CA Angers, ch. com., 10 septembre 2001, n° 00/00529
ANGERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Graphibus (SA), Voyages Cordier (SA), Baudin Voyages (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Guillanton
Conseiller :
M. Mocaer
Avoués :
SCP Chatteleyn et George, Me Vicart, SCP Dufourgburg-Guillot, SCP Gontier-Langlois
Avocats :
Me Mazingue, Me Fouquet, Me de Plater, Me Tuffreau
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La SA GRAPHIBUS conçoit et réalise la décoration des autocars que Joseph X... a, à plusieurs reprises, reproduit à la demande des propriétaires de ces utocars, tels que la SA CORDIER, la SA GRIMAULT, la SA AUDOUARD et la SA SOCIETE COMPAGNIE DES AUTOCARS DE L'ANJOU , la SARL SOCIETE BAUDIN VOYAGES et la SARL SOCIETE BENATRE VOYAGES.
La SA GRAPHIBUS a fait procéder à une saisie de contrefaçon et saisi le Tribunal de commerce d'ANGERS et est appelante du jugement qui a condamné Joseph X... à lui payer la somme de 50 000 F au titre de la contrefaçon, l'a déboutée de ses demandes au titre de la concurrence déloyale, l'a déboutée de toutes ses demandes à l'égard de la SA CORDIER, la SA GRIMAULT, la SA AUDOUARD et la SA SOCIETE COMPAGNIE DES AUTOCARS DE L'ANJOU , la SARL SOCIETE BAUDIN VOYAGES et la SARL SOCIETE BENATRE VOYAGES, a condamné Joseph X... à lui payer la somme de 5000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, a rejeté les demandes de la SARL SOCIETE BAUDIN VOYAGES à l'encontre de Joseph X... a rejeté les demandes de celle-ci à titre de dommages et intérêts, déclaré sans objet les appels en garantie, rejeté les demandes reconventionnelles, et condamné la SA GRAPHIBUS à payer à la SARL SOCIETE BAUDIN VOYAGES la somme de 5 000 F et à la SA CORDIER, la SA GRIMAULT, la SA AUDOUARD et la SA SOCIETE COMPAGNIE DES AUTOCARS DE L'ANJOU, chacun, celle de 1 500 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Elle demande à la Cour de dire Joseph X..., la SARL SOCIETE BAUDIN VOYAGES, la SA CORDIER, la SA GRIMAULT, la SA AUDOUARD et la SA SOCIETE COMPAGNIE DES AUTOCARS DE L'ANJOU et la SARL SOCIETE BENATRE VOYAGES coupables de contrefaçon, leur faire défense de reproduire ses dessins, d'ordonner leur suppression de tout support sous astreinte, de condamner Joseph X..., la SARL SOCIETE BAUDIN VOYAGES, la SA CORDIER, la SA GRIMAULT, la SA AUDOUARD et la SA SOCIETE COMPAGNIE DES AUTOCARS DE L'ANJOU et la SARL SOCIETE BENATRE VOYAGES à lui payer la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte portée à son droit d'auteur, de condamner Joseph X... à lui payer la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et des agissements de concurrence déloyale et d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir.
Joseph X... se porte appelant incident demandant à la Cour de le décharger de toute condamnation et subsidiairement d'en réduire le montant et de condamner les autres intimés à l'en garantir.
La SARL SOCIETE BAUDIN VOYAGES conclut à la confirmation du jugement déféré et demande à la Cour de condamner Joseph X... à lui payer la somme de 10
000 F à titre de dommages et intérêts et La SA GRAPHIBUS la somme de 100
000F à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice commercial et moral que lui cause son appel abusif. - 4 -
La SA CORDIER, la SA GRIMAULT, la SA AUDOUARD et la SA SOCIETE COMPAGNIE DES AUTOCARS DE L'ANJOU concluent à la confirmation du jugement déféré.
Chacune des parties forme une demande au titre de l'article 700 du
N.C.P.C. MOTIFS Sur la contrefaçon
La SA GRAPHIBUS présente son activité de la manière suivante (ses conclusions page 2 ) : elle conçoit et crée pour ses clients, autocaristes ou collectivités locales traitant avec des autocaristes, un graphique sur des plans de découpe, dans un premier temps, puis reproduit elle-même sur les autocars qui lui sont confiés, l'image qu'elle vient de concevoir : Il s'agit donc d'une prestation complète qui comprend conception, création, exécution .
Plusieurs de ses clients ont demandé ensuite à Joseph X..., carrossier, de reproduire, sur d'autres autocars, le graphisme conçu par la SA GRAPHIBUS, ce que celui-ci a fait, y ajoutant sa signature. La SA GRAPHIBUS l'accuse de contrefaçon et de concurrence déloyale, ce dont il se défend en soutenant qu'elle avait cédé son droit de reproduction à ses clients ce que celle-ci conteste.
Les dessins, graphismes et découpes de la SA GRAPHIBUS, qui entrent dans la phase de conception qu'elle a elle-même décrit, constituent des oeuvres de l'esprit, tels que définis par le Code de la propriété intellectuelle, ce qu'aucun des intimés ne conteste, et sont sa propriété. L'article L. 122 -7 de ce code en permet la cession totale du droit de reproduction, et la preuve d'une telle cession peut se faire par tout moyen en matière commerciale.
Les conditions générales de vente de la SA GRAPHIBUS excluent en leur article 8 une telle cession et rappellent au contraire que la SA GRAPHIBUS conserve la propriété intellectuelle et artistique et l'exclusivité de ses droits de reproduction et de représentation. Cette clause est très lisible, contrairement à ce que prétend Joseph X..., et sa teneur est rappelée sur les plans remis par la SA GRAPHIBUS à ses clients.
Mais les conditions particulières, même implicites, du contrat, peuvent déroger aux conditions générales : si la vente porte sur la
maquette, c'est-à-dire le projet conçu par GRAPHIBUS et que celle-ci a su distinguer de sa réalisation, et puisqu'il est évident que le but de l'acquéreur est de la reproduire sur ses autocars, le droit de reproduction est nécessairement cédé car s'il n'en était pas ainsi l'acquéreur ne pourrait faire aucun usage du bien acquis. La destination du produit vendu est en effet sa reproduction, ce que la SA GRAPHIBUS ne peut ignorer puisqu'elle propose aussi de la réaliser, mais sans l'imposer, certains contrats comprenant la prestation complète qu'elle décrit, tandis que d'autres ne comprennent que la vente du projet. - 5 -
La seule finalité du bien vendu, souvent appelé graphisme ou image dans les factures, a donc pour seule finalité d'être reproduit sur les autocars, à la fois ceux que le client possède au moment du contrat et sur ceux dont il fera l'acquisition par la suite, si le client est un autocariste. C'est ainsi que le 3 septembre 1990 la SARL SOCIETE BAUDIN VOYAGES a acheté pour 14
232 F la maquette et la réalisation d'une découpe sur bus, c'est-à-dire un projet graphique destiné à être reproduit et le droit de reproduction est nécessairement inclus dans la vente, malgré les dispositions contraires de celle-ci.
Quant aux SA CORDIER, GRIMAULT, AUDOUARD et SOCIETE COMPAGNIE DES AUTOCARS DE L'ANJOU , il s'agit d'autocaristes qui se sont vus confier par le Département du Maine-et-Loire, dans le cadre d'une délégation de service public, le transport de voyageurs et la convention prévoit que tous les bus doivent porter les couleurs et dessins de la maquette conçue par la SA GRAPHIBUS dont le Département du Maine-et-Loire soutient être devenu propriétaire (lettres du directeur des transports des 21 mars et du 21 septembre 1991 ) à la suite du paiement de la facture de la SA GRAPHIBUS ainsi rédigée :
Création de la découpe ANJOU BUS .
La SA GRAPHIBUS écrivait au Conseil général du Maine-et-Loire le 7 janvier 1991 pour regretter la mauvaise qualité de la reproduction de sa maquette par Joseph X... et insistait non sur la contrefaçon mais sur le droit moral de l'auteur au respect de son oeuvre.
La SA GRAPHIBUS a conçu, puis vendu la maquette au Département du Maine-et-Loire, alors que la seule utilité pour le Département était de la faire reproduire sur les autocars assurant les liaisons régulières dans le département, ce que la SA GRAPHIBUS ne pouvait ignorer et qui était la seule destination possible de la maquette et ce droit était donc compris dans la vente, ce que sa lettre du 07 / 01 / 1991 démontre. Les autocaristes concernés ont confié ce travail soit à la SA GRAPHIBUS ( Voyage GRIMAULT selon facture du 31 / 08 / 1990 ), soit à Joseph X..., ce qui explique sa lettre précitée. La SA GRAPHIBUS ayant cédé son droit de reproduction conserve son droit moral sur son oeuvre et peut veiller à ce que la reproduction ne la dénature pas, comme elle le peut aussi légitimement veiller à ce que le copiste ne tente pas de s'approprier l'oeuvre, ce que Joseph X... a fait en y apposant sa signature. Il convient en effet de distinguer le droit de reproduction cédé avec la maquette, du droit moral de l'auteur qui est incessible.
La SA GRAPHIBUS sera donc déboutée de se demande à l'égard des autocaristes ( la SARL SOCIETE BAUDIN VOYAGES, la SA CORDIER, la SA GRIMAULT, la SA AUDOUARD et la SA SOCIETE COMPAGNIE DES AUTOCARS DE L'ANJOU et la SARL SOCIETE BENATRE VOYAGES ) et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Mais Joseph X..., en signant ce qui n'est que la reproduction d'une oeuvre, tente de s'en faire passer pour l'auteur ce qui constitue une atteinte au droit moral de celui-ci. Joseph X... reconnaît y avoir porté la mention de ses coordonnées, même s'il minimise la portée de son geste en soulignant la petitesse des
caractères et - 6 - l'absence de volonté de se présenter comme l'auteur, mais il ne peut pas ignorer qu'apposer son nom sur la reproduction d'une oeuvre d'un tiers constitue une atteinte au droit de ce tiers dont le nom, lui, n'est pas indiqué.
C'est en conséquence à juste titre que Joseph X... a été condamné à payer la somme de 50 000 francs à titre de dommages et intérêts à la SA GRAPHIBUS. Sur la concurrence déloyale
Le seul acte qui puisse être reproché à Joseph X... consiste à avoir apposé sa signature sur la reproduction, mais si elle constitue une contrefaçon, cette signature ne constitue pas une concurrence déloyale. En effet dès lors que le droit de reproduction est cédé, Joseph X... et la SA GRAPHIBUS se trouvaient en concurrence loyale sur ce point, et non sur la conception des prochaines oeuvres, puisque Joseph X... ne fait pas de conception. *
Aucune des parties n'a commis de faute dans la défense de ses droits, dans la mesure où la situation était relativement complexe en raison de l'absence de précaution de chacune des parties, tant de l'auteur de l'image, dont le contrat est mal rédigé que du copiste qui ne s'assure pas de son droit, et des clients de l'auteur qui ne vérifient pas si le droit de reproduction leur est incontestablement acquis, et les demandes de dommages et intérêts seront donc rejetées. Il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes des parties au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, en cause d'appel, celles décidées par le jugement déféré étant confirmées.
La SA GRAPHIBUS qui succombe en son appel en supportera les dépens. PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire
Confirmes-en toutes ces dispositions le jugement déféré
Déboute les parties de leurs autres demandes
Condamne la SA GRAPHIBUS aux dépens d'appel et en autorise le recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.