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Décisions

Cass. com., 20 juin 2006, n° 04-16.238

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

Mme Cohen-Branche

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

Me Carbonnier, Me Le Prado

Paris, du 2 avr. 2004

2 avril 2004

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 avril 2004), que la société Centrale de réservation touristique internationale (la société CRTI), initialement dénommée CRT, a obtenu du Crédit industriel et commercial (la banque) une ouverture de crédit garantie par le cautionnement de M. Y..., alors gérant ; que la banque a, le 10 septembre 1997, dénoncé sans préavis ce crédit au motif que son client aurait produit un compte de résultats non sincère ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société CRTI et M. Y... font grief à l'arrêt de les avoir condamnés solidairement à payer à la banque la somme de 15 244,90 euros et d'avoir condamné la société CRTI au paiement de la somme supplémentaire de 20 351,05 euros, alors selon le moyen :

1 / que ce n'est qu'en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s'avérerait irrémédiablement compromise que l'établissement de crédit peut réduire ou interrompre un concours à durée déterminée ou indéterminée ; que commet une faute la banque qui dénonce brutalement à son client ses concours au prétexte qu'il aurait produit un compte de résultat non sincère, dès lors que celui-ci a dûment motivé l'écriture litigieuse conformément aux dispositions de l'article L. 123-14 du code de commerce ; qu'en l'espèce, après avoir octroyé à la société CRTI un crédit "Confirmatic" le 11 juin 1997, la banque l'a brusquement dénoncé le 10 septembre suivant, en prenant prétexte de "la production non sincère du compte de résultat" de l'exercice 1996 au motif qu'une écriture portée en produit exceptionnel n'aurait pas été conforme aux dispositions de l'article L. 123-21 du code de commerce ; que cependant, ainsi que le tribunal de commerce l'a relevé, la société CTRI avait dûment motivé cette écriture, conformément aux dispositions de l'article L. 123-14, alinéa 2, du code de commerce ; qu'en considérant que la banque n'a commis aucune faute en interrompant brutalement le crédit accordé trois mois plus tôt, la cour d'appel a violé l'article L. 313-12 du code monétaire et financier ;

2 / que commet une faute la banque qui dénonce brutalement à son client ses concours au prétexte qu'il aurait produit un compte de résultat non sincère, dès lors que celui-ci a dûment motivé l'écriture litigieuse conformément aux dispositions de l'article L. 123-14 du code de commerce ; qu'en l'espèce, après avoir octroyé à la société CRTI un crédit "Confirmatic" le 11 juin 1997, la banque l'a brusquement dénoncé le 10 septembre suivant, en prenant prétexte de "la production non sincère du compte de résultat" de l'exercice 1996 au motif qu'une écriture portée en produit exceptionnel n'aurait pas été conforme aux dispositions de l'article L. 123-21 du code de commerce ; que, cependant, dans ses écritures d'appel, la société CRTI rappelait ainsi que le tribunal de commerce l'avait lui-même relevé, qu'elle avait dûment motivé cette écriture conformément aux dispositions de l'article L. 123-14, alinéa 2, du code de commerce ; qu'en se bornant à affirmer péremptoirement que l'écriture litigieuse était contraire aux exigences de larticle L. 123-21 du code de commerce, sans rechercher si la société CRTI ne pouvait pas bénéficier de la dérogation dûment motivée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 123-14 du code de commerce ;

3 / que ce n'est qu'en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s'avérerait irrémédiablement compromise que l'établissement de crédit peut réduire ou interrompre un concours à durée déterminée ou indéterminée ; qu'en l'espèce, par lettre du 28 juillet 1998, la banque a cru pouvoir dénoncer brutalement l'ouverture de crédit en compte courant qu'elle avait accordé à la société CRTI, sans lui apporter la moindre explication ou justification ; qu'en considérant cependant que, ce faisant, la banque n'avait pas commis de faute au prétexte que cette brusque rupture "ne peut s'analyser que comme la conséquence logique de la dénonciation des concours" alors que la banque avait dénoncé son crédit "Confirmatic" près d'un an plut tôt, le 10 septembre 1997, la cour d'appel a violé l'article L. 313-12 du code monétaire et financier ;

4 / que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties fixées par l'acte introductif d'instance ainsi que par les conclusions ; que, dans ses écritures d'appel, la société CRTI faisait valoir que le crédit d'investissement de 200 000 francs accordé par la banque avait toujours été rentabilisé en une seule saison d'hiver, que la rupture aussi inattendue qu'injustifiée par la banque de son concours aurait inéluctablement entraîné le dépôt de bilan et que les éléments objectifs du préjudice subi par la société CRTI apparaissent très clairement à la lecture des pièces produites aux débats et notamment la pièce n° 6 qui détaillait longuement le préjudice financier pour la société CRTI et la pièce 7, si bien que la perte subie par la société justifiait l'allocation de 30 000 euros de dommages-intérêts ; qu'en considérant que "la société CRTI, toujours in bonis, n'établit pas son préjudice qu'elle fixe, sans aucune explication, à 30 000 euros, alors que précisément la société CRTI détaillait son préjudice financier, la cour d'appel a dénaturé les conclusions des parties et violé l'article 4 du nouveau code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté que la société CRTI avait comptabilisé dans son bilan 1996, sous la rubrique "produits exceptionnels sur opérations de gestion" une somme de 470 000 francs correspondant aux dommages-intérêts qu'elle réclamait à une société dans le cadre d'un procès en cours à la clôture de l'exercice et avoir exactement décidé qu'une espérance de dommages-intérêts ne constituait pas un produit susceptible d'être pris en compte dans les résultats de l'exercice, en application de l'article L.123-13 du code de commerce, ce dont il résultait que sa comptabilisation irrégulière en produit n'était pas susceptible de relever du régime spécifique du 3e alinéa de l'article L. 123-14 du même code, la cour d'appel, qui en a déduit que l'écriture litigieuse de la société CRTI faussait le résultat des comptes et attestait de la volonté de celle-ci de masquer auprès de la banque ses difficultés financières, a pu considérer que le comportement du bénéficiaire du crédit était gravement répréhensible et justifiait une résiliation sans préavis du crédit par la banque, sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations et appréciations rendaient inopérante, et a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en second lieu, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de l'intention des parties que l'arrêt constate que la banque a, après le prononcé de l'exigibilité des concours, le 10 septembre 1997, proposé, dans un souci d'apaisement, d'étudier la possibilité d'une facilité de caisse de 200 000 francs sous réserve du cautionnement de M. Y... à due concurrence ; qu'il relève que cette lettre, qui n'a pas été suivie d'effet, doit s'analyser comme une offre amiable de rapprochement des parties sur de nouvelles bases et que la réclamation du remboursement de la banque le 18 juillet 1998 à l'encontre de la société et de la caution ne pouvait s'analyser que comme la conséquence logique de la dénonciation des concours et, qu'en outre, la banque soutenait, sans être contredite, qu'une première mise en demeure par voie recommandée avait été adressée à la société CRTI le 24 mars 1998 ; qu'il en résulte que la cour d'appel a pu écarter toute faute de la banque et a légalement justifié sa décision, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la quatrième branche ;

D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le second moyen :

Attendu que la société CRTI et M. Y... font grief à l'arrêt d'avoir condamné ce dernier à payer, solidairement avec la société CRTI, la somme de 15 244,90 euros et dit qu'il était tenu des intérêts au taux légal sur la somme de 15 244,90 euros à compter de la mise en demeure du 28 juillet 1998, alors, selon le moyen :

1 / que la cassation entraîne, sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; que conformément aux dispositions de l'article 625, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif de l'arrêt attaqué par le second moyen ;

2 / que les établissements de crédit ayant accordé à une entreprise un concours financier au sens de l'article 48 de la loi du 1er mars 1984, devenu l'article L. 313-22 du code monétaire et financier sous la condition d'un cautionnement doivent se conformer aux prescriptions de ce texte et qu'à défaut, ils sont déchus, à l'égard de la caution, de leurs droits aux intérêts conventionnels sans pouvoir prétendre y substituer des intérêts au taux légal ; que dans ses écritures d'appel, M. Y... faisait précisément valoir que, depuis 1991, il n'avait plus été destinataire du courrier annuel prévu par cette disposition qu'aurait dû lui adresser la banque ; qu'en se bornant à affirmer que "la caution s'étant engagée à hauteur de 100 000 francs, c'est à bon droit que la banque lui réclame le paiement de la somme de 15 244,90 euros avec intérêts à compter de la mise en demeure de la société CRTI, sans rechercher si la banque avait adressé ledit courrier annuel et en tirer les conséquences, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier ;

3 / que le juge doit répondre à l'ensemble des moyens proposés par les parties dans leurs écritures d'appel ; qu'en l'espèce, dans ses écritures d'appel, M. Y... faisait valoir que depuis 1991, il n'avait plus été destinataire du courrier annuel prévu par cette disposition qu'aurait dû lui adresser la banque ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire des conclusions de M. Y..., la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt étant justifié au regard de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier, l'article L. 625, alinéa 2, ne trouve pas application au cas d'espèce ;

Attendu, en second lieu, que M. Y... n'invoquait dans ses écritures l'absence de réception du courrier annuel de la banque depuis 1991 que pour tenter de démontrer que son cautionnement souscrit en faveur de la société CRT ne pouvait être étendu à la société CRTI, et non pour obtenir la déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information ; qu'il en résulte que la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a, en condamnant M. Y... au principal du cautionnement majoré des seuls intérêts moratoires au taux légal depuis la mise en demeure de la société CRTI, légalement justifié sa décision sans méconnaître les exigences de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.