Livv
Décisions

Cass. crim., 26 novembre 2019, n° 18-87.046

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Avocats :

SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer

Amiens, du 18 déc. 2017

18 décembre 2017

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de procédure que M. Q..., maire de la commune de [...], a été poursuivi devant le tribunal correctionnel, d'une part, pour harcèlement moral à l'égard de Mme P... O..., secrétaire de mairie, d'autre part, du chef de prise illégale d'intérêts pour avoir renouvelé le contrat de travail de son épouse en qualité de secrétaire de mairie en remplacement de la titulaire ; que les juges du premier degré l'ont déclaré coupable de ces délits et l'ont condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis ; que M. Q... et le ministère public ont relevé appel de cette décision ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme 121-3, 222-33-2 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;

“en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de harcèlement moral, l'a condamné à une peine d'emprisonnement de six mois assortie du sursis, a déclaré recevables les constitutions de partie civile, a déclaré le prévenu responsable du préjudice subi par Mme O..., condamné le prévenu à lui payer la somme de 1 500 euros à titre d'indemnité provisionnelle et a ordonné une mesure d'expertise ;

“1°) alors que l'exercice de son pouvoir de direction et de contrôle par l'employeur est insusceptible, en tant que tel, de constituer l'élément matériel du délit de harcèlement moral ; qu'en retenant que les griefs formulés par le prévenu à l'encontre de Mme O... constituaient le délit de harcèlement moral sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée (cf. conclusions de M. Q..., p. 12, §§ 4 à 6), si ces agissements ne rentraient pas dans l'exercice du pouvoir de direction et de contrôle du prévenu envers celle-ci, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

“2°) alors que pour retenir le prévenu coupable de harcèlement moral, la cour d'appel a relevé qu'était injustifié le reproche fait par lui à Mme O... de ne pas effectuer l'intégralité des heures prévues par son contrat de travail au motif que « jusqu'en 2012, M. Q..., maire de la commune de [...] depuis avril 2008, n'avait adressé aucun reproche à Mme O... alors que, à supposer même qu'il eût ignoré l'aménagement de ses horaires convenu avec le précédent maire, il n'avait pu constater que l'amplitude de ses horaires de travail étaient sensiblement inférieurs, 8 heures au lieu de 13 heures, à ceux prévus par le contrat » (cf. arrêt, p. 8, § 6, p. 9, § 5) ; qu'en statuant ainsi, quand, à supposer même que Mme O... ait pu bénéficier d'une tolérance sur le nombre d'heures de travail effectuées, une telle circonstance ne permettait pas de considérer que le reproche fait par M. Q... aurait été infondé et qu'il ne s'inscrirait pas dans l'exercice de son pouvoir de direction et de contrôle en tant qu'employeur, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

“3°) alors que selon les termes de la prévention, il était reproché au prévenu d'avoir « demand[é] [à Mme P... Jumeaux] de convaincre son fils de lui donner un pouvoir lors des délibérations du conseil municipal », d'avoir « reproch[é] [à celle-ci] ses relations amicales avec un opposant politique » et de lui avoir « fai[t] de nombreux reproches injustifiés quant à son travail et ce pendant plusieurs mois » (cf. arrêt, p. 7, in fine et p. 8, cinq premières lignes) ; que la cour d'appel ne s'est pas prononcée sur la réalité du prétendu reproche d'entretenir des relations amicales avec un opposant politique et a expressément constaté que n'étaient pas démontrées les prétendues pressions exercées par le prévenu sur Mme O... pour obtenir en sa faveur un pouvoir de son fils (cf. arrêt, p. 9, § 5) ; qu'en déclarant néanmoins le prévenu « coupable des faits qui lui sont reprochés », la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;

“4°) alors qu'en déclarant le prévenu coupable d'agissements de harcèlement moral commis entre mars 2012 à novembre 2012 quand elle ne relevait que deux agissements du prévenu les 20 juin et 17 juillet 2012, à savoir un avertissement et une convocation à un entretien préalable donnés à Mme O..., la cour d'appel a méconnu les textes susvisés” .

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de harcèlement moral à l'égard de Mme O..., l'arrêt énonce que, si les pressions exercées sur celle-ci pour convaincre son fils, membre du conseil municipal, d'établir un pouvoir en faveur du maire lors des réunions du conseil ne paraissent pas suffisamment démontrées, M. Q... a formulé à son encontre un ensemble de griefs injustifiés, tels que l'aménagement de ses horaires de travail, la violation de son devoir de réserve du fait de la distribution de tracts par son fils, la communication de l'avertissement dont elle avait été l'objet au deuxième adjoint du maire, ou ne reposant sur aucune preuve tangible, comme l'interversion de feuillets des listes d'émargement lors du scrutin du 17 juin 2012 ou la diffusion d'informations destinées à nuire au maire ; que les juges ajoutent que ces agissements ont eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de Mme O... susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, comme en témoignent l'examen médico-psychologique du 23 janvier 2013 et les conclusions du psychiatre ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, mettant en évidence, à la charge du demandeur, des agissements répétés, au sens de l'article 222-33-2 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n°2014-873 du 4 août 2014, commis dans un contexte professionnel, excédant son pouvoir de direction, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme 121-3, 432-12 du code pénal, préliminaire, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;

“en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de prise illégale d'intérêts et l'a condamné à une peine d'emprisonnement de six mois assortie du sursis ;

“1°) alors que le seul fait pour un maire d'embaucher un membre de sa famille, sans que soient constatées d'autres circonstances telles l'absence de qualification pour le poste ou l'absence de contrepartie pour la commune, ne constitue pas, en lui-même et à lui seul, l'élément matériel du délit de prise illégale d'intérêts ; que pour retenir le prévenu coupable de prise illégale d'intérêts, la cour d'appel a énoncé que « la prise d'un intérêt [est] constituée par le seul fait de nommer un proche » et que « l'élément matériel de l'infraction de prise illégale d'intérêts est constitué par le seul fait que M. Q... a, agissant en sa qualité de maire, pris un intérêt, en l'espèce direct, dans une opération dont il avait la charge de la surveillance ou de l'administration, en l'espèce en prenant l'arrêt de nomination de son épouse à la fonction d'adjoint administratif » ; qu'en statuant ainsi sans autre considération relative à la qualification de la personne embauchée ou à la réalité des tâches confiées, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

“2°) alors qu'aux termes de la prévention, il était reproché au prévenu d'avoir « engag[é] directement, lui-même, son épouse [Mme X... Q...] en qualité de secrétaire en remplacement de la titulaire coupable des faits reprochés quand elle constatait elle-même que « le recrutement et la nomination initiale de Mme Q... ont été assurés par le centre de gestion » et que le prévenu n'avait fait que prolonger ce recrutement, ce dont il résultait que le prévenu n'avait pas « directement, lui-même », engagé son épouse « en qualité de secrétaire en remplacement de la titulaire », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et n'a pas justifié sa décision” ;

Attendu que, pour dire établi le délit de prise illégale d'intérêts, l'arrêt retient que le recrutement d'un adjoint administratif constitue une opération dont le maire a la charge de la surveillance et de l'administration et que M. Q..., qui a signé l'arrêté du 27 octobre 2012 et les arrêtés suivants permettant à son épouse d'occuper un emploi municipal, a pris un intérêt direct dans cette opération ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen ;

Qu'en effet, il importe peu que le contrat de son épouse ait d'abord été conclu par le centre de gestion dès lors que M. Q... a lui-même pris les dispositions pour le renouveler ;

Que par ailleurs, le délit de prise illégale d'intérêt n'exige pas, en pareille circonstance, la réunion d'autres conditions tenant à l'absence de qualification de la salariée ou à l'absence de prestation fournie en contrepartie du salaire alloué ;

Que, dès lors le moyen ne peut qu'être écarté ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme 130-1, 132-1 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;

“en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu à une peine d'emprisonnement de six mois assortie du sursis ;

“alors qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur ; qu'en prononçant à l'encontre du prévenu une peine d'emprisonnement de six mois avec sursis sans s'expliquer sur sa personnalité et sa situation personnelle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision” ;

Attendu qu'après avoir relevé que M. Q... est âgé de 54 ans, marié, retraité, qu'il perçoit des revenus mensuels d'environ 2000 euros pour des charges s'élevant à 500 euros, l'arrêt, qui confirme la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis prononcée par le tribunal, relève qu'il convient de prendre en compte la gravité des faits commis dans l'exercice de ses fonctions de maire et l'absence d'antécédents judiciaires de M. Q... ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'ainsi , le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;