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Décisions

Cass. crim., 15 janvier 2020, n° 19-80.494

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Avocat :

SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot

Nouméa, du 13 nov. 2018

13 novembre 2018

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 2 novembre 2010, le procureur de la République a ouvert une information des chefs de prise illégale d'intérêt, recel et complicité de ce délit susceptibles d'avoir été commis dans le cadre d'une opération immobilière réalisée par M. G..., maire de la commune de Païta et les investigations ont révélé les faits suivants.

3. Le 25 juin 2007, les consorts G..., dont M. G..., ont signé un compromis de vente avec la société Nova ayant pour activité l'administration et la gestion locative de biens immobiliers, constituée le 9 mai précédent par MM. M... W..., I... M... et V... B..., ce dernier étant un proche de M. G..., en vue de céder à celle-ci les droits indivis leur appartenant sur le lot A 1 situé "Plaine dite de la gendarmerie", moyennant un prix de 250 000 000 FCFP (2 083 333 euros).

4. L'acte prévoyait un paiement en trois phases : un premier règlement, à hauteur de 15 000 000 FCFP (125 000 euros) au jour du compromis, un deuxième règlement de 15 000 000 FCFP dès l'obtention de l'autorisation par le juge des tutelles de vendre la part de Mme K... G..., propriétaire indivise et mère du prévenu, placée sous tutelle depuis 2005, le paiement du solde devant être effectué le jour de la réitération de l'acte, celle-ci devant intervenir avant le 25 juin 2009, la convention étant considérée comme nulle et non avenue en cas de non réalisation d'une de cette condition dans le délai de 24 mois.

5. Ce compromis a été assorti de deux clauses suspensives : d'une part, l'obtention dans un délai de 4 mois de la signature de l'acte d'un jugement autorisant Mme G... à vendre les droits lui appartenant sur le bien, d'autre part, l'obtention d'une autorisation de mise en valeur (permis de construire ou autre) délivrée et purgée de tout recours, portant sur I'édification sous quelque forme que ce soit d'un ensemble immobilier complexe, à usage mixte, habitation, commercial professionnel et tertiaire, d'une surface développée de 50 000 m² minimum de SHON.

6. Le 28 novembre 2008, le comité d'études du plan d'urbanisme directeur de Païta, chargé de valider l'avancement des études en cours préalables à l'élaboration du plan d'urbanisme directeur (PUD) de Païta, auquel a participé M. G... en sa qualité de maire, a examiné la modification du règlement des zones UA et AU, le zonage du littoral et la modification du règlement et a émis un avis favorable sur les points évoqués.

7. Deux documents d'urbanisme ont été annexés au compte-rendu de cette réunion : le premier faisant figurer le terrain litigieux en zone UB à la date du 20 juin 2006, le second le faisant figurer en zone UE à la date du 28 novembre 2008.

8. Le 22 décembre 2008, la société Nova a déposé auprès de la direction de l'économie, de la formation et de l'emploi une demande d'autorisation d'exploitation en vue de la création d'un centre commercial d'une surface de vente totale de 3 759 m2 incluant un supermarché à l'enseigne "Carrefour market".

9. L'enquête a révélé que le rapport du cabinet d'audit, chargé par les associés de la société Nova de mener l'étude d'impact et de potentiel de ce projet, relate la rencontre avec M. G... le 16 novembre 2007 et ses prises de position très favorables à l'opération.

10. Le 12 janvier 2009, la direction de l'économie, de la formation et de l'emploi a informé la société Nova que son projet de centre commercial était intégré dans un ensemble plus important comportant d'autres commerces pour lesquels la société SDA avait déposé une demande d'autorisation et que les deux demandes devaient faire l'objet d'un examen global.

11. Par ordonnances des 13 mars et 27 avril 2009, le juge des tutelles a autorisé Y... G..., tuteur de sa mère Mme K... G..., à vendre à l'amiable les droits indivis de celle-ci sur le lot A 1.

12. Par acte notarié du 11 juin 2009, les consorts G... ont vendu cette parcelle à la société Nova au prix convenu dans le compromis, payable, à concurrence de quarante millions de francs pacifique (40 000 000 FCFP) d'ores et déjà versés directement en dehors de la comptabilité de l'office notarial, à concurrence de 110 000 000 FCFP, le jour de la vente au moyen d'un prêt, le solde à terme au plus tard dans le délai de 12 mois à compter de l'acte de vente.

13. Pour ce faire, la société Nova a contracté auprès de la Banque Calédonienne d'Investissement (BCI) un emprunt d'un montant de 250 000 000 FCFP, immédiatement libéré à hauteur de 130 800 000 FCFP, le solde, soit 119 200 000 FCFP devant être versé dès réception de l'appel de fonds correspondant, le prêteur ayant la faculté d'ajourner ou de rejeter les demandes de versement de la partie non mobilisée du prêt.

14. Le 11 mars 2010, MM. W..., A... et B... ont cédé la totalité de leurs parts sociales dans la société Novéa à la société HDM Invest dont les dirigeants, M. E... S... et M. P... O..., sont devenus les gérants de la société Nova.

15. Le 8 avril 2010, la commission provinciale d'urbanisme commercial (CPUC) a émis un avis favorable sur la demande d'autorisation des sociétés Sopema et SCD visant à la création, à Païta, d'un centre commercial comprenant un hypermarché à l'enseigne Hyper U, projet porté par MM. S... et A....

16. M. G..., en sa qualité de maire, a pris part au vote et se serait montré très favorable au projet qui a bénéficié de l'accord unanime des membres de la CPUC.

17. Le 14 juin 2010, la BCI a procédé au déblocage du solde du prêt correspondant au dernier versement du prix de vente de la parcelle A1.

18. Le 27 mars 2017, le juge d'instruction a ordonné le renvoi, notamment, de M. G... devant le tribunal correctionnel pour avoir à Païta, entre le 1er juin 2007 et le 30 juin 2010, et notamment le 28 novembre 2008 et le 8 avril 2010, étant investi de plusieurs mandats électifs publics, en l'espèce maire de Païta, président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, pris, reçu ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont il avait, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance ou l'administration, en l'espèce en participant à la vente d'un terrain familial situé sur la commune dont il est le maire à la société Nova et en contribuant parallèlement à faire modifier le Plan d'Urbanisme Directeur (P.U.D) pour faire passer la parcelle en cause de la zone UB (habitat résidentiel) à la zone UE (équipements et commerces) et à faire délivrer une autorisation de la province.

19. Par jugement du 20 octobre 2017, le tribunal correctionnel de Nouméa a déclaré le prévenu coupable du délit de prise illégale d'intérêt et l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis, à 5 000 000 FCFP d'amende et à deux ans d'inéligibilité.

20. Le prévenu et le ministère public ont interjeté appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Exposé du moyen

21. Le premier moyen est pris de la violation des articles 432-12 et 432-17 du code pénal, ensemble de l'article 591du code de procédure pénale.

22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé le prévenu du chef de prise illégale d'intérêt :

1°) alors que le fait, pour le prévenu, de participer, directement ou indirectement, même sans prise de décision sur le zonage du terrain familial, le 28 novembre 2008 en sa qualité de maire de Païta et alors que son terrain n'était pas encore vendu, à un comité technique ayant pour objet de valider l'avancement des études en cours préalable à l'élaboration du Plan d'Urbanisme Directeur (PUD) de la commune ou de préparer des décisions futures dans lequel il disposera à terme d'un intérêt, suffit à caractériser une situation de conflit d'intérêt ;

2°) alors qu'en participant à la commission provinciale commerciale d'urbanisme du 8 avril 2010 alors même qu'il n'était plus propriétaire du terrain depuis le 11 j u in 2009, M. R... G... conservait un intérêt direct dans l'opération, en l'espèce le versement du solde du prix de 100 millions de francs CFP qui demeurait soumis à l'implantation du complexe commercial sur le terrain cédé.

Réponse de la Cour

Vu l'article 432-12 du code pénal

23. Il se déduit de ces dispositions que le délit de prise illégale d'intérêts est consommé dès lors que le prévenu a pris directement ou indirectement un intérêt dans une entreprise ou dans une opération dont il avait, au moment de l'acte, la surveillance ou l'administration, celles-ci se réduiraient-elles au simple pouvoir d'émettre un avis en vue de décisions prises par d'autres.

24. Pour faire droit aux conclusions du prévenu invoquant l'absence d'intérêt pris dans la réunion du 28 novembre 2008 et relaxer M. G... du chef de prise illégale d'intérêt, l'arrêt attaqué relève que le 28 novembre 2008, l'intéressé a participé, en sa qualité de maire, à un comité d'études ayant pour objet de valider l'avancement des études en cours préalables à l'élaboration du PUD de la commune de Païta et qu'a été examinée la modification du règlement des zones UA et AU.

25. Les juges ajoutent que selon mentions du compte-rendu de réunion établi par le responsable du bureau de l'urbanisme, le comité a émis un « avis favorable sur l'ensemble » de ces points, qu'ont été annexés à ce compte rendu deux documents d'urbanisme, le premier faisant figurer le terrain litigieux en zone UB à la date du 20 juin 2006, le second en zone UE à la date du 28 novembre 2008 et qu'il ne résulte nullement dudit compte-rendu que le comité avait été consulté sur une modification du zonage de certains terrains et pris une quelconque décision sur ce point.

26. L'arrêt énonce qu'en l'état de ces seuls éléments, il n'est pas démontré que M. G... avait pris position sur une modification du classement de la zone dont dépendait le terrain familial, le comité d'études n'ayant pas compétence pour modifier le PUD, et que sa participation au comité d'études du 28 novembre 2008 n'est pas constitutive d'une prise illégale d'intérêts.

27. En se déterminant ainsi, alors que le comité d'études réuni le 28 novembre 2008 avait pour objet de valider l'avancement des études en cours préalables à l'élaboration du PUD de la commune de Païta et qu'était annexé au compte rendu de cette réunion, notamment, un document daté du 28 novembre 2008 faisant figurer le lot A1 dont M. G... était encore propriétaire indivis, en zone UE, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

28. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Sur le second moyen

Exposé du moyen

29. Le second moyen est pris de la violation des articles 432-12 et 432-17 du code pénal, ensemble de l'article 593 du code de procédure pénale.

30. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a prononcé la relaxe de M. G... alors que le contrat de prêt avait reconnu à la banque BCI le droit d'ajourner et même de rejeter définitivement toute demande de versement de la partie non mobilisée du prêt soit la somme de 119 200 000 F CFP (993 333 euros) représentant le solde du prix de vente dû par les emprunteurs au vendeur si la valeur du terrain remis en garantie diminuait dans les conditions prévues par les articles 1188 et suivants du Code civil.

Réponse de la Cour

Vu l'article 593 du code de procédure pénale

31. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

32. Pour faire droit aux conclusions du prévenu invoquant l'absence d'intérêt pris dans la réunion de la commission provinciale d'urbanisme commercial du 8 avril 2010 et relaxer M. G... du chef de prise illégale d'intérêt, les juges relèvent qu'il a participé, en sa qualité de maire de Païta, à cette réunion au cours de laquelle un avis favorable a été donné à la demande d'autorisation présentée par les sociétés Sopema et SCD dont le projet devait être développé sur le lot A1, qu'à cette date, le terrain familial était vendu depuis le 11 juin 2009 à la société Nova et que la vente était parfaite depuis cette date.



33. Les juges ajoutent que dès le 10 juin 2010, la société Nova était tenue de régler le solde du prix du terrain, qu'aucune des conditions suspensives de l'acte de vente ne visait l'obtention d'un permis de construire et que si les consorts G... n'avaient pas encore été réglés de l'intégralité du prix de vente lorsque la commission provinciale d'urbanisme commercial s'est réunie, le versement du solde du prix entre les mains du notaire chargé de la vente n'était pas subordonné à la réalisation de la moindre condition, la banque devant verser les fonds dès la réception de l'appel de fonds émis par le notaire.

34. La cour d'appel énonce que l'obligation qui pesait sur la banque de libérer la partie non mobilisée du prêt à l'échéance convenue n'était pas susceptible d'être affectée par l'avis de la commission provinciale d'urbanisme commercial et la décision ultérieure du président de la province sud et qu'il en résulte que M. G... n'avait plus aucun intérêt matériel dans l'opération d'urbanisme examinée le 8 avril 2010 puisqu'il n'était plus propriétaire indivis du terrain litigieux à cette date et que le paiement du solde du prix à l'échéance convenu ne dépendait pas de l'obtention d'un permis de construire.

35. En prononçant ainsi, alors qu'il résulte des constatations de l'arrêt que, d'une part, le prévenu, en sa qualité de maire, a participé à la délibération d'une commission chargée de se prononcer sur un projet de création de centre commercial sur une parcelle qu'il avait préalablement vendue à cette fin, d'autre part, le contrat de prêt consenti à l'acquéreur stipule expressément que le versement de la partie non mobilisée du prêt est conditionné à la réalisation du projet et à l'évolution de la valeur de ladite parcelle, lesquelles dépendent, notamment, de la décision de l'organe susvisé, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs insuffisants et contradictoires, n'a pas justifié sa décision.

36. La cassation est à nouveau encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Nouméa, en date du 13 novembre 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de NOUMEA, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nouméa et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;