits sans préavis et les ruptures d'approvisionnement répétées sur les autres produits.

Elle prétend que la société NOERGIE s'est montrée défaillante dans l'accompagnement de la croissance des ventes des Produits PREMIBIO, en ne réagissant pas, notamment lorsqu'il est apparu clairement que les capacités de production de son fabricant principal ULVV, se révélaient limitées, ce comportement négligent ayant créé une situation de totale dépendance à l'égard d'un seul fournisseur agréé pour les laits infantiles.

Elle souligne que la société NOERGIE ne produit aucune pièce susceptible de démontrer qu'elle a entrepris des actions pour trouver des alternatives réalistes et qualifier de nouveaux fabricants, ce qui aurait permis d'éviter les défauts d'approvisionnement.

La société LOU BIO précise que la société ULVV a décidé de mettre un terme définitivement à la fabrication des produits PREMIBIO avec effet au 30 décembre 2018, conduisant à une rupture totale d'approvisionnement de ce produit au 1er janvier 2019.

Elle fait valoir en outre les défauts de fabrication des produits, les défauts de conformité des étiquetages, le défaut de promotion et d'information sur les produits, les dénigrements des produits PREMIBIO et de la société LOU BIO.

La société NOERGIE s'oppose à la demande en soutenant que les défauts d'approvisionnement que lui reproche la société LOU BIO résultent de la conjonction de trois facteurs : la rareté des matières premières entrant dans la composition des produits de la gamme PREMIBIO, les défaillances de la société ULVV, fournisseur, et la mauvaise volonté de la société LOU BIO qui a systématiquement refusé les augmentations de prix demandées par ULVV.

Elle fait valoir que la société LOU BIO n'apporte aucune preuve d'un quelconque manquement de sa part à ses obligations en matière de conformité des produits, pas plus qu'en matière d'étiquetage. Elle conteste également tout manquement en termes de promotion ou d'information sur les produits.

L'article 3.5 du contrat 'Qualité de l'approvisionnement' mentionne : 'NOERGIE s'assurera que ses fournisseurs agréés seront, à tout moment (sous réserve des cas de pénuries avérées des matières premières visées ci-après), en mesure de fabriquer les produits en quantité suffisante pour permettre à LOU BIO d'honorer ses engagements de quotas visés à l'article 6.2, et plus généralement de constituer un stock minimum et un assortiment de produits correspondant aux besoins des clients. En outre, NOERGIE mettra tout en oeuvre pour faire en sorte que les approvisionnements s'adaptent à l'accroissement et à l'évolution de la demande, en veillant à ce que les capacités de fabrication augmentent, le cas échéant, en qualifiant de nouveaux fabricants.'

Les alinéas suivants de cet article précise les modalités de résolution des difficultés d'approvisionnement.

Si les pièces produites aux débats par la société LOU BIO démontrent les difficultés d'approvisionnement pour certains produits à partir de février 2016, outre certaines non-conformités, il n'est pas démontré que la société LOU BIO ait respecté la procédure prévue par l'article 5.3 pour pallier à ces difficultés, en soumettant à NOERGIE, comme le contrat l'y autorisait, un ou d'autre fournisseur, de sorte qu'elle est mal fondée à solliciter une indemnisation de ce chef, ce d'autant que, la société NOERGIE démontre avoir tenté vainement de faire accepter par LOU BIO une hausse de prix sur certains produits en raison de l'augmentation du prix des matières premières, ou les conditions financières d'autres fournisseurs, malgré les capacités de production limitées de la société ULVV.

De la même façon, s'agissant des défauts d'étiquetage, la société NOERGIE fait valoir à juste titre que la société LOU BIO ne produit aux débats aucune pièce susceptible de démontrer des défauts d'étiquetage qui seraient directement issus d'une faute imputable à la société NOERGIE et qui lui auraient causé un préjudice justifiant aujourd'hui une indemnisation.

Par ailleurs, la société LOU BIO ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de ce que l'absence de mise en ligne d'un site internet par la société NOERGIE prévue contractuellement lui a causé le moindre préjudice, alors en outre qu'elle n'a jamais mis en demeure sa co-contractante de respecter son obligation.

Le défaut de promotion et d'informations sur les produits reproché à NOERGIE n'est pas plus établi, le seul refus démontré datant de janvier 2018, alors que la société NOERGIE s'était plainte auprès de LOU BIO de la violation du secret des affaires.

Enfin il ne résulte pas des pièces produites aux débats par la société LOU BIO et notamment du procès-verbal de constat d'Huissier du 20 novembre 2018 des propos dénigrant la société LOU BIO susceptible d'engager la responsabilité de la société NOERGIE.

Faute de démontrer l'existence de fautes commises par la société NOERGIE et d'un préjudice indemnisable, la société LOU BIO a été déboutée à juste titre par les premiers juges de sa demande en réparation des pertes qu'elle aurait subies de 2015 à 2018, et la décision sera confirmée de ce chef.

- Sur la résiliation :

La société NOERGIE soutient que la société LOU BIO n'avait pas le droit de dispenser des formations et/ou d'utiliser tous supports de communication sans les avoir préalablement fait valider par elle, qu'elle a refusé de cesser toute formation en y incluant par ailleurs des informations erronées ou relevant du secret des affaires, ces trois éléments constituant les justes motifs de la résiliation, étant précisa que les frais marketing et communication n'incluent pas la formation.

Elle met en avant la gravité des erreurs commises par le support de présentation de la société LOU BIO (lait inadapté pour les prématurés, pas d'allergène pour un produit fabriqué dans une usine utilisant du lait de vache), qui visait à permettre aux salariés des magasins Biocoop de conseiller les consommateurs et de les orienter vers le lait infantile le plus adapté aux besoins de leurs enfants et nourrissons, les risques de mises en danger étant donc réels.

Elle fait valoir la violation du secret des affaires , et du contrat liant les parties, commise part la société LOU BIO qui a dévoilé que le nouveau produit 'PREMIAMANDE' serait fabriqué à base de purée d'amande, alors que le procédé avait nécessité de longs mois de recherche et développement, et que le segment des préparations infantiles alternatives aux laits infantiles à base de lait animal étant fortement concurrentiel, l'apposition du logo 'VEGAN SOCIETY' demeure ainsi un argument commercial fort et donc une information sensible protégée par le secret des affaires et dont la confidentialité aurait dû être préservée, à tout le moins jusqu'au lancement du produit concerné.

La société LOU BIO soutient en réplique que les termes de la clause de résiliation étant clairs, le non-respect de la clause de résiliation (préavis d'un an seulement) constitue une faute contractuelle de la société NOERGIE de nature à engager sa responsabilité, étant précisé que les trois demandes formulées expressément par la société NOERGIE, dans son courrier du 22 décembre 2017 ont été toutes honorées, et dans les délais requis.

Elle conteste le grief de mise en danger des nourrissons avancé par la société intimée, une telle prétendue « mise en danger » aurait nécessité, si elle avait été avérée, une réaction immédiate dès le mois d'octobre 2017.

Elle soutient que l'information sur le produit 'PREMIAMANDE' est banale et ne relève pas du secret des affaires.

L'article 10 du contrat du 24 février 2016 liant les parties prévoit : 'Le présent contrat pourra être résilié par anticipation, par l'une ou l'autre des parties, en cas d'inexécution ou de non-respect de l'une quelconque des obligations contenues dans les présentes.

La résiliation anticipée interviendra automatiquement et de plein droit un mois après une mise en demeure signifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à la partie défaillante, dûment justifiée et demeurée infructueuse''.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 14 février 2018, la société NOERGIE a notifié à la société LOU BIO la résiliation anticipée du contrat conformément aux dispositions de l'article 10, tout en prévoyant un préavis de 12 mois.

Indépendamment de la réponse faite sur les griefs articulés par Lou bio à son encontre, la société NOERGIE mentionne en ce qui concerne les formations : 'La gravité de vos écrits, diffusées notamment auprès des magasins Biocoop, nous oblige à constater l'incompétence technique développée au cours des formations dispensées par vos soins.'

Il nous semble évident qu'à ce titre vous engageait votre responsabilité a minima sur des faits relevant de la mise en danger d'autrui. »

Pour justifier la résiliation par anticipation notifiée par la société NOERGIE le 14 février 2018, il lui appartient en premier lieu de rapporter la preuve des manquements contractuels reprochés à la société LOU BIO, et ensuite, si les griefs sont considérés comme établis, de démontrer que, malgré la mise en demeure du 22 décembre 2017, la société LOU BIO n'y a pas mis fin.

La lettre recommandée avec accusé de réception de mise en demeure du 22 décembre 2017 énonce deux manquements, la mise en danger des nourrissons et la violation du secret des affaires, consécutifs à l'utilisation par la société LOU BIO d'un PowerPoint servant de support aux formations dispensées.

S'agissant du premier manquement, il est reproché à la société LOU BIO d'une part d'avoir conseillé à tort 'Prémilait formule épaisse' à des bébés prématurés, et d'autre par d'avoir indiqué que le Prémiriz ne contient aucun allergène, la société NOERGIE précisant notamment : ' Les conseils dispensés lors de vos formations sont susceptibles de mettre en danger les bébés concernés. Votre imprudence nuit à la notoriété des produits de NOERGIE et peut mettre en danger les consommateurs des produits de NOERGIE que vous exposez malgré les demandes qui vous ont été précédemment adressées.'

S'agissant de la violation du secret des affaires, la société NOERGIE reproche à LOU BIO d'avoir mentionné lors de ces formations que 'Prémiamande' sera vegan, et que le produit est en cours de reformulation, devant être désormais à base de purée d'amandes et non plus de tourteau d'amandes. La société NOERGIE reproche à la société LOU BIO la violation du secret des affaires dans les termes suivants : 'Vous avez ainsi sciemment violé votre obligation de confidentialité et porté atteinte au positionnement stratégique et concurrentiel ainsi qu'aux intérêts économiques, scientifiques et techniques de NOERGIE. Cette situation cause à NOERGIE un préjudice indéniable.'

Le courrier se termine de la façon suivante : 'C'est dans ces conditions que nous vous mettons en demeure de :

- cesser sans délai de dispenser toute formation portant sur les produits NOERGIE, quels qu'ils soient, que cette formation soit commerciale ou technique ;

- adresser sous 48 heures un correctif à tous vos distributeurs ayant reçu vos formations portant sur les deux points visés ci-dessus. Il convient à la fois de :

- modifier le support de formation afin de corriger toute information dangereuse et de supprimer toute information confidentielle, et

- joindre une circulaire attirant l'attention de vos distributeurs sur les deux points de mise en danger des nourrissons énoncés au sein de la présente. Tout correctif devra au préalable avoir été relu et validé par NOERGIE ;

- rapporter sous huitaine les éléments de preuve que vous aurez cessé les formations et que vous aurez communiqué les correctifs à tous vos distributeurs concernés.

Compte tenu de ces manquements graves aux obligations contractuelles, nous envisageons la rupture du contrat, cependant nous souhaitons que cette rupture intervienne amiablement à opposons, pour ce faire, de recourir à une procédure de médiation conventionnelle.'

À ce courrier de mise en demeure, la société LOU BIO a répondu le jour même par e-mail, et adressé à la société NOERGIE par 'wetransfer' les modifications demandées. Le 23 décembre 2017, la société NOERGIE a communiqué par e-mail à LOU BIO des correctifs devant être communiqués à l'ensemble des personnels Biocoop, et il n'est démontré ni même soutenu que LOU BIO n'ai pas effectué cette communication.

Par ailleurs, dès le 28 décembre 2017, la société LOU BIO a transmis à la société Biocoop le fichier constituant le 'Powerpoint' modifié.

Ainsi que l'a justement estimé le tribunal de commerce, aucune clause du contrat liant les parties n'interdit expressément à la société LOU BIO de procéder à des formations, NOERGIE étant tenue, selon l'article 5.5 de communiquer à LOU BIO toutes les informations et tous les contenus utiles à la promotion et à la commercialisation des produits, la société LOU BIO étant en outre obligée, aux termes de l'article 6.5 d'assurer auprès de la clientèle le service après-vente nécessaire à commercialisation de produits.

Par ailleurs, même si les dites formations étaient considérées comme des supports de communication et de publicité devant être soumis préalablement à l'agrément de la société NOERGIE, cette dernière ne démontre pas que les manquements reprochés à la société LOU BIO ont perduré à l'issue du délai imparti pour régulariser la situation, de sorte que ce grief ne peut justifier la résiliation du contrat.

Les termes de la lettre adressée le 30 janvier 2018 par la société LOU BIO à la société NOERGIE, reprenant point par point les modifications demandées par NOERGIE, démontrent que, contrairement à ce que soutient l'appelante, le support de communication PowerPoint a bien été soumis à l'approbation de la société NOERGIE, laquelle en préconisant les modifications auxquelles LOU BIO s'est soumise a, de fait approuvé ce nouveau support.

Il n'est pas établi au surplus que d'autres séances de formation aient eu lieu.

La société appelante ne pouvait dès lors fonder la résiliation du contrat sur ce manquement, les rectifications ayant été effectuées dans les délais impartis, étant en outre précisé que la société appelante ne produit aucune pièce propre à démontrer que les erreurs affectant le PowerPoint diffusé par la société LOU BIO étaient de nature à mettre en danger les nourrissons.

S'agissant de la violation du secret des affaires, la société LOU BIO affirme sans être contredite, avoir retiré, dans le délai imparti par NOERGIE, les deux 'slides' faisant état de ce que le produit 'Prémiamande' serait vegan et fabriqué à base de purée d'amandes, de sorte que ce manquement ne peut pas plus fonder l'application de la résiliation de plein droit du contrat en application de son article 10.

Surabondamment, c'est avec pertinence que la société LOU BIO fait observer que la gravité des manquements invoqués fait défaut pour justifier la résiliation sur le fondement de l'article 10 du contrat, dès lors que la résiliation est intervenue avec un préavis d'un an, ce qui contredit les allégations de mise en danger des nourrissons et de violation du secret des affaires, manquements dont on voit mal comment ils auraient pu être tolérés une année supplémentaire par NOERGIE s'ils avaient perduré.

Enfin, même si la société NOERGIE n'invoque au soutien de sa demande d'infirmation que la clause résolutoire de l'article 10 du contrat, il sera en outre ajouté que ni la mise en danger des nourrissons, ni la violation du secret des affaires invoquée ne sont prouvées, aucun élément produit aux débats ne permettant d'affirmer que le PowerPoint tel qu'il avait été élaboré par LOU BIO n'aurait pas dû être diffusé, alors que la société LOU BIO démontre qu'aucune mise en garde ne lui avait été adressée concernant le lait infantile, et que la société NOERGIE ne verse aucune pièce démontrant que la divulgation de la mise sur le marché d'un produit vegan et fabriqué à base de purée d'amandes constitue une information soumise à la confidentialité.

De l'ensemble des ces éléments, il ressort que c'est à juste titre que le tribunal de commerce a jugé abusive la résiliation du contrat par la société NOERGIE, et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Cette résiliation a entraîné pour la société LOU BIO un préjudice dont elle est fondée à solliciter la réparation.

Ce préjudice réside dans la perte et le manque à gagner subis par la société LOU BIO, dont le montant peut être estimé sur la base de la marge sur coûts variables.

La société NOERGIE fait valoir à juste titre que l'indemnité due à la société LOU BIO ne peut être calculée qu'à partir de la date de résiliation du contrat, soit le 14 février 2019.

Sur les exercices 2016 à 2018, la société LOU BIO a réalisé une marge sur coûts variables moyenne de 898 041 euros par an.

Compte tenu de la marge réalisée entre le 1er janvier et le 24 février 2019, soit 154.611 euros, il en résulte que la société LOU BIO a subi en 2019 une perte de marge sur coûts variables d'un montant de 743 430 euros que la société NOERGIE sera condamnée à lui payer.

S'agissant du calcul du préjudice pour les années postérieures à la résiliation, il est constant que la société NOERGIE, en ne dénonçant pas le contrat avec un préavis suffisant, était tenue de l'exécuter jusqu'au 24 février 2025, date d'échéance.

La résiliation abusive, notifiée avant le terme, a causé un préjudice à la société LOU BIO, laquelle, en référence notamment à l'article 1149 du Code civil dans sa version applicable, soutient que le gain manqué qu'elle a subi est directement attribuable à la résiliation fautive du contrat par la société NOERGIE, aucun autre paramètre n'ayant impacté négativement son activité depuis le 1er janvier 2019.

Cependant, la perte de chance de voir exécuter le contrat jusqu'à son terme, conformément à l'article 1149 du Code civil, doit être calculée en tenant compte des aléas propres à la poursuite du contrat jusqu'en 2025.

Par ailleurs, la société NOERGIE soutient sans être utilement contredite, qu'il doit être tenu compte, pour l'évaluation de ce préjudice, de la marge sur coûts variables que la société LOU BIO a continué à réaliser en commercialisant le lait infantile sous sa propre marque JUNEO, et ce très rapidement après la rupture du ontrat, la marque JUNEO ayant été déposée auprès de l'INPI le 8 février 2019.

Enfin, dès le 18 janvier 2019 la société NOERGIE a levé l'exclusivité d'approvisionnement à laquelle la société LOU BIO était soumise en application des dispositions de l'article 6.1 du Contrat, lui permettant ainsi de s'approvisionner auprès d'un tiers.

Au regard de ces éléments, et faute d'élément comptable produit par la société LOU BIO sur la commercialisation des produits sous la marque JUNEO, la perte de chance sera arbitrée à 30 % du montant de la marge sur coûts variables estimée à 898.041 euros sur cinq années, soit 1.341.061 euros, que la société NOERGIE sera condamnée à régler.

- Sur le préjudice moral :

La société LOU BIO fait valoir sur ce point avoir subi un préjudice moral « externe » consistant en une perte de crédibilité commerciale importante auprès de tous ses clients distributeurs regroupés dans des enseignes notoires de magasins bio, causée directement par les agissements illicites de NOERGIE.

Elle ne justifie pas cependant avoir subi un quelconque préjudice du fait des difficultés d'approvisionnement qu'elle a pu connaître, s'agissant notamment de l'échec de la gamme JUNEO, et sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.

- Sur le préjudice au titre de la perte de temps de ses dirigeants et employés :

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

L'article 565 du même code indique que les demandes présentées pour la première fois en appel ne sont pas nouvelles lorsqu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, l'article 566 précisant que " les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes

qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire."

En l'espèce, c'est à juste titre que la société LOU BIO fait valoir que, la demande d'indemnisation d'un poste de préjudice nouveau n'étant pas une demande nouvelle au sens de l'article 564 du Code de procédure civile, sa demande de dommages et intérêts au titre de la perte de temps de ses dirigeants et employés est recevable.

En revanche, il n'est versé aucune pièce de nature à justifier d'un quelconque préjudice de ce chef, et cette demande sera également rejetée.

- Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :

L'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.

La preuve d'un tel comportement n'étant pas rapportée en l'espèce, la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera rejetée.

- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Compte tenu de la décision intervenue, les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de la société NOERGIE.

Il est équitable d'allouer à la société LOU BIO la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, que la société NOERGIE sera condamnée à lui payer.

- Sur l'exécution provisoire :

L'exécution provisoire étant attachée de plein droit au présent arrêt, il n'y a pas lieu de l'ordonner.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société LOU BIO de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la société NOERGIE en réparation des pertes subies par LOU BIO de 2015 a 2018 du fait des difficultés d'approvisionnements, dit que le contrat liant la société LOU BIO à la société NOERGIE a été abusivement résilié par cette dernière et qu'en conséquence, elle devra dédommager la société LOU BIO du préjudice subi de ce fait ;

Le réforme pour le surplus ;

Statuant à nouveau ;

Condamne la SAS NOERGIE à payer à la SARL LOU BIO les sommes de :

- 743.430 euros au titre de la perte de marge sur coûts variables subie en 2019,

- 1.341.061 euros au titre de la perte de marge sur coûts variables du 1er janvier 2020 au 24 février 2025 ;

Déclare recevable la demande de la SARL LOU BIO en dommages et intérêts au titre de la perte de temps de ses dirigeants et employés, mais l'en déboute ;

Déboute la SARL LOU BIO de sa demande en réparation de son préjudice de réputation résultant des inexécutions de la société NOERGIE pendant l'exécution du contrat, puis, de son comportement déloyal après son expiration ;

Déboute la SAS NOERGIE de ses prétentions ;

Condamne la SAS NOERGIE à payer à la SARL LOU BIO la somme de 6.000 euros en application, en cause d'appel, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à prononcé de l'exécution provisoire ;

Condamne la SAS NOERGIE aux entiers dépens.