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Décisions

Cass. com., 2 novembre 1994, n° 92-15.920

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bézard

Rapporteur :

M. Dumas

Avocat général :

Mme Piniot

Avocat :

Me Ryziger

Rouen, 2e ch. civ., du 16 avr. 1992

16 avril 1992

Attendu, selon l'arrêt critiqué, que la société commerciale d'Armorique s'était engagée à céder des créances professionnelles à la banque coopérative mutualiste de Bretagne (la Banque) en garantie de crédits que celle-ci lui consentait ; que, par ailleurs, M. X... s'était porté caution des engagements de la société envers la banque ; qu'estimant qu'à la date du 7 novembre 1988, le compte de la société présentait un solde débiteur de 663 192,32 francs, la banque a assigné M. X... en paiement de cette somme et en demande d'inscription d'hypothèque judiciaire définitive sur des biens lui appartenant, destinée à se substituer à deux précédentes inscriptions ; que celui-ci a formé trois demandes reconventionnelles, la première en radiation d'hypothèques, la seconde en paiement de dommages-intérêts, pour procédure abusive, et la troisième en responsabilité pour faute ayant consisté à rompre abusivement le concours accordé à la société ;

Sur les deux premiers moyens, réunis :

Attendu que M. X... reproche à l'arrêt d'avoir dit que la rupture des concours financiers par la banque n'avait pas été fautive, alors, selon le pourvoi, de première part, qu'il résulte de l'article 60, alinéa 1er de la loi 84-46 du 24 janvier 1984, qu'un concours bancaire à durée indéterminée consenti à une entreprise ne peut être interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours ; que l'article 3 du contrat stipulait que la convention pouvait être résolue unilatéralement par lettre recommandée avec avis de réception respectant le préavis d'usage ; qu'en l'espèce ayant constaté que la banque avait, par courrier du 17 juin 1988, avec effet au 21 juin suivant et en relevant pour justifier la rupture sans préavis du contrat que lui-même, ès-qualités, avait reçu un courrier du 3 mai 1988 qui constituait une manifestation explicite de volonté du banquier de mettre en demeure son client de respecter ses obligations et des risques auxquels il s'exposerait et qu'en conséquence il avait bénéficié d'un délai de préavis suffisant, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé l'existence d'une notification de rupture antérieurement à celle intervenue le 17 juin 1988 a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ; alors, de deuxième part, qu'il résulte de l'article 60, alinéa 1er de la loi 84-46 du 24 janvier 1984, qu'un concours bancaire à durée indéterminée consenti à une entreprise ne peut être interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours ; que l'article 3 du contrat stipulait que la convention pouvait être résolue unilatéralement par lettre recommandée avec avis de réception respectant le préavis d'usage ; qu'en l'espèce ayant constaté que la banque avait par courrier du 17 juin 1988, avec effet du 21 juin suivant et en relevant pour justifier la rupture sans préavis du contrat que lui-même, ès-qualités, avait reçu un courrier du 3 mai 1988 qui constituait une manifestation explicite de volonté du banquier de mettre en demeure son client de respecter ses obligations et des risques auxquels il s'exposerait et qu'en conséquence il avait bénéficié d'un délai de préavis suffisant, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé le respect du délai de préavis d'usage a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ; alors de troisième part, qu'il appartient à celui qui allégue un fait d'en rapporter la preuve ; qu'en l'espèce il avait contesté les allégations de la banque selon laquelle la société commerciale d'Armorique n'aurait pas transmis en temps utile le bilan de la société en indiquant qu'en ce qui concernait la production du bilan l'affirmation de la banque était purement gratuite, ce bilan lui ayant été adressé dans les délais d'usage et qu'il appartenait à la banque de rapporter la preuve d'une mise en demeure de produire un tel bilan prouvant par là -même que cela n'aurait pas été fait ; qu'en énonçant que la non production du bilan de fin d'exercice en temps utile constituait un manquement du client à son devoir d'information du banquier de nature à altérer notablement la confiance de ce dernier et en en déduisant que ces faits étaient constitutifs d'un comportement répréhensible au sens de l'article 60, alinéa 2, de la loi du 24 janvier 1984, sans relever une quelconque preuve rapportée par la banque de ce que le bilan n'aurait pas été produit en temps utile, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil, ensemble l'article 60, alinéa 2, de la loi du 24 janvier 1984 ; alors, de quatrième part, qu'il résulte de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, que les juges du fond doivent motiver leur décision ; qu'en l'espèce ayant relevé que la société commerciale d'Armorique n'aurait pas fourni à la banque en temps utile le bilan de fin d'exercice pour lui permettre d'apprécier la situation réelle de la société, ce bilan ultérieurement porté à la connaissance de la banque établissant indiscutablement qu'avant même la rupture la situation était irrémédiablement compromise, sans préciser en quoi ce bilan permettait une telle déduction la cour d'appel, privant ainsi sa décision de motifs, a procédé par voie de simple affirmation et a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de cinquième part, qu'il résulte de l'article 60, alinéa 2, de la loi 84-46 du 24 janvier 1984 que l'établissement de crédit doit respecter un délai de préavis pour interrompre une ouverture de crédit à durée indéterminée sauf si le comportement du bénéficiaire a été gravement répréhensible ou si sa situation est irrémédiablement compromise ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui a relevé que la société commercial d'Armorique avait en dépit de rappels de la banque fait des dépassements importants et répétés des autorisations de trésorerie consenties à hauteur des créances cédées sans préciser quels étaient les montants des dépassements au regard des créances cédées par la société commerciale d'Armorique, a privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors de sixième part, qu'il résulte de l'article 60, alinéa 2, de la loi 84-46 du 24 janvier 1984 que l'établissement de crédit doit respecter un délai de préavis pour interrompre une ouverture de crédit à durée indéterminée sauf si la situation du bénéficiaire du crédit s'avèrerait irrémédiablement comprise ; que cette notion ne se confond pas avec la seule constatation de la cessation des paiements ; qu'en l'espèce ayant considéré que la société commerciale d'Armorique avait été déclarée en redressement judiciaire par décision du 14 février 1989 soit quelques mois seulement après la rupture du crédit cependant que lui-même aurait, selon ses propres affirmations, apporté une somme de 2 500 000 francs au compte courant, soit une somme sensiblement équivalente au concours de la banque, que loin de pouvoir être considéré comme la conséquence de la rupture des concours le redressement judiciaire apparait au contraire résulter d'une situation irrémédiablement compromise existant déjà en juin 1988 et justifiant la décision prise par la banque qui aurait à défaut risqué de se voir reprocher d'avoir maintenu artificiellement une apparence de solvabilité, la cour d'appel a manifestement procédé à une confusion entre les notions de cessation des paiements et de situation irrémédiablement compromise et violé le texte susvisé ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'il ne résulte pas de l'arrêt que celui-ci ait confondu les notions de cessation de paiements et de situation irrémédiablement compromise ;

Attendu, en second lieu, que c'est par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, et sans inverser la charge de la preuve, que la cour d'appel a constaté qu'en dépit de nombreuses lettres de mise en garde qui lui avaient été adressées, la société avait, à plusieurs reprises, dépassé l'autorisation d'utiliser un découvert à hauteur du montant des créances, ce qui avait conduit la banque à rejeter de nombreux chèques, et que cette société n'avait pas davantage fourni à la banque, en temps utile, le bilan de fin d'exercice pour lui permettre d'apprécier sa situation réelle ; que dès lors, ayant retenu que ces dépassements importants et répétés des autorisations de trésorerie consenties, nonobstant les rappels et mises en garde répétées du banquier, comme les manquements du client à son devoir d'information du banquier, de nature à altérer notablement la confiance de ce dernier, étaient constitutifs d'un comportement répréhensible au sens de l'article 60 de la loi du 24 janvier 1984, et que, dans ces conditions, aucune faute ne pouvait être reprochée à la banque pour n'avoir pas respecté un préavis suffisant avant de cesser son concours le 21 juin 1988, l'arrêt, abstraction faite des motifs surabondants critiqués dans le premier moyen et dans la deuxième branche du second moyen, se trouve légalement justifié en ce qui concerne la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour rupture abusive de crédit ;

Que ni le premier ni le second moyens ne peuvent être accueillis en aucune de leurs branches ;

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche :

Attendu que M. X... reproche encore à l'arrêt d'avoir laissé sans réponse ses conclusions tendant à la condamnation de la banque pour procédure abusive, alors, selon le pourvoi, qu'il avait fait valoir que la procédure diligentée à son encontre, ès-qualités de caution, par la banque, était abusive, celle-ci détenant une créance certaine d'un montant de 1 160 000 francs qu'elle aurait dû créditer sur le compte de la société, réduisant ainsi à néant toute créance justifiant les recours contre la caution ; qu'en ne recherchant pas ainsi qu'elle y était expressément invitée si une telle action était abusive et partant fautive, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt retient que l'affirmation de M. X..., selon laquelle la banque avait, au moment où le compte a été arrêté, la certitude du paiement de la créance litigieuse, était contredite en fait puisqu'il apparaissait que cette créance n'avait pu être recouvrée qu'en novembre 1989, après l'intervention d'un organisme contentieux ; que la cour d'appel a ainsi répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées ; que le moyen n'est pas fondé en sa première branche ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu que pour rejeter la demande reconventionnelle en dommages-intérêts, pour procédure abusive, formée par M. X..., l'arrêt ne se fonde que sur les considérations critiquées dans la première branche du moyen et relatives à l'engagement de la procédure ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. X... faisant valoir que le maintien de l'action intentée par la banque était devenu abusif après que celle-ci eut été désintéressée de sa créance, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. X... de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 16 avril 1992, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.