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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 9 septembre 2010, n° 07/11478

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Syndicat de La Librairie Française (Sté)

Défendeur :

Promotion Presse Mediasat (Sté), Encyclopaedia Universalis France (SA), Du Figaro (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mme Mouillard, M. Roche

Avoués :

SCP Fisselier - Chiloux - Boulay, SCP Lagourgue - Olivier, SCP Duboscq - Pellerin

Avocats :

Me Colomes, Me Parleani, Me Guyot

TGI Paris, du 26 avr. 2007, n° 05/15129

26 avril 2007

La société d'édition Encyclopedia universalis qui a pour objet la création, l'édition, la distribution et la commercialisation de certaines oeuvres est propriétaire des droits, marques et logotypes de la collection thématique « les essentiels d'universalis ».

Les encyclopédies universalis sont distribuées exclusivement dans le réseau des kiosques et distributeurs de presse, ainsi que par courtage, démarchage et vente par correspondance.

Par contrat de licence en date du 12 janvier 2004, Encyclopedia universalis a cédé à la société Promotion Presse Mediasat (PPM) l'autorisation de fabrication, de distribution et de commercialisation des 25 volumes de la collection « les essentiels d'universalis » par le canal exclusif de promotions de presse c'est à dire conjointement avec un journal imprimé dans un objectif promotionnel.

A partir du 28 janvier 2005, et une fois par semaine, le journal Le Figaro a commercialisé avec l'accord de PPM, son quotidien accompagné d'un des 25 volumes de l'édition spéciale et résumée de l'Encyclopédia universalis intitulée « les essentiels d'universalis ».

Il était également proposé au public d'acheter séparément cette édition spéciale sans le journal, en la commandant par correspondance.

Trois libraires ayant cherché à passer commande de l'encyclopédie auprès de la société Encyclopédia universalis et de PPM, se sont adressés à la société Le Figaro qui a refusé de leur vendre en leur faisant connaître que le service de vente à l'unité pour les particuliers était assuré par les diffuseurs de presse, partenaires de l'opération ou en écrivant au service des ventes du Figaro.

C'est dans ces conditions que le Syndicat de la librairie française (SLF), considérant ce refus de vente contraire à la loi Lang du 10 août 1981 a assigné le 25 mai 2005 conjointement la société du Figaro et Encyclopedia universalis à jour fixe devant le TGI de Paris.

Par jugement du 5 septembre 2005, le TGI de Paris considéré qu'il y avait lieu « d'inviter le syndicat demandeur à mettre en cause » la société PPM ;

Le syndicat a assigné la société PPM le 11 août 2005, sollicité la jonction des deux procédures et réitéré ses demandes ;

Par jugement du 26 avril 2007, le tribunal de grande instance de Paris a débouté le syndicat de la librairie française de l'ensemble de ses demandes, a laissé à sa charge les frais irrépétibles qu'il a exposés et l'a condamné à payer la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile à la société du Figaro d'une part et à la société Encyclopedia universalis d'autre part, ainsi qu'aux dépens ;

La cour

Vu l'appel interjeté le 2 juillet 2007 par le syndicat de la librairie française,

Vu les conclusions signifiées le 15 juin 2010, par lesquelles le syndicat de la librairie française demande à la cour d'infirmer le jugement du TGI de Paris du 26 avril 2007, de constater que la SA Société du Figaro, la société Promotion Presse Mediasat et la SA Encyclopedia universalis, en réservant au réseau des diffuseurs de presse l'exclusivité de la commercialisation des ouvrages de l'encyclopédie « les essentiels d'universalis » de janvier à juin 2005, ont commis une infraction à l'article 1 de la loi de 10 août 1981, une pratique illicite et un acte de concurrence déloyale qui constituent des fautes engageant leur responsabilité à l'égard des libraires indépendants, que l'opération litigieuse s'étant déroulée sans désemparer jusqu'à son terme malgré les demandes de cessation du syndicat, la condamnation à cessation sous astreinte est devenue sans objet, de condamner la SA Le Figaro, la société promotion presse mediasat et la SA Encyclopedia universalis in solidum à payer au syndicat concluant une somme de 150 000 € de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte portée aux intérêts collectifs défendus par le SLF, de les condamner les intimées in solidum à payer au syndicat concluant une somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens ;

Vu les conclusions signifiées le 14 juin 2010 par lesquelles la société Encyclopedia universalis demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré le SLF recevable à agir contre la société Encyclopedia universalis,

et statuant à nouveau, de juger que les demandes du syndicat de la librairie française à l'encontre de la société encyclopedia universalis sont irrecevables pour défaut d'intérêt à agir,

- de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté le SLF de toutes ses demandes, fins et conclusions et de condamner le syndicat de la librairie française à lui verser une indemnité de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre 15 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Vu les conclusions signifiées le 19 mai 2010 par lesquelles la société du Figaro et la société Promotion Presse Mediasat, demandent à la cour, pour le cas où il serait jugé que la péremption de l'instance n'est pas intervenue de,

- confirmer en conséquence le jugement,

- recevoir le SLF en son appel, mais le déclarer mal fondé, et le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner le SLF à 15 000 € au profit de chacune des sociétés PPM et le Figaro pour procédure abusive,

- le condamner encore au profit de chacune des sociétés PPM et le Figaro en la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

sur ce

Sur la recevabilité du syndicat de la librairie française

Considérant que le syndicat de la librairie française dénonce une infraction à l'article 1er de la loi « Lang » du 1août 1981 ;

Considérant que l'article 8 de la loi du 10 août 1981 dispose qu'en « cas d'infraction aux dispositions de la présente loi, les actions en réparation peuvent être engagées notamment par tout concurrent, association agréée de défense des consommateurs ou syndicats des professionnels de l'édition ou de la diffusion des livres » ;

Considérant qu'en matière de concurrence, un syndicat professionnel est habilité à agir pour les faits constitutifs d'un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente, s'agissant en l'espèce des intérêts de la profession de libraire ;

Considérant que si la société Encyclopédia Universalis, a le statut d'auteur de la collection et perçoit des redevances de licence de ma part de PPM, elle a cédé ses droits à l'occasion d'une opération déterminée de diffusion des ouvrages par voie de presse ; qu'il s'ensuit qu'elle n'est pas étrangère à l'opération de commercialisation dénoncée par le syndicat ;

Considérant que celui-ci justifie dès lors d'un intérêt à agir à l'encontre de chacune des parties dans la cause et que c'est à juste titre que les premiers juges l'ont déclaré recevable à agir à l'encontre de la société Encyclopédia Universalis ;

Sur le fond

Considérant que la loi Lang comporte uniquement des dispositions relatives aux modalités de fixation du prix du livre, l'article 1er selon lequel « tout détaillant doit offrir le service gratuit de commande à l'unité »ne signifie pas que tous les détaillants sont en droit d'exiger d'un éditeur la fourniture d'un livre à l'unité mais que le consommateur dans la mesure où un ouvrage est disponible à la vente, peut en passer commande sans frais supplémentaire, auprès du détaillant en assurant la commercialisation, l'objectif de la loi étant de conserver pour le livre un prix unique ;

Considérant que ces dispositions visent les détaillants, terminologie dépassant les seuls libraires et comprenant « toutes les personnes qui vendent un livre à un consommateur final » au titre desquelles le ministère de la culture faisait figurer les maisons de la presse et les kiosques, sans pour autant interférer sur le réseau de distribution de chacun d'eux et conférer une quelconque prérogative aux libraires ;

Considérant qu'en l'espèce les diffuseurs de presse ont assuré le service gratuit à l'unité, respectant le texte de loi sur le principe posé de la gratuité ;

Considérant que l'article L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayant droits ou ayant cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque » ;

Considérant que l'article L. 131-3 du même code indique que « la transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination quant au lieu et quant à la durée » :

Considérant qu'il appartient au seul auteur de choisir les modes de commercialisation, de diffusion et de distribution des supports de l'oeuvre sans que puisse être opposé à l'auteur un statut privilégié du libraire faisant de lui un revendeur ayant vocation à commercialiser tous les ouvrages disponibles sur le marché ;

Considérant que le droit de l'auteur ne peut céder que dans l'hypothèse où celui-ci détiendrait une position dominante et ferait échec à l'apparition d'un nouveau produit ;

Considérant que le syndicat fait valoir que l'opération est constitutive d'accords restrictifs de concurrence, entrant dans le principe de restriction des ententes, et constitue une pratique discriminatoire ;

Considérant que si l'article 420-1 du code de commerce dispose que sont prohibées « les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites qui ont pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché notamment lorsqu'elles tendent à limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises » ;

Considérant que les clauses des contrats de cession de droit accordant un droit exclusif de reproduction ou de diffusion d'un ouvrage ne sont pas illicites par principe ;

Considérant que l'encyclopédie Universalis ne constitue pas un produit nouveau, mais était déjà commercialisée, que l'opération ne fait qu'étendre le réseau de diffusion par la voie des kiosques et ce de façon ponctuelle en l'associant, pendant une période limitée dans le temps à la diffusion du quotidien 'Le Figaro' ;

Considérant que le marché des dictionnaires et encyclopédies est diversifié et concurrentiel et qu'il appartient au fournisseur d'organiser son réseau de distribution ; que l'opération ponctuelle et promotionnelle de diffusion de distribution des « les essentiels d'Universalis » par les diffuseurs de presse n'a pas eu pour conséquence d'évincer les libraires du marché mais a seulement étendu pendant 22 semaines le réseau de distribution d'un ouvrage particulier du marché, sans dépasser le seuil de 15% dudit marché, pourcentage encore moindre sur celui des beaux livres ; qu'il s'agit d'un impact très faible qui n'était pas de nature à déséquilibrer le marché ;

Considérant que l'opération visait à promouvoir les ventes du Figaro, qu'elle était accessoire à cette promotion, les ouvrages litigieux étant revêtus de la marque notoire « Le Figaro » ; que la diffusion d'un quotidien entraîne des contraintes spécifiques ; que la seule diffusion de produits portant la marque Le Figaro dans le cadre d'une opération ayant pour objet la promotion du quotidien sans assumer les contraintes de diffusion de celui-ci serait préjudiciable à la marque « Le Figaro », et justifiait le refus de vendre opposé aux libraires avec lesquels aucune relation de partenariat n'existait ;

Considérant qu'en réservant la distribution des Essentiels d'Universalis ponctuellement et à l'occasion d'une opération visant à promouvoir son quotidien au réseau des kiosques, Le Figaro n'a commis aucune faute ;

Considérant que la preuve d'un détournement de clientèle n'est pas démontrée ;

Considérant que la preuve d'une procédure abusive n'est pas démontrée ; qu'il y a lieu de rejeter la demande de dommages et intérêts du Figaro de ce chef ;

Et considérant que le Figaro et PPM ont dû engager des frais non compris en totalité dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à leur charge ; qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code ce procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

PAR CES MOTIFS

Reçoit le Syndicat de la librairie française en son appel et le déclare recevable à l'encontre de la société Encyclopédia Universalis,

Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,

Rejette les demandes des sociétés Le Figaro et Encyclopedia Universalis de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne le Syndicat de la librairie française à payer aux la somme de 10 000€ à la société Le Figaro et celle de 15 000 € à la société PPM au titre de l'article 700 du code de procédure civile et rejette la demande du syndicat de la librairie française à ce titre,

Condamne le Syndicat du livre aux dépens qui pourront êttre recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.