Cass. com., 27 janvier 2015, n° 13-20.088
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
Me Foussard, SCP Yves et Blaise Capron
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Gérard X..., né en 1925 et titulaire de divers comptes ouverts à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Paris et Ile-de-France (la caisse), a été hospitalisé à la fin de l'année 2005 puis placé sous tutelle par jugement du 21 mars 2006, Mme X..., sa fille unique, étant désignée en qualité d'administratrice légale sous contrôle judiciaire ; que, par jugement du 24 septembre 2008, Mme Y..., qui aidait Gérard X... dans les actes de la vie courante, a été déclarée coupable d'abus de faiblesse d'une personne vulnérable commis au préjudice de ce dernier ; que Mme X..., devenue tutrice de Gérard X..., a assigné la caisse pour manquements à son devoir de vigilance puis, au cours de l'instance d'appel, est intervenue volontairement en qualité d'ayant-droit de son père, décédé le 10 mai 2012 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts au titre des retraits d'espèces sur le compte de Gérard X... alors, selon le moyen, que selon les constatations de l'arrêt attaqué, propres et réputées adoptées, Gérard X... était âgé de 80 ans et accompagné de deux femmes quand il a effectué les trois retraits de 24 000 euros, 30 000 euros et 42 000 euros en mars, avril et mai 2005 lors même qu'habituellement il pratiquait peu d'opérations sur son compte bancaire, l'employée de la banque ayant exécuté les retraits a suspecté l'influence que pouvait exercer l'une des accompagnatrices et l'a signalé à sa direction, le formulaire relatif au deuxième retrait n'était même pas signé par Gérard X..., il a été hospitalisé à la fin de la même année que celle des retraits puis a fait l'objet une mesure de protection judiciaire cependant qu'il était aidé dans les actes de la vie courante depuis plusieurs mois par Mme Y..., et celle-ci a été condamnée pénalement pour avoir abusé de la faiblesse de Gérard X... en se faisant remettre 117 000 euros et en se faisant désigner bénéficiaire de quatre contrats d'assurance-vie ; qu'il s'évinçait de ces constatations qu'en vertu de son devoir de vigilance la Caisse aurait dû s'opposer aux trois retraits susmentionnés, manifestement anormaux et inhabituels ; qu'en jugeant au contraire qu'elle n'avait pas commis de faute au regard du principe de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté que les retraits en espèces litigieux ont été effectués les 16 mars, 6 avril et 11 mai 2005 pour des montants respectifs de 24 000 euros, 30 000 euros et 42 000 euros, l'arrêt relève qu'il ressort de l'audition de Mme Z..., employée de la caisse, qu'informée par l'une des deux femmes accompagnant Gérard X... que ce dernier voulait clôturer tous ses produits financiers détenus à la caisse, elle lui a demandé si telle était sa volonté, ce qu'il a confirmé ; qu'il relève encore que cette employée a précisé que Gérard X... était sain de corps et d'esprit, qu'il faisait peu d'opérations bancaires et que dans le 15e arrondissement de Paris, ce genre de retrait était assez courant ; qu'il retient ensuite qu'aucun élément contemporain des retraits ne vient contredire que la caisse ignorait l'état de santé de Gérard X..., que les retraits effectués ne présentaient ni un caractère suspect au regard de la législation, ni des anomalies apparentes et que les habitudes antérieures de Gérard X... quant aux opérations pratiquées sur son compte ne permettaient pas à la caisse de s'interroger sur la cause ou l'opportunité des retraits ordonnés et de s'immiscer dans les affaires de son client, dès lors que ce dernier, qui s'était présenté en personne, avait confirmé sa volonté ; qu'il relève enfin que Mme X... n'explique pas en quoi le fait que l'avis d'opéré du 6 avril 2005 relatif au retrait de la somme de 30 000 euros en espèces, remis à Gérard X..., ne soit pas signé par ce dernier serait fautif, dès lors qu'il n'est pas contesté que ce retrait a été demandé et obtenu par lui ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que la caisse n'avait pas commis de manquement à son obligation de vigilance ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur ce moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que pour limiter à 10 000 euros les dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice subi au titre du retrait des effets de Gérard X... déposés dans le coffre-fort loué par la caisse, l'arrêt, par motifs propres et adoptés, après avoir constaté que le contrat de location n'était pas signé par Gérard X... et avoir imputé à la caisse un défaut de surveillance de l'accès au coffre entre le 11 octobre 2005, date de l'hospitalisation de Gérard X..., et le 25 janvier 2006, date de l'inventaire du coffre, relève que M. A..., neveu de Gérard X..., a indiqué au juge d'instruction qu'il avait vu la clé du coffre dans les mains de Mme Y... et que cette dernière lui avait révélé en décembre 2005 qu'une somme de 37 500 euros y subsistait puis retient que, dans ses conditions, Gérard X... a subi une perte de chance de conserver les sommes déposées dans le coffre ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la perte des espèces déposées dans le coffre constituait un préjudice certain, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Paris et Ile-de-France à payer la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre du retrait des effets déposés dans le coffre-fort, l'arrêt rendu le 8 novembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.