CA Bordeaux, 4e ch. com., 30 janvier 2023, n° 22/03935
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pignon
Conseillers :
Mme Fabry, Mme Goumilloux
Avocats :
Me Le Barazer, Me Vacarie, Me Leconte-Roger, Me Maixant
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 20 août 2019, la société [Localité 4] Sainte-Mère, ayant son siège social à [Localité 4], a conféré à M. [R] [O], agent commercial ayant son domicile à [Localité 3], le mandat exclusif de la représenter au Danemark, en Finlande, en Suède et en Islande.
Le contrat a été conclu pour une période allant du 20 août 2019 au 31 décembre 2020, puis a été renouvelé par tacite reconduction.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 septembre 2020, la société [Localité 4] Sainte-Mère a notifié à M. [O] la rupture de son contrat d'agent commercial, avec effet au 31 décembre 2020.
Par exploit d'huissier du 19 avril 2021, M. [O] a assigné la société [Localité 4] Sainte-Mère devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins d'obtenir sa condamnation au payement des arriérés de commissions, d'une indemnité de rupture de contrat et d'obtenir une indemnisation.
Par jugement contradictoire du 26 juillet 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- s'est déclaré incompétent,
- renvoyé les parties devant le tribunal de commerce de Caen,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.
Par déclaration du 11 août 2022, M. [O] a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la société [Localité 4] Sainte-Mère.
Par ordonnance du 31 août 2022, la première présidente de la cour d'appel de Bordeaux a autorisé M. [O] à assigner à jour fixe la société [Localité 4] Sainte-Mère.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 19 août 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [O], demandent à la cour de :
- réformer le jugement rendu le 26 juillet 2022 par le tribunal de commerce de Bordeaux en toutes ses dispositions et en particulier en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur le litige,
- statuant à nouveau,
- rejeter toutes conclusions contraires comme irrecevables et mal fondées et rejeter toutes les demandes adverses,
- rejeter l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société [Localité 4] Sainte-Mère et juger que le tribunal de commerce de Bordeaux est compétent pour statuer sur le litige,
- sur le fond,
- vu les dispositions du contrat et des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce,
- condamner la société [Localité 4] Sainte-Mère à lui payer :
les arriérés de commissions à hauteur de 5 598, 36 euros TTC,
la somme de 26 529 euros à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial,
la somme de 23 265 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires,
- la condamner en outre à lui payer une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par mention au dossier du 30 septembre 2022, l'affaire n°22/04439 a été jointe à l'affaire n°22/03935.
Par conclusions transmises par RPVA le 24 novembre 2022, la société [Localité 4] Sainte-Mère demande à la cour de :
- confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Bordeaux en ce qu'il s'est jugé incompétent et a renvoyé l'affaire devant le Tribunal de Commerce de Caen,
A défaut,
- débouter M. [R] [O] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. [R] [O] à payer à la société [Localité 4] Sainte-Mère une somme de 7.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que le tribunal de commerce de Caen est compétent, conformément à l'artricle 42 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS
Selon l'article 42 du code de procédure civile, la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.
Toutefois, en application l'article 46, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service.
La société intimée conclut à la confirmation du jugement ayant retenu l'incompétence territoriale du tribunal de commerce de Bordeaux au profit du tribunal de commerce de Caen, lieu de son siège social, dès lors que, lorsque les parties sont liées par un contrat de fourniture de services et qu'il est relevé que les prestations s'exécutaient au lieu où le demandeur était domicilié et avait le centre de ses activités, il doit s'en déduire que la juridiction de ce lieu est compétente pour connaître des demandes fondées sur ce contrat en application des articles 42 et 46 du code de procédure civile.
Or, en l'espèce, c'est à juste titre que M. [O], qui réside à Bordeaux et y a son domicile professionnel, fait valoir qu'il était parfaitement fondé à saisir le tribunal de commercede Bordeaux, territorialement compétent, peu important à ce titre que sa mission d'agent commercial ait été relative à la prospection de clients situés en Scandinavie.
L'exception d'incompétence sera rejetée et le jugement infirmé en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande.
La cour étant juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, et dès lors qu'il est de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive, il y a lieu, conformément à l'article 88 du code de procédure civile, de statuer au fond.
- Sur la demande en paiement des commissions :
L'article R134-3 du code de commerce dispose : 'Le mandant remet à l'agent commercial un relevé des commissions dues, au plus tard le dernier jour du mois suivant le trimestre au cours duquel elles sont acquises. Ce relevé mentionne tous les éléments sur la base desquels le montant des commissions a été calculé.
L'agent commercial a le droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations, en particulier un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues.'
En l'espèce, la société intimée produit aux débats une attestation de son commissaire aux comptes récapitulant pour l'année 2020 et le premier trimestre 2021 le chiffre d'affaires de la société pour la zône Scandinavie, dont il n'est pas contesté qu'elle couvre l'ensemble du portefeuille de M. [O].
Au regard des stipulations contractuelles, et notamment de l'article 10.1.3 du contrat, il est dû à l'appelant pour le premier trimestre 2021, un taux de commission de 2% pour les produits commercialisés sous les marques d'[Localité 4], et 3 % pour les produits commercialisés sous la marque de distributeurs ou en association avec d'autres marques, de sorte que c'est à juste titre que l'intimée entend voir fixer à 2.799,18 euros hors TVA, soit 3.352,02 euros représentant 3 % du chiffre d'affaires réalisé au premier trimestre 2021.
- Sur l'indemnité de rupture :
En application des articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, sauf faute grave de l'une des parties ou cas de force majeure, en cas de cessation des relations, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
L'indemnité de rupture doit, conformément à ces règles et à une jurisprudence constante en la matière être calculée, en tenant compte à cet égard de tous les éléments de la rémunération de l'agent pendant l'exécution du contrat, sans qu'il y ait lieu de distinguer si elle provient de clients préexistant au contrat ou au contraire apportés par l'agent.
Il est d'usage que l'indemnité en cas de rupture du contrat corresponde à deux années de rémunérations brutes de l'agent commercial calculée sur la base des rémunérations de l'agent commercial des deux ou trois dernières années avant la cessation du contrat.
Contrairement à ce que souitient l'intimée, aucune baisse significative du chiffre d'affaires ne peut être imputée à M. [O], étant précisé qu'une partie de son contrat a été exécutée au cours de la pandémie de covid, de sorte que les chiffres avancés doivent être regardés avec circonspection.
En l'espèce, la référence à l'usage tendant à fixer l'indemnité à deux années de commission correspond à la mesure du préjudice subi, au regard de la durée du contrat et de l'existence d'une clause de non-concurrence.
Compte tenu des commissions versées à M. [O] en 2019 et 2020, la somme de 26.529 euros apparaît justifiée.
Le préjudice subi du fait de l'existence de la clause de non-concurrence étant déjà réparé par l'indemnité sus-visée, et M. [O] ne démontrant avoir subi un autre préjudice, il sera débouté de sa demande en dommages et intérêts complémentaires.
Compte tenu de la décision intervenue, les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de la SCA [Localité 4] Sainte-Mère.
Il est équitable d'allouer à M. [O] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, que la société [Localité 4] Siante-Mère sera condamnée à lui payer.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Rejette l'exception d'incompétence, et déclare le tribunal de commerce de Bordeaux compétent,
Faisant application de l'article 88 du code de procédure civile ;
Condamne la SCA [Localité 4] Sainte-Mère à payer à M. [R] [O] les sommes de :
- 3.352,02 euros à titre d'arriéré de commissions,
- 26.529 euros à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial,
Déboute M. [O] du surplus de ses prétentions ;
Condamne la SCA [Localité 4] Sainte-Mère à payer à M. [R] [O] la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne la SCA [Localité 4] Sainte-Mère aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.