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Décisions

CA Aix-en-Provence, 3e ch. a, 7 septembre 2017, n° 16/00275

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Société Hiscox Insurance Company Guernessey LTD

Défendeur :

Carlton Danube Cannes (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Castanie

Conseillers :

Mme Mars, Mme Tanguy

TGI de Grasse, du 26 oct. 2015, n° 11/06…

26 octobre 2015

Faits, procédure, moyens et prétentions des parties :

Les époux M.-D. séjournent à l'hôtel Carlton, situé [...], dont ils occupent la chambre N° 134, du 10 juin 2009 au 14 juin 2009.

Le 12 juin 2009, Judy D. épouse M. déclare s'être rendu compte, aux alentours de 17 heures, du vol de ses bijoux, déposés momentanément sur une des tables de chevet de la chambre.

Judy M. signale les faits à la conciergerie et à la direction de l'hôtel, puis dépose plainte pour le vol de ses bijoux, dont elle fait une description précise et détaillée, auprès des services de police de la ville de Cannes, le même jour, à 19h25.

Les époux M. sont indemnisés pour le vol des bijoux par leur assureur, la société Hiscox Insurance Company Guernsey Limited (et par abréviation de la société Hiscox), à hauteur de la somme de 366 575 €, le 1er octobre 2009.

La société Hiscox, après l'échec des tentatives de règlement amiable du litige, assigne, selon acte en date du 16 décembre 2011, la société en nom collectif Carlton Danube Cannes, devant le tribunal de grande instance de Grasse, sur le fondement en particulier des articles 1952 et 1953 du Code civil.

Statuant par jugement en date du 26 octobre 2015, cette juridiction :

Dit l'action engagée par la société Hiscox, recevable,

Déboute la société Hiscox de l'ensemble de ses demandes,

Déboute la SNC Carlton Danube Cannes de sa demande en paiement de dommages-intérêts, pour procédure abusive,

Condamne la société Hiscox à payer à la société Carlton Danube Cannes la somme de 4000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

La société Hiscox Insurance Company Guernsey Limited relève appel de ce jugement, selon déclaration au greffe en date du huit janvier 2016.

Dans ses dernières écritures en date du 3 mars 2016, la société Hiscox conclut liminairement à la confirmation du jugement entrepris dans sa disposition relative à la recevabilité de l'action engagée par elle-même, régulièrement subrogée dans les droits de ses assurés, les époux M.. À titre principal, elle conclut à l'infirmation du jugement dont appel en ce qu'il a considéré que la matérialité du dépôt des bijoux et de leur vol n'était pas établie. Il doit être jugé que l'hôtel Carlton a commis une faute engageant sa responsabilité, en application de l'article 1953 du Code civil. Il doit en conséquence être condamné à lui payer la somme de 366 575 euros correspondant à la valeur des biens volés et à la somme réglée par elle-même à ses assurés, en réparation de leur préjudice. Subsidiairement, dans l'hypothèse où la cour jugerait que l'hôtel n'a pas commis de faute à l'origine du préjudice, il doit être jugé qu'il est responsable de plein droit, en application de l'article 1953 du Code civil, dans la limite de 100 fois le prix du logement par journée. Dans ce cas, l'hôtel doit être condamné à lui payer la somme de 72'370 euros correspondant à 100 fois le prix de la nuitée. Elle demande enfin et en tout état de cause que la société Carlton, déboutée de ses demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés devant le tribunal et la cour, soit condamnée à lui payer, sur le fondement de ce texte, la somme de 16'411,62 euros, en ce compris le coût des traductions assermentées, supporté par elle à hauteur de 1411,62 euros, outre les entiers dépens de l'instance. Ces condamnations et les frais non compris dans les dépens doivent être assortis des intérêts moratoires à compter de la première mise en demeure en date du 13 juillet 2009 ou à défaut, à compter de l'assignation introductive d'instance en date du 16 décembre 2011.

Dans ses dernières écritures en date du 2 mai 2016, la SNC Carlton Danube Cannes conclut au principal à la confirmation du jugement entrepris. Subsidiairement, il doit être jugé que l'action engagée par la société Hiscox est irrecevable, en l'absence de subrogation régulière. Plus subsidiairement, il doit être jugé que l'appelante ne rapporte pas la preuve d'un contrat de dépôt hôtelier, pas plus qu'elle n'établit la matérialité du vol et la réalité du préjudice prétendument subi. Elle doit en conséquence être déboutée de toutes ses demandes, fussent-elles limitées à la somme de 45'260 € (452,60 € X 100). La société Hiscox doit enfin être condamnée à lui payer la somme de 2000 €, à titre de dommages et intérêts, pour procédure abusive et celle de 5000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est en date du 26 avril 2007.

SUR CE

- Sur la recevabilité de l'action subrogatoire :

C'est par des moyens pertinents en fait et en droit, méritant d'être approuvés, que le premier juge a écarté les moyens de la société Carlton tirés des irrégularités affectant la quittance subrogatoire en date du 7 septembre 2009, par laquelle les époux M. ont expressément subrogé leur assureur, sans le nommer expressément, dans leurs droits et actions. Le tribunal a justement considéré, d'une part, que l'identité du numéro de police figurant sur la quittance et sur le certificat d'assurance liant la société Hiscox aux époux M. excluait toute ambiguïté quant à l'identité de l'assureur et, d'autre part, que la condition d'une concomitance de la subrogation et du paiement, exigée par l'article 1250-1 du Code civil était remplie, les subrogeants ayant manifesté dans la quittance leur volonté de subroger leur assureur dans leurs créances, à l'instant même du paiement, dont les pièces produites établissent qu'il a eu lieu le 1er octobre 2009.

Il suffit d'ajouter, pour répondre aux moyens développés par la société Carlton devant la cour, que la subrogation tire son origine du contrat d'assurance, que les subrogeants sont les époux M.-D. et que la victime du vol des bijoux est Judy D. épouse M. laquelle n'a pas perdu sa qualité d'assurée par le fait que la fille des époux M., Judy Ann M., a, par un avenant postérieur au contrat d'assurance initial, acquis elle-même la qualité d'assurée.

Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a déclaré l'action exercée par la société Hiscox à l'encontre de la société Carlton, recevable.

- Sur le fond :

Selon l'article 1952 du Code civil, les aubergistes ou hôteliers répondent comme dépositaires, des vêtements, bagages et objets divers apportés dans leur établissement par le voyageur qui loge chez eux ; le dépôt de ces sortes d'effets doit être regardé comme un dépôt nécessaire.

L'article 1953 ajoute qu'ils sont responsables du vol ou du dommage de ces effets, soit que le vol ait été commis ou que le dommage ait été causé par leurs préposés ou par des tiers allant et venant dans l'hôtel.

Le dépôt hôtelier obéit donc à un régime spécial par rapport au régime général du dépôt, dont il résulte que le tenancier de l'établissement est tenu d'une obligation de résultat de garde des objets apportés par le voyageur, lequel, en cas de perte, est dispensé de prouver la faute de l'hôtelier et doit seulement établir, par tous moyens, la consistance et la valeur des objets apportés. L'hôtelier ne peut se décharger de la responsabilité qu'en démontrant, soit la faute de la victime, soit la force majeure, soit que la perte résulte de la nature ou d'un vice de la chose.

Devant la cour, la société Carlton renonce à contester l'existence même du contrat hôtelier conclu entre les époux M. et elle-même, moyen initialement soutenu devant le tribunal, admettant désormais, à la faveur d'un document produit par elle-même, que les époux Léon M. ont séjourné dans son établissement du 10 juin 2009 au 14 juin 2009, pour un coût total de 2894,80 euros, englobant le prix de la chambre, la restauration et diverses consommations.

La société Carlton persiste en revanche à contester, en appel, l'existence du dépôt et la matérialité du vol.

C'est à la société Hiscox, subrogée dans les droits et actions des époux M. qu'il incombe d'établir par tous moyens la réalité du dépôt nécessaire des objets et effets divers apportés par ces derniers dans l'hôtel.

Le contrat conclu entre la société Hiscox et Judy M.-D. pour l'année 2009 prouve que celle-ci a assuré 15 bijoux, d'une valeur considérable, s'élevant à la somme globale de 1 605 225 euros, incluant le port quotidien à l'international de six de ces bijoux, d'une valeur globale de 688'225 €, consistant dans des clous d'oreilles ornés de diamants blancs, de la maison Graff (107'000 €), dans un bracelet orné de diamants blancs taillés en forme d'émeraude, de la maison Graff, dans une bague « Eternity, ornée de diamants blancs taillés en forme d'émeraude de la maison Graff, ces deux bijoux ayant une valeur globale de 194'575 €, dans une paire de boucles d'oreilles en or blanc, chaque boucle étant ornée d'un diamant, d'une valeur de 17'250 €, dans une bague en or 18 carats avec diamant, d'une valeur de 19'400 € et enfin dans un pendentif en diamant blanc en forme de c'ur, de couleur blanc exceptionnel, avec un rubis de Birmanie, en forme de c'ur sur le dessus, d'une valeur de 350'000 €.

Il est acquis également que Judy M. a déposé plainte auprès des services de police de la ville de Cannes le 12 juin 2009 à 19h25, pour le vol de 4 bijoux dont 3 entrent dans la liste des 6 bijoux (bracelet, boucles d'oreilles et bague) dont le port est autorisé à l'international par le contrat d'assurance, le quatrième bijou, à savoir une montre Chopard d'une valeur de 65'000 € n'étant pas assuré, ledit vol ayant eu lieu le même jour entre 16h30 et 17h30 dans la chambre qu'elle occupait avec son mari au Carlton.

La clientèle fortunée fréquentant le Carlton, hôtel de prestige, classé cinq étoiles, sur la Croisette à Cannes, est présumée posséder des bijoux de grande valeur qu'elle est censée transporter avec elle, lorsqu'elle séjourne dans ce type d'établissement.

Ces éléments objectifs permettent de considérer que la preuve du dépôt est suffisamment rapportée.

La matérialité du vol ne peut davantage être contestée, en l'état de la plainte aussitôt déposée par Judy M., après l'accomplissement des premières formalités auprès de la conciergerie et de la direction de l'hôtel. Les services de police, qui n'ont pas effectué de constatations sur les lieux, ce dont il ne peut être fait grief à la plaignante, ont procédé à une enquête qui s'est prolongée sur plusieurs mois, avant d'être classée le 21 novembre 2011 par le parquet du procureur de la république de Grasse, en l'absence d'identification de l'auteur de l'infraction.

L'hôtel Carlton doit donc répondre, en tant que dépositaire, sur le fondement des articles 1952 et 1953 du Code civil, du vol des bijoux apportés dans l'établissement par Judy M..

La société Hiscox ne rapportant pas la preuve des circonstances dans lesquelles la réparation est illimitée, à savoir, d'une part, lorsque l'objet dérobé a été réellement déposé entre les mains de l'hôtelier ou que celui-ci a refusé de le recevoir sans motif légitime et, d'autre part, lorsque le préjudice résulte d'une faute de l'hôtelier, non démontrée au cas présent, le défaut de surveillance ne pouvant se déduire, eu égard aux éléments de la cause, du seul fait de la réalité du vol, il y a lieu d'appliquer à la société Hiscox le principe de la réparation forfaitaire instituée par l'alinéa 2 de l'article 1153 du Code civil, selon lequel dans toutes les autres cas, les dommages et intérêts dus aux voyageurs sont (...) limités à l'équivalent de 100 fois le prix de location du logement par journée.

Ce prix journalier s'élève, au vu du document produit par la société Carlton, à la somme de 452,60 euros et non à celle de 723,70 euros, calculée par la société Hiscox à partir de la somme globale de 2894,80 euros dont se sont acquittés les époux M. à l'issue de leur séjour, englobant non seulement les nuitées mais également les frais de restauration et diverses consommations.

La société Carlton doit en définitive être condamnée à payer à la société Hiscox la somme de 45 260 € à titre de dommages-intérêts.

La société Carlton doit être condamnée à payer à la société Hiscox la somme de 5000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés devant le tribunal et devant la cour.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action subrogatoire exercée par la société Hiscox Insurance Company Guernsey Limited à l'encontre de la SNC Carlton Danube Cannes, recevable,

L'Infirme dans toutes ses autres dispositions et statuant à nouveau :

Condamne la SNC Carlton Danube Cannes à payer à la société Hiscox Insurance Company Guernsey Limited la somme de 45'260 €, à titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de 5000 €, à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés devant le tribunal devant la cour,

Condamne la SNC Carlton Danube Cannes aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit des avocats de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.