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Décisions

Cass. 2e civ., 1 juillet 2021, n° 20-12.303

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pireyre

Avocats :

SCP Delamarre et Jehannin, SCP de Nervo et Poupet

Lyon, du 19 nov. 2019

19 novembre 2019

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Lyon, 19 novembre 2019), rendu en dernier ressort, Mme [P] a saisi un tribunal d'instance par déclaration au greffe du 27 juin 2018, de diverses demandes en paiement, d'un montant total inférieur à 4.000 euros, dirigées contre la société Lascer - Les Déménageurs bretons (la société Lascer).

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d'office

2. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 446-1, alinéa 1er, du code de procédure civile :

3. Selon ce texte, régissant la procédure orale, les parties présentent oralement à l'audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien et peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu'elles auraient formulés par écrit.

4. En l'absence de formalisme particulier pour se référer à des écritures, satisfait aux prévisions de ce texte, la partie qui, hors le cas d'un refus opposé par le tribunal, dépose un dossier comportant ses écritures au cours d'une audience des débats à laquelle elle est présente ou représentée.

5. Pour rejeter toutes les demandes formulées par écrit par Mme [P], le jugement retient qu'en vertu de cet article 446-1, devant le tribunal d"instance la procédure est orale et que l'oralité de la procédure impose à la partie de comparaître ou de se faire représenter pour formuler valablement ses prétentions et les justifier, que de nombreuses demandes de renvois ont été formulées et accordées par le tribunal qui, le 20 septembre 2019, n'a pu que constater qu'il était opéré un dépôt de dossier, que dès lors les demandes formulées par écrit par Mme [P], mais non soutenues oralement, seront déclarées irrecevables.

6. En statuant ainsi, alors qu'il constatait que les parties avaient déposé à l'audience des dossiers contenant leurs écritures respectives, le tribunal a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

7. Mme [P] fait le même grief au jugement, alors « qu'à peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, la saisine du tribunal d'instance par déclaration au greffe doit être précédée d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf (...) 2° Si les parties justifient d'autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ; qu'en jugeant que Mme [P] n'aurait pas justifié de diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable au litige sans expliquer en quoi n'auraient pas constitué de telles diligences le fait, démontré au moyen des pièces versées aux débats, pour Mme [P] d'avoir entamé une négociation amiable avec la société Lascer, qui aux termes de plusieurs échanges, entre le 7 août 2017 et le 18 janvier 2018, lui avait proposé un montant d'indemnisation, de 300, puis de 400 euros, qu'elle a jugé partiellement insuffisant, et à la suite de ce désaccord d'avoir sollicité le médiateur de la consommation désigné par le contrat, qui lui avait répondu ne pas pouvoir intervenir dans la mesure où la société Lascer n'avait pas adhéré à ses services, à la suite de quoi, cette dernière ne lui avait plus répondu, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, en sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 :

8. Aux termes de ce texte, à peine d'irrecevabilité, que le juge peut prononcer d'office, la saisine du tribunal d'instance par déclaration au greffe doit être précédée d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf :
1° Si l'une des parties au moins sollicite l'homologation d'un accord ;
2° Si les parties justifient d'autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ;
3° Si l'absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime.

9. Pour rejeter toutes les demandes formulées par écrit par Mme [P], le jugement retient encore que, les dispositions de l'article 4 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, entrée en vigueur le 19 novembre 2016, font obligation au demandeur de solliciter une tentative de conciliation, qu'en l'espèce, Mme [P] opère un dépôt de dossier qui ne contient pas la preuve d'un respect du formalisme requis, que le moyen noté dans ses écritures, de ce qu'elle aurait été empêchée de recourir à un médiateur par le comportement de son contradicteur, étant inopérant sur le respect de cette obligation légale opposable à toute saisine du tribunal réalisée par voie de déclaration au greffe, la demanderesse ne faisant état, dans ses écritures, que d'un « médiateur de la consommation », qu'en conséquence, il appert que les demandes formulées par Mme [P], par déclaration au greffe, sans justification de diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, sont irrecevables.

10. En se déterminant ainsi, sans répondre aux écritures de Mme [P], qui faisait valoir et offrait de prouver diverses tentatives de résolutions amiables, le tribunal d'instance n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 19 novembre 2019, entre les parties, par le tribunal d'instance de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Lyon.

Condamne la société Lascer - Les Déménageurs bretons aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lascer - Les Déménageurs bretons et la condamne à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille vingt et un, et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des article 452 et 456 du code de procédure civile.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour Mme [P]

Il est fait grief au jugement attaqué d'avoir constaté l'absence de formulation orale par Madame [A] [F] [P] de ses demandes, et de leur motivation, alors qu'elle est demandeur à l'instance et en conséquence d'avoir rejeté « toutes les demandes formulées, que par écrit, par Madame [A] [F] [P] » ;

AUX MOTIFS QUE : « De la recevabilité,

Sur l'oralité de la procédure

qu'en vertu de l'article 446-1 du code de procédure civile, la procédure devant le tribunal d'instance est orale et l'oralité de la procédure impose à la partie de comparaître ou de se faire représenter pour formuler valablement ses prétentions et les justifier ; que de nombreuses demandes de renvois ont été formulées et accordées par le tribunal qui, le 20 septembre 2019, n'a pu que constater qu'il était opéré un dépôt de dossier ; que dès lors les demandes formulées par écrit par Mme [A] [P], mais non soutenues oralement, seront déclarées irrecevables ;
Sur la tentative préalable de conciliation
qu'il sera relevé, à titre superfétatoire, que, les dispositions de l'article 4 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle, entrée en vigueur le 19 novembre 2016, font obligation au demandeur de solliciter une tentative de conciliation , en ces termes : « à peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, la saisine du tribunal d'instance par déclaration au greffe doit être précédée d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf :
1° Si l'une des parties au moins sollicite l'homologation d'un accord ;
2° Si les parties justifient d'autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ;
3° Si l'absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime » ;
qu'en l'espèce, Madame [A] [P] opère un dépôt de dossier qui ne contient pas la preuve d'avoir respecté le formalisme ci-dessus exposé ; que le moyen noté dans ses écritures, de ce qu'elle aurait été empêchée de recourir à un médiateur par le comportement de son contradicteur, étant inopérant sur le respect de cette obligation légale opposable à toute saisine du tribunal réalisée par voie de déclaration au greffe, la demanderesse ne parlant dans ses écritures que d'un « médiateur de la consommation » ; qu'en conséquence, là encore, il appert que les demandes de condamnation formulées par Madame [P], par déclaration au greffe, qui ne justifie de diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, sont irrecevables » ;

1°/ ALORS QUE la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour accéder au juge vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique ; que les intéressés doivent pouvoir s'attendre à ce que ces règles soient appliquées ; que la pratique adoptée par les avocats lyonnais, en concertation avec les tribunaux d'instance de Lyon et Villeurbanne et les juridictions de proximité, autorise les avocats lyonnais à faire déposer à l'audience un dossier par un avocat exerçant la fonction de bureau commun et à ne se déplacer pour comparaître devant le juge qu'à la demande de celui-ci ; qu'en déclarant irrecevables les demandes formées par Mme [P] en retenant qu'elles étaient seulement formulées par écrit, dans le dossier déposé à l'audience, mais non soutenues oralement, le tribunal a méconnu l'espérance légitime de la demanderesse de voir ses demandes examinées dès lors qu'elles étaient formulées dans un dossier déposé devant le juge et que celui-ci n'avait pas ordonné que la demanderesse ou son avocat se présentent devant lui, en violation des articles 446-1 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

2°/ ALORS QUE viole le principe du contradictoire le juge qui oppose à une partie l'irrecevabilité de sa demande sans que celle-ci ne soit à même d'y répondre ; qu'en retenant l'irrecevabilité des demandes - puis en les rejetant - sans permettre à Mme [P] de s'expliquer sur l'irrecevabilité qu'il entendait déduire du fait que ces demandes avaient été formulées dans un dossier déposé lors de l'audience par l'avocat exerçant la fonction de bureau commun, le tribunal a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

3°/ ALORS QU'à peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, la saisine du tribunal d'instance par déclaration au greffe doit être précédée d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf (...) 2° Si les parties justifient d'autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ; qu'en jugeant que l'échec du recours au médiateur de la consommation visé par le contrat conclu entre les parties - en raison de l'absence d'adhésion du professionnel aux services de ce médiateur - serait inopérant, celui-ci n'étant pas un « conciliateur de justice », le tribunal a violé l'article 4 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 ;

4°/ ALORS QU'à peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, la saisine du tribunal d'instance par déclaration au greffe doit être précédée d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf (...) 2° Si les parties justifient d'autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ; qu'en jugeant que Mme [P] n'aurait pas justifié de diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable au litige sans expliquer en quoi n'auraient pas constitué de telles diligences le fait, démontré au moyen des pièces versées aux débats, pour Mme [P] d'avoir entamé une négociation amiable avec la société Lascer, qui aux termes de plusieurs échanges, entre le 7 août 2017 et le 18 janvier 2018, lui avait proposé un montant d'indemnisation, de 300, puis de 400 euros, qu'elle a jugé partiellement insuffisant, et à la suite de ce désaccord d'avoir sollicité le médiateur de la consommation désigné par le contrat, qui lui avait répondu ne pas pouvoir intervenir dans la mesure où la société Lascer n'avait pas adhéré à ses services, à la suite de quoi, cette dernière ne lui avait plus répondu, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article 4 de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016, en sa rédaction applicable au litige ;

5°/ ALORS QUE le juge, qui décide que la demande dont il est saisi est irrecevable, excède ses pouvoirs en statuant au fond ; qu'en rejetant les demandes formulées par Mme [P], après avoir retenu, dans ses motifs, qu'elles étaient irrecevables pour deux raisons, le tribunal a excédé ses pouvoirs, en violation de l'article 122 du code de procédure civile.