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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 16 juin 2009, n° 08/01057

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Vannier

Défendeur :

La Trinitaine (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Guillanton

Conseillers :

Mme Cocchiello, M. Christien

Avoués :

SCP Bazille Jean-Jacques, SCP Castres, Colleu, Perot & Le Couls-Bouvet

Avocats :

Me Bernheim, Me Le Roux

CA Rennes n° 08/01057

15 juin 2009

EXPOSÉ DU LITIGE

Créatrice du dessin stylisé d'un trimaran ayant servi de maquette à l'emballage de biscuits commercialisés par la société BISCUITERIE La TRINITAINE, et faisant grief à cette société d'avoir excédé ses droits de reproduction en utilisant le dessin sur la façade de son usine, ses camions, ses documents commerciaux, son matériel publicitaire et son site Internet, Christine VANNIER l'a assignée, par acte du 1er août 2005, devant le Tribunal de Grande Instance de LORIENT, lequel a, par jugement du 11 septembre 2007, statué en ces termes :

'Dit que la société La TRINITAINE s'est rendue coupable de contrefaçon en utilisant le dessin d'un trimaran créé par Madame VANNIER sur d'autres supports que les emballages de biscuits ;

Condamne la société La TRINITAINE à verser à Madame Christine VANNIER la somme de 1.500 € au titre de la violation de son droit moral ;

Condamne la société La TRINITAINE à verser à Madame Christine VANNIER la somme de 5.000 € au titre de la violation de son droit patrimonial ;

Dit n'y avoir lieu d'ordonner une expertise ;

Déboute Madame Christine VANNIER de sa demande tendant à voir fixer à 25 % la redevance due sur le prix de vente au public de vêtements ;

Condamne la société La TRINITAINE à supprimer toutes les reproductions du logo créé par Madame Christine VANNIER sur tous supports autres que les emballages de biscuits, dans le délai de trois mois à compter de la signification du présent jugement, sous peine d'une astreinte de 300 € par infraction constatée ;

Déboute Madame Christine VANNIER de sa demande tendant à voir ordonner la publication et l'affichage du jugement ;

Ordonne l'exécution provisoire ;

Condamne la société La TRINITAINE à verser à Madame Christine VANNIER la somme de 1.800 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Condamne la société La TRINITAINE aux dépens'.

Insatisfaite des réparations allouées par les premiers juges, Madame VANNIER a relevé appel de cette décision en demandant à la Cour de :

'Condamner la société La TRINITAINE à payer à Madame Christine VANNIER une somme de 50.000 € en réparation de son préjudice pour la violation de son droit moral d'auteur ;

Condamner la société La TRINITAINE à payer une somme provisionnelle de 250.000 € à Madame Christine VANNIER en réparation de son préjudice pour la violation de son droit patrimonial d'auteur, au titre de l'utilisation à des fins publicitaires de son oeuvre sur tous supports autres que les emballages de biscuit ayant fait l'objet d'une facturation le 27 janvier 1998 ;

Avant dire droit sur la réparation du préjudice subi par Madame VANNIER du fait de la diffusion d'une ligne de vêtements comportant la reproduction de son oeuvre, désigner tel constatant qu'il appartiendra à la Cour afin de rechercher le chiffre d'affaire hors taxes réalisé par la société La TRINITAINE sur la vente de ses vêtements;

Ordonner la publication d'un extrait de l'arrêt qui sera rendu, aux frais de la société La TRINITAINE dans toutes les éditions de Bretagne des journaux OUEST-FRANCE et Le TÉLÉGRAMME de BREST, ainsi que l'affichage sur les devantures de tous les magasins de la société pendant une durée d'un mois ;

Condamner la société La TRINITAINE à payer une somme de 15. 000 € à Madame Christine VANNIER au titre de l'article 700 du Code de procédure civile'.

Appelante à titre incident, la société La TRINITAINE, qui fait valoir que Madame VANNIER n'aurait jamais ignoré l'usage qui était fait de son dessin, conteste s'être rendue coupable de contrefaçon et demande en conséquence à la Cour de débouter Madame VANNIER de ses demandes.

Elle sollicite subsidiairement la confirmation du jugement attaqué sur le montant des réparations allouées et indique enfin qu'elle ne s'oppose pas à la mesure d'expertise comptable réclamée par l'appelante.

Elle demande en toute hypothèse l'allocation d'une indemnité de 8.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour Madame VANNIER le 23 mars 2009 , et pour la société La TRINITAINE le 21 avril 2009 .

EXPOSÉ DES MOTIFS

Selon facture du 27 janvier 1998, Madame VANNIER a réalisé pour la biscuiterie La TRINITAINE l'étude d'une maquette pour la réalisation d'un emballage de paquets de biscuits, comprenant la création d'un dessin représentant un trimaran stylisé, moyennant le prix forfaitaire de 6.000 francs (914,69 €) toutes taxes comprises.

Or, il n'est pas contesté que ce dessin a été utilisé par la société La TRINITAINE sur d'autres supports que les emballages de biscuits, spécialement sur la façade de son usine de SAINT-PHILIBERT, ses camions de livraison, la devanture de boutiques exploitées à La TRINITÉ-sur-MER, SAINT-MALO, QUIBERON, ERDEVEN à l'enseigne 'La TRINITAINE', des vêtements, des sachets d'emballage, ainsi que sur ses documents commerciaux et sur les pages de son site Internet.

Ainsi que l'ont exactement énoncé les premiers juges, la transmission des droits de l'auteur sur une oeuvre de l'esprit est, conformément à l'article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle, subordonnée à la condition que chacun des droits fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession, et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée, l'auteur étant supposé s'être réservé tout droit ou mode d'exploitation non expressément inclus dans le contrat de cession et l'absence de revendication pendant plusieurs années n'emportant pas acquiescement à l'exploitation de ses oeuvres sur lesquelles il n'a pas perçu de redevance.

Après avoir pertinemment relevé que le financement de voyages destinés à permettre à Madame VANNIER de retrouver son mari, Marc GUILLEMOT, skipper d'un voilier de course au large parrainé par la société La TRINITAINE, ne pouvait s'analyser comme un complément de prix autorisant l'exploitation générale, au demeurant prohibée, de l'oeuvre de Madame VANNIER, et que la commande par Monsieur GUILLEMOT de vêtements ornés du dessin portés l'équipage de son bateau ne pouvait conduire la société La TRINITAINE à se considérer comme bénéficiant elle-même d'une cession des droits de reproduction sur des vêtements, le Tribunal de Grande Instance de LORIENT a à juste titre constaté que la société La TRINITAINE, eût-elle été de bonne foi, s'était rendue coupable de contrefaçon en utilisant le dessin créé par Madame VANNIER sur d'autres supports que les emballages de biscuits.

Ce chef du jugement attaqué sera donc confirmé, tout comme celui, qui n'en est que la conséquence, relatif à la condamnation, sous astreinte, de la société La TRINITAINE à supprimer toutes reproductions du dessin créé par Madame VANNIER sur des supports autre que des emballages de biscuits.

L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouissant, conformément aux dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, du droit personnel, perpétuel et inaliénable au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre, la reproduction du dessin, au delà des modalités de cession du droit d'exploitation définies le 27 janvier 1998 et sans indication du nom de l'auteur, constitue une violation de son droit moral.

Ainsi, l'ampleur et la persistance de la diffusion du dessin de Madame VANNIER, à des fins publicitaires et sans que son nom et sa qualité d'auteur ne soient mentionnés, a causé à l'appelante un préjudice certain qui sera exactement réparé par l'allocation de dommages-intérêts d'un montant de 10.000 €.

Le jugement attaqué sera réformé en ce sens.

Par ailleurs, la contrefaçon a causé à Madame VANNIER un préjudice patrimonial.

L'appelante sollicite à cet égard une indemnité provisionnelle à valoir sur la réparation de ce préjudice qu'elle désire voir évaluer à dire d'expert.

Connaissance prise des pièces produites par chacune des parties, la Cour considère pourtant que tous les éléments nécessaires à la liquidation du préjudice patrimonial de Madame VANNIER sont déjà connus et ne requièrent, pour les analyser, aucune compétence technique particulière, de sorte que la mesure d'instruction sollicitée ne ferait que retarder inutilement le jugement d'un litige en état d'être tranché.

Il résulte toutefois de la combinaison des articles 5 et 16 du Code de procédure civile que la Cour, qui ne peut modifier l'objet du litige tel qu'il est déterminé par les prétentions des parties sans les avoir invitées à présenter leurs observations, doit, avant de procéder à la liquidation définitive du préjudice patrimonial, ordonner la réouverture des débats afin de permettre à Madame VANNIER, qui n'a en l'état formé qu'une demande d'indemnité provisionnelle, de chiffrer sa demande de réparation définitive.

Dans l'attente, les demandes accessoires seront, comme les dépens, réservées.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Confirme le jugement rendu le 11 septembre 2007 par le Tribunal de Grande Instance de LORIENT en ce qu'il a :

  • Dit que la société La TRINITAINE s'est rendue coupable de contrefaçon en utilisant le dessin d'un trimaran créé par Madame VANNIER sur d'autres supports que des emballages de biscuits,
  • Condamné, sous astreinte de 300 € par infraction constatée, la société La TRINITAINE à supprimer toutes les reproductions du logotype créé par Madame VANNIER sur tous supports autres que les emballages de biscuits dans le délai de trois mois à compter de la signification du jugement,
  • Dit n'y avoir lieu d'ordonner une expertise ;

Le réforme en ce qu'il a alloué à Madame VANNIER une somme de 1.500 € en réparation de la violation de son droit moral;

Condamne, à ce titre, la société La TRINITAINE à payer à Madame VANNIER une somme de 10.000 € de dommages-intérêts ;

Ordonne la réouverture des débats à l'effet de permettre à Madame VANNIER de chiffrer sa demande de réparation définitive du préjudice patrimonial ;

Ordonne le renvoi de l'affaire devant le conseiller de la mise en état à la conférence du mercredi 21 octobre 2009 à 9 heures ;

Réserve les autres demandes et les dépens.