CA Rennes, 2e ch., 1 juillet 2008, n° 07/02426
RENNES
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur Yves LE GUILLANTON
Conseillers :
Madame Françoise COCCHIELLO, Madame Véronique BOISSELET
La société Genzyme exerce une activité de recherche et commercialisation de produits bi-thérapeutiques. Elle a notamment mis au point un matériau dit SEPRAFILM utilisé en chirurgie cardiaque ayant pour intérêt d'éviter les adhérences des tissus. Elle a décidé en 2003 de faire réaliser un film ayant pour objet de présenter le SEPRAFILM et réservé à son usage interne. Elle a confié à la société FMC Production sa réalisation. Le film devait relater l'expérience d'un jeune homme de 19 ans, Olivier Gautron, qui avait subi une transplantation cardiaque, et le rôle joué par le SEPRAFILM dans la bonne réalisation de l'intervention.
La société FMC Production a recruté Bertrand Latouche à cette fin.
Ayant appris l'existence, outre le film sur lequel il avait travaillé en août 2003, intitulé : "D'une vie l'autre" et ayant une durée de 26 minutes, de versions différentes, Bertrand Latouche a fait procéder à un constat au siège de FMC Production qui a permis d'y découvrir, le film en question et trois autres masters, l'un de septembre 2003 d'une durée de 9 minutes 28 et intitulé "une histoire de coeur", et l'autre intitulé "Heart story" constituant la version anglaise du précédent, et enfin un autre film Genzym de 30 mn.
Estimant que son oeuvre avait été contrefaite, Bertrand Latouche a assigné la société Genzyme et FMC Production devant le tribunal de grande instance de Nantes. Il demandait essentiellement qu'il soit jugé qu'il est l'unique auteur du film "D'une vie l'autre", et, à ce titre, le seul titulaire des droits de propriété intellectuelle sur cette oeuvre, que le préjudice causé par les actes de contrefaçon soit réparé par une indemnité de 30 000 €, et que les mesures propres à mettre fin à la contrefaçon soient ordonnées.
Par jugement du 23 janvier 2007, le tribunal, retenant que l'oeuvre était inachevée, a débouté Bertrand Latouche de toutes ses demandes, et a également rejeté les demandes reconventionnelles des sociétés défenderesses en dommages et intérêts réparant l'atteinte à leur réputation.
Bertrand Latouche en a relevé appel le 17 avril 2007.
Par conclusions du 27 mars 2008 , auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, il demande que :
Par conclusions du 8 novembre 2007, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, FMC Production demande que:
Par conclusions du 28 novembre 2007, auxquelles il est expressément fait référence pour l'exposé complet de son argumentation, Genzyme demande que :
SUR QUOI, LA COUR :
Sur les demandes de Bertrand Latouche :
Il résulte tant des écritures de FMC Production que des pièces versées aux débats (contrat d'embauche et bulletin de salaire) que Bertrand Latouche a bien été recruté en qualité de réalisateur. FMC Production reconnaît d'ailleurs qu'il a bénéficié, dans la tâche qui lui était dévolue, d'une grande autonomie puisqu'elle emploie le terme de sous-traitance, et reconnaît que tant l'ingénieur du son que la monteuse étaient des proches de Bertrand Latouche, recrutés uniquement pour ce film.
Le visionnage de ce dernier révèle par ailleurs, comme le revendique Bertrand Latouche, l'existence d'une création originale. En effet le film évoque l'expérience d'un jeune homme de 20 ans atteint d'une insuffisance cardiaque sévère opéré à deux reprises, la seconde opération consistant en une transplantation cardiaque, avec présentation de l'équipe médicale, et de l'entourage familial du patient. Le choix des séquences d'entretiens techniques, avec les médecins et infirmières, des séquences consacrées aux réflexions du patient notamment sur le fait d'accepter ou non une greffe, ou au vécu de ses parents, ou des encadrés reproduisant des extraits de dictionnaires, les recherches de cadrage, d'effets de flou, de lumières, portent la marque d'une recherche esthétique et d'une réflexion personnelle. Les premiers juges ont dès lors justement constaté que le film 'D'une vie l'autre' constituait une création originale dont Bertrand Latouche était l'un des auteurs.
Il est cependant non moins constant que Bertrand Latouche a bien été recruté pour réaliser le film commandé par la société GENZYME. Bertrand Latouche le reconnaît en effet dans ses écritures, et la comparaison entre d'une part le cahier des charges extrêmement précis établi par GENZYME sur le contenu de sa commande, soit 'mettre en valeur l'intérêt du produit en démontrant de la manière la plus concrète possible quel en est le bénéfice pour le patient' à travers le cas réel d'un patient opéré du coeur à plusieurs reprises, et, d'autre part, le projet de scénario produit par Bertrand Latouche, qui en reprend les principaux éléments, notamment sur la présentation du SEPRAFILM, et rappelle qu'il s'agit d'une commande, démontre qu'il en avait une parfaite connaissance.
Bertrand Latouche admet par ailleurs lui même que certaines séquences sont l'oeuvre de Damien Guérin, gérant de FMC Productions. Bertrand Latouche ne peut dès lors être considéré comme l'unique auteur de ce film, puisque ni sa conception générale, ni même l'intégralité de sa réalisation ne sont son oeuvre exclusive, et que FMC Production déterminait tant le sujet, d'ordre technique, que la façon de le traiter, en exécution de la commande reçue, allant ainsi bien au delà du rôle d'un simple bailleur de fonds.
Ce film entre dès lors dans les prévisions de l'article L.113-7 du Code de la propriété intellectuelle, qui dispose qu'une oeuvre audiovisuelle constitue une oeuvre de collaboration. Par ailleurs, FMC Production a bien, nonobstant l'absence de contrat répondant aux conditions de forme prévues par les articles L.131-2 et L.131-24, qui n'en sont pas une condition de validité, la qualité de producteur du film litigieux, puisque Bertrand Latouche admet lui même dans ses écritures, qui valent aveu judiciaire, que le film qu'il devait réaliser constituait une commande reçue d'un tiers par FMC Production.
Or le visionnage du film 'd'une vie l'autre' révèle qu'il n'est fait nulle mention du SEPRAFILM, et que les aspects de pure technique médicale, pourtant prépondérants dans le cahier des charges établi par GENZYME, ne sont que peu abordés, au profit d'une réflexion plus personnelle sur le don ou la réception d'organes, l'impact personnel et familial d'opérations lourdes, et les progrès de la technique médicale.
L'attestation du professeur Khayat, et celle de Tatiana Delessard établissent que ce film ne correspondait ni à la commande de GENZYME, ni au souhait de l'équipe médicale qui avait eu à traiter le patient, puisque, précisément, il s'écartait de la seule description du produit, de son utilisation en chirurgie et de ses avantages thérapeutiques, et qu'il a été modifié à l'initiative du gérant de FMC Production pour ce motif. Ce dernier en effet, a d'une part ajouté des éléments techniques relatifs au SEPRAFILM, dûment désigné, sous forme d'images de synthèse expliquant son rôle et de séquences montrant son utilisation en chirurgie, et, d'autre part, supprimé une grande partie de celles consacrées aux impressions du patient et de sa famille, pour réaliser le film finalement livré en septembre 2003 à GENZYME, soit le film 'Histoire de Coeur' que GENZYME a payé, y compris dans sa version en langue anglaise. Il n'est pas contesté que Bertrand Latouche n'a pas été informé de ces modifications.
Il en résulte de ces éléments de fait que le film 'D'une vie l'autre' ne peut être considéré comme la version achevée du film objet d'une part de l'accord entre FMC Production et Bertrand Latouche, et, d'autre part, de la commande de GENZYME. Cette société indique d'ailleurs qu'elle n'a jamais eu connaissance du film 'D'une vie l'autre', et que ce dernier ne lui a jamais été livré. Selon les déclarations de Damien Guérin rapportées par l'huissier lors du constat, elle l'a cependant visionné mais l'a déclaré inexploitable. Le simple fait que ce film ait été détenu par FMC Production ne suffit enfin pas à démontrer qu'elle le considérait comme achevé, ou, du moins, répondant au travail qu'elle avait demandé à Bertrand Latouche.
Les premiers juges ont dès lors justement estimé que, faute d'accord entre le ou les réalisateurs de ce film, et le producteur sur une version définitive, Bertrand Latouche ne pouvait exercer ses droits d'auteur sur ce film en application de l'article L.121-5 dernier alinéa.
En vertu du même texte, le film 'Histoire de Coeur' et sa version anglaise, n'ayant pas reçu l'accord de Bertrand Latouche préalablement à leur mise en exploitation, c'est à dire à leur livraison à GENZYME, ce dernier n'est pas davantage fondé à se prévaloir de droits d'auteur sur lui.
S'il est cependant indiscutable qu'un auteur peut, avant établissement de la version définitive d'une oeuvre audiovisuelle, s'opposer à la dénaturation de son apport créatif personnel à son élaboration, Bertrand Latouche ne peut en l'espèce pas se prévaloir des libertés qu'il a prises avec le cahier des charges, qui s'imposait à lui, pour prétendre que l'élaboration du film 'Histoire de Coeur' à partir de son propre travail constitue une dénaturation de son travail, que les séquences reprises figurent ou non dans le film initial après montage. En outre, la nature des relations contractuelles entre FMC Production et Bertrand Latouche , recruté pour l'exécution d'un travail déterminé en vue d'une commande précise, travail qui a été rémunéré selon les modalités convenues, permet de considérer que les droits d'auteur sur les réalisations de Bernard Latouche dans ce cadre ont fait l'objet d'une cession au profit de FMC Production en sa qualité de producteur. Enfin n'est démontrée la réalité d'aucun préjudice.
Ainsi, le jugement ne peut qu'être confirmé sur le rejet des demandes formées par Bertrand Latouche.
Sur les demandes reconventionnelles :
Ni la société GENZYME ni FMC Production n'établissent la réalité du préjudice causé par l'incompréhension du patient et de sa famille en découvrant que le film réalisé par Bertrand Latouche avait été modifié, puisque ces derniers n'ont finalement pas donné suite à leur menace d'entamer une procédure après avoir reçu les explications de GENZYME.
L'erreur de Bertrand Latouche sur l'étendue de ses droits et le mérite de ses demandes ne suffit pas à caractériser un abus.
Le jugement sera également confirmé sur le rejet des demandes de dommages et intérêts formées par GENZYME et FMC Production. La demande de garantie de GENZYME est sans objet.
Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :
L'équité commande que chacune des parties conserve la charge de ses propres dépens, sans qu'il y ait lieu à application des articles 699 et 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement,
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens, sans qu'il y ait lieu à application des articles 699 et 700 du Code de procédure civile,
Rejette le surplus des demandes.