Cass. crim., 9 février 2011, n° 10-82.988
COUR DE CASSATION
Arrêt
Autre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Avocat :
SCP Ortscheidt
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 432-12 du code pénal, 6, § 1 c de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif a déclaré M. X... coupable de prise illégale d'intérêts et l'a condamné pénalement ;
"aux motifs qu'il résulte de l'examen des extraits de délibérations de la commission permanente du conseil général qu'à plusieurs reprises M. X... a assisté aux séances au cours desquelles des subventions ont été attribuées à l'association dont il était un membre important ; qu'avant de revenir sur ses déclarations devant le juge d'instruction, le prévenu a dans un premier temps reconnu avoir assisté à ces délibérations, que sa présence lors de ces séances a, été au surplus attestée par divers conseillers généraux ; que la participation, serait-elle exclusive de tout vote, d'un conseiller d'une collectivité territoriale à un organe délibérant de celle-ci, lorsque la délibération porte sur une affaire dans laquelle il a un intérêt, vaut surveillance ou administration à l'opération au sens de l'article 432-12 du code pénal ; qu'il est notamment établi que M. X... a eu l'idée de débroussailler le tronçon de voie ferrée Mauriac-Nieudan, alors qu'il a participé à la commission permanente du 25 janvier 2002 qui a attribué en vue de cette opération de débroussaillage une subvention à Passocation dont il était membre ; qu'il a également participé à la commission permanente du 31 mai 2002 qui a mis ce tronçon à disposition de la SARL Montfaur gérée par son épouse, entreprise dans laquelle il avait un intérêt patrimonial évident ; qu'il a en outre soutenu en sa qualité de vice-président du conseil général une demande de subvention au profit de cette SARL ; que M. X... est également intervenu en amont de la commission permanente, en sa qualité de président de la commission tourisme du conseil général ; que, s'il s'est employé à minimiser les attributions de cette commission, il résulte des éléments recueillis au cours de l'information, et énoncés plus haut, que l'objet de cette instance était bien d'instruire les dossiers de demande de subventions, avant de les présenter, assortis de son avis, à la commission permanente ; que donc M. X... s'est fortement impliqué dans le processus décisionnel concernant une entreprise dans laquelle il était intéressé ; que ses fonctions électives étaient de nature à favoriser le succès de l'entreprise potentiellement lucrative gérée par son épouse ; qu'à plusieurs reprises il est d'ailleurs intervenu devant les instances du conseil général pour défendre les intérêts de l'activité de Vélorail et même vanter le professionnalisme de la SARL Montfaur ; qu'en agissant ainsi il a délibérément entretenu une confusion, prohibée par la loi, entre ses fonctions électives et ses responsabilités associatives ou intérêts privés, de sorte que l'intention coupable du délit de prise illégale, d'intérêts est en l'espèce caractérisée ;
"aux motifs adoptés qu' il ressort des éléments recueillis dans le cadre de l'enquête et détaillés précédemment sur les conditions dans lesquelles les subventions étaient adoptées et attribuées par le conseil général que M. X... a pris une part active dans le processus décisionnel, notamment en sa qualité de vice-président de la commission du tourisme qui était amenée à émettre son avis sur les demandes de subvention ; que cette participation est constitutive de l'élément matériel de l'infraction de prise illégale d'intérêts et n'a pu qu'influencer les élus de cette instance, alors de surcroît que plusieurs personnes exposent qu'il n'y avait pas réellement de vote et que les subventions étaient déclarées accordées s'il n'y avait pas d'opposition ; que les contradictions dans les dénégations du prévenu sur sa présence aux délibérations sans participer au vote, puis sur ses sorties systématiques mais jamais signalées ni mentionnées sauf pour l'attribution d'une subvention à la société Montfaur et au financement du contrôle des ouvrages d'art, ainsi que ses affirmations sur le fait que la commission de tourisme qu'il présidait n'aurait eu en réalité absolument aucun rôle dans ces attributions apparaissent peu crédibles rapportées aux autres témoignages évoquant ses interventions multiples pour défendre les intérêts de l'activité Vélorail ou vanter le professionnalisme de la SARL Montfaur ; qu'il est par ailleurs établi par les auditions des témoins concernés et non réellement contestées, que c'est bien M. X... qui a eu l'idée de débroussailler le tronçon de voie ferrée Mauriac-Nieudan alors qu'il a participé à la commission permanente du 25 janvier 2002 qui a attribué une subvention pour ce faire à une association dont il était membre ; que le prévenu a également participé à la commission permanente du 31 mai 2002 qui a décidé d'allouer ce tronçon désormais utilisable grâce, au débroussaillage réalisé, à la SARL Montfaur dans laquelle il était intéressé puisque son épouse en était la gérante salariée qui a perçu à ce titre 12 000 euros de salaires sur quelques mois d'activité avant le dépôt de bilan de la société ; que ce fait est également incontestablement constitutif d'une prise illégale d'intérêt puisqu'il avantageait une structure privée dans laquelle M. X... avait donc un intérêt patrimonial évident via son épouse, intérêt qui aurait pu se révéler très important si l'activité de la société avait prospéré ; que de même, l'ensemble des éléments recueillis au cours de l'enquête et notamment la proximité des dates des différentes opérations successives menées sous l'impulsion des époux X..., qui ont abouti au transfert de l'activité du vélorail depuis l'association initiale d'Allanche jusqu'à la société commerciale gérée par Mme X... à Landeyrat, dans un local loué par une SCI dont M. X... était membre comme elle, témoigne du fait que ce processus relevait bien d'un projet porté par les deux prévenus et rendu possible par les fonctions électives de M. X... qui lui permettait de favoriser le succès de cette entreprise potentiellement lucrative ; que si ce projet pouvait également s'expliquer par la forte implication de M. X... dans l'activité Vélorail qui s'avérait certainement très valorisante pour le vice-président du conseil général du Cantal ainsi que le Président de la commission tourisme de ce département qu'il était ainsi que par la tension réelle qui existait entre la nouvelle municipalité d'Allanche et les acteurs principaux de l'activité, cette situation ne pouvait que l'inciter à prendre soin d'éviter tout amalgame ou mélange de ses différentes fonctions électives et responsabilités associatives ou intérêts privés ; qu'il ressort, au contraire, notamment du procès-verbal d'assemblée générale de l'association "Voile, Rail, Patrimoine" du 28 mars 2003 dont il était président, que ses fonctions étaient de toute évidence sciemment mises en lien voire confondues ; que l'intention coupable de M. X... apparaît en l'occurrence caractérisée par l'obligation fondamentale qu'il avait, en qualité d'élu, de veiller à ne pas participer à quelque stade que ce soit, au processus décisionnel concernant les entités dans lesquelles il était intéressé ;
"1°) alors que qu'il n'y a ni crime ni délit sans intention de le commettre ; qu'en retenant que le constat purement matériel de la participation de M. X..., à quelque stade que ce soit, au processus décisionnel concernant les entités dans lesquelles il était intéressé suffisait à caractériser l'élément moral du délit de prise illégale d'intérêts, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"2°) alors que le délit de prise illégal d'intérêt suppose qu'il soit établi que l'élu prenne ou conserve, au moment de l'acte relevant de sa fonction, un intérêt dans l'entreprise ou l'opération qu'il est chargé de surveiller ou d'administrer ; que cet intérêt doit être matériel ; qu'en déclarant l'élément matériel de l'infraction constitué par la seule présence de M. X... aux séances de la commission permanente du conseil général du Cantal ayant alloué des subventions à l'association le Vélorail du Cézallier, dont il était membre de droit, puis à la SARL Montfaur, cogérée par son épouse, sans constater la nature de l'intérêt qu'il avait pris dans ces opérations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
"3°) alors que la participation d'un élu à un organe délibérant d'une collectivité territoriale, exclusive de tout vote, réduite à la préparation et à la proposition d'une délibération ne constitue pas, lorsque la délibération porte sur une affaire dans laquelle il a un intérêt, l'élément matériel du délit visé à l'article 432-1 du code pénal ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"4°) alors que l'intérêt de l'élu dans l'opération ne peut se déduire de la seule existence de liens familiaux entre ce dernier et le bénéficiaire de l'avantage ; qu'en retenant M. X... dans les liens de la prévention en raison de l'attribution de subventions à la société Montfaur, cogérée par son épouse, sans relever l'intérêt matériel de ce dernier à l'opération, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 121-6, 121-7, 321-1 et 432-12 du code pénal, 388 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt confirmatif a déclaré Mme X... coupable de recel de biens provenant de l'infraction de prise illégale d'intérêts imputée à M. X... et l'a condamnée pénalement ;
"aux motifs qu'il ressort des éléments recueillis au cours de l'information qu'une subvention de 17 800 euros a été attribuée par délibération du conseil général du 26 avril 2002 à la SARL Montfaur trois jours après son immatriculation ; que si M. X... n'a pas participé à cette délibération, il présidait la commission tourisme ayant donné son avis sur l'attribution de cette subvention ; qu'il a en outre, ainsi qu'il a été indiqué plus haut, eu l'idée de débroussailler le tronçon de voie ferrée Mauriac-Nieudan, et qu'il a participé à la commission permanente du 31 mai 2002 qui a mis ce tronçon à disposition de la SARL Montfaur ; que le recel étant une infraction continue, le délai de prescription ne commence à courir que du jour où la détention des fonds recélés a pris fin, le délit demeurant punissable dès lors qu'il n'est pas établi que cette détention ait cessé ; qu'en l'espèce les faits de recel reprochés à Mme X... au titre des années 2002 et 2003 sont donc également constitués du fait de l'octroi, en 2000 et 2001, de subventions à l'association Vélorail du Cézallier dont elle était la présidente, à l'issue de délibérations de la commission permanente du conseil général auxquelles participait son époux ; que devant le juge d'instruction Mme X... a fait étal de façon réitérée de sa méconnaissance, tant du fonctionnement de l'association puis de la société qu'elle dirigeait, que de la procédure d'obtention de subventions ; qu'ainsi que l'a souligné le tribunal, elle ne pouvait de ce fait ignorer le rôle non négligeable joué par son époux dans l'attribution de subventions ou d'avantages dans l'association puis la société dont elle était présidente, ou gérante ;
"1°) alors que le recel résultant du fait de détenir des biens provenant d'un délit, la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation relatif à l'infraction de prise illégale d'intérêts imputée à M. X..., auteur principal, entraînera par voie de conséquence celle de l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme X... coupable de recel de l'infraction principale et l'a condamnée pénalement ;
"2°) alors que le recel ne peut être constitué pour des faits non visées à la prévention relative à l'infraction principale ; qu'il résulte de la prévention que M. X... n'a pas été poursuivi pour des faits de prise illégale d'intérêts commis au cours de l'année 2000 ; qu'en déclarant Mme X... coupable de recel de prise illégale d'intérêts pour des subventions octroyées au cours de l'année 2000, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"3°) alors que les juges répressifs sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions du prévenu ; qu'en délaissant le moyen de Mme X..., tiré de ce que l'octroi de la subvention litigieuse à la société Montfaur par délibération du conseil général du Cantal le 26 avril 2002, résultait d'une demande faite en bonne et due forme et que visant l'acquisition d'équipements touristiques, elle lui aurait été en tout état de cause octroyée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes visés au moyen" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupable ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Mais sur le moyen d'annulation, pris de la violation des articles 6 et 593 du code de procédure pénale et 112-1 du code pénal, perte de fondement juridique ;
"en ce que l'arrêt attaqué a fixé la durée de la peine accessoire d'inéligibilité prévue à l'article L. 7 du code électoral prononcée à l'encontre de M. X... à une année ;
"alors que la peine accessoire d'inéligibilité visée, à l'article L. 7 du code électoral, ayant été abrogée par décision du Conseil constitutionnel (Décision n°2010-6/7 QPC), du 11 juin 2010, la condamnation prononcée par la cour d'appel, sur le fondement du texte abrogé est privée de fondement juridique" ;
Vu les articles 61-1 et 62 de la Constitution ;
Attendu qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 précité est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ;
Attendu, qu'après avoir déclaré M. X... coupable de prise illégale d'intérêts, l'arrêt fixe à un an la durée pendant laquelle le prévenu ne doit pas être inscrit sur les listes électorales, en application de l'article L. 7 précité ;
Mais attendu que cet article a été déclaré contraire à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 11 juin 2010, prenant effet à la date de sa publication au journal officiel de la République française le 12 juin 2010 ;
D'où il suit que l'annulation est encourue ;
Par ces motifs :
ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Riom, en date du 8 avril 2010, en ses seules dispositions relatives à l'article L. 7 du code électoral, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Riom et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;