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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 24 juin 2009, n° 08/04965

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ibach Television (SARL)

Défendeur :

Cam Cache Productions (SARL), France Televisions (Sté), Sellem, Universal Pictures Video France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mme Rosenthal, Mme Chokron

Avoués :

SCP Bernabe - Chardin - Cheviller, Me Melun, SCP Hardouin, Me Thevenier

Avocats :

Me de Gourcuff, Me Goguel, Me Lefaucheux, Me Bourgeois

T. com. Paris, du 29 janv. 2008, n° 2006…

29 janvier 2008

LA COUR,

Vu l'appel relevé par la s.a.r.l Ibach Télévision du jugement du tribunal de commerce de Paris (2ème chambre de RG : 2006012120), prononcé le 29 janvier 2008 ;

Vu les dernières conclusions de l'appelante (22 avril 2009 ) ;

Vu les dernières conclusions (1er avril 2009 ) de la société France Télévisions, venant aux droits de la s.a. France 3, intimée et incidemment appelante ;

Vu les dernières conclusions (11 mai 2009 ) de la s.a.r.l Cam Cache Productions et de M. Pascal Sellem, intimés et incidemment appelante ;

Vu les dernières conclusions (11 mai 2009 ) de la s.a.s. Universal Pictures Vidéo, intimée et incidemment appelante ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 12 mai 2009 ;

* *

SUR QUOI,

Considérant que M. Pascal Sellem est l'auteur et le réalisateur de programmes audiovisuels de caméra cachée dont «Les 7 péchés capitaux», produits par Cam Cache Productions ; que, par contrat du 3 novembre 2003, cette dernière a concédé à Universal Pictures Vidéo les droits de reproduction et d'exploitation de ces oeuvres sous forme vidéographique ; que France 3 a diffusé, au cours de l'année 2004, trois émissions, produites par Ibach Télévision, qui comportaient, en vertu d'un accord d'utilisation consenti le 8 juin 2004 par Universal Pictures Vidéo, des extraits du DVD intitulé «PASCAL SELLEM - Les caméras cachées des 7 péchés capitaux» édité par Universal Pictures Vidéo ; que Cam Cache Productions et M. Sellem, ayant estimé que ces diffusions non autorisées avaient porté atteinte, la première, à ses droits patrimoniaux, le second, à ses droits moraux sur ces oeuvres, ont assigné France 3 en contrefaçon ; que cette dernière a appelé en garantie Ibach Télévision, laquelle a elle-même appelé Universal Pictures Vidéo en garantie ; que le tribunal, par le jugement déféré, a écarté la fin de non recevoir opposée par Ibach Télévision tirée du prétendu défaut d'intérêt à agir de Cam Cache Productions et de M. Sellem, retenu que les programmes diffusés ne respectaient pas les conditions d'utilisation des oeuvres prévues par les contrats successifs du 3 novembre 2003 entre Cam Cache Productions et Universal Pictures Vidéo et du 8 juin 2004 entre Universal Pictures Vidéo et Ibach Télévision, dit que cette dernière et France 3 avaient commis des actes de contrefaçon au préjudice de Cam Cache Productions, les a condamnées à lui payer des dommages-intérêts et prononcé diverses mesures réparatrices, débouté M. Sellem de toutes ses demandes et condamné Ibach Télévision à garantir France 3 ;

* *

1. Sur l'intérêt à agir de M. Sellem et de Cam Cache Productions :

Considérant que Ibach Télévision fait valoir qu'il n'est pas justifié, par la production d'un contrat écrit, de la cession des droits de M. Sellem à Cam Cache Productions et que cette dernière ne peut se prévaloir d'une présomption de cession car il n'est pas démontré que M. Sellem serait le seul auteur ni même l'un des auteurs ;

Mais considérant qu'en l'absence de revendication du ou des auteurs, l'exploitation de l'oeuvre par une personne physique ou morale fait présumer, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire, sur l'oeuvre, quelle que soit sa qualification, du droit de propriété intellectuelle de l'auteur ;

Considérant qu'il est constant que Cam Cache Productions exploite l'oeuvre et qu'il n'est fait état d'aucune revendication du ou des auteurs dirigées contre elle ; que Ibach Télévision ne fait pas tomber la présomption d'où il résulte que, sauf preuve contraire, Cam Cache Productions doit être regardée comme investie des droits de l'auteur, de sorte que la fin de non recevoir qu'elle oppose à Cam Cache Productions et à M. Sellem n'est pas fondée et sera rejetée ;

2. Sur la portée des stipulations du contrat de licence du 3 novembre 2003 entre Cam Cache Productions et Universal Pictures Vidéo :

Considérant, selon l'article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle, que «la transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination [...]» ;

Considérant qu'il en résulte que les contrats relatifs à la transmission de droits d'auteur sont d'interprétation stricte et que tout mode d'exploitation de l'oeuvre non expressément prévu doit être tenu pour exclu de la transmission des droits ;

Considérant que l'article 7 du contrat du 3 novembre 2003 entre Cam Cache Productions et Universal Pictures Vidéo dispose : «Aux fins d'effectuer les opérations de promotion des supports vidéographiques reproduisant les programmes et d'une manière générale tous les enregistrements audiovisuels fournis en vertu des présentes, le licencié aura la faculté d'en diffuser ou faire diffuser de courts extraits de chacun des programmes par voie de communication au public (radiodiffusion, internet...) » ;

Considérant, à la lumière des principes d'interprétation précédemment rappelés, qu'il y a lieu de constater que ces dispositions ne prévoient pas expressément la faculté d'effectuer des opérations de promotion par la diffusion de courts extraits pour la télévision ; que les moyens de communication au public visés, dont il est donné, à titre d'illustration, une liste ouverte comme le montre la présence des points de suspension, ne peuvent toutefois comprendre l'exploitation audiovisuelle, laquelle est au contraire expressément exclue par les dispositions de l'article 16 du même contrat, selon lesquelles : « Le licencié garantit pour sa part qu'il n'effectuera aucune autre exploitation que celles prévue par les présentes, et qu'en particulier, il s'interdit toute forme d'exploitation télévisuelle ou cinématographique du vidéogramme, celle-ci étant expressément réservées au concédant ».

Considérant qu'il en résulte que les diffusions litigieuses doivent être regardées, non pas comme des opérations de promotions permises, mais comme une exploitation audiovisuelle non autorisée, par là-même constitutives d'actes de contrefaçon ;

3. Sur la contrefaçon :

Considérant que la matérialité des faits, en ce qu'ils se définissent par la diffusion :

- le 18 mai 2004, d'une émission intitulée : « Les Grands du Rire au travail» comprenant des séquences extraites des oeuvres de M. Sellem «La Pizza chaude», «Dark Pascal» et «BBQ»,

- le 4 juin 2004, d'une émission intitulée : «Les Grands du Rire en vacances» comprenant des séquences extraites des oeuvres de M. Sellem « Camping sauvage» et « Portable sur la Plage» ;

- le 18 juin 2004, d'une émission intitulée : « Les Grands du Rire amoureux» comprenant des séquences extraites des oeuvres de M. Sellem «Ma cabine au Canada» et «Le vieux port»,

n'est pas contestée ;

Considérant qu'il a été précédemment démontré que Universal Pictures Vidéo ne disposait pas des droits correspondant à l'utilisation de l'oeuvre qui a été ainsi faite ; que Ibach Télévision n'est donc pas fondée à se prévaloir de l'accord du 8 juin 2004 - au demeurant postérieur à deux des trois émissions litigieuses - que lui a donné Universal Pictures Vidéo d'utiliser, à titre gracieux et promotionnel, des extraits du programme «Les caméras cachées des 7 péchés capitaux» de Pascal Sellem ; que, de même, les droits relatifs à cette oeuvre n'ont pu être compris dans ceux que Ibach Télévision a cédés à France 3 par le contrat du 29 mars 2004 portant sur les cinq émissions de la série «Les Grands du rire» ; qu'il en résulte que c'est à juste titre que le jugement entrepris a condamné Ibach Télévision et France 3 in solidum à réparer le préjudice subi par Cam Cache Productions ;

4. Sur le préjudice :

Considérant que Cam Cache Productions n'apporte aucun élément de preuve à l'appui de ses allégations suivant lesquelles «la cession du droit d'exploiter chacun des sept films de caméras cachées peut raisonnablement être estimée à 4.000 euros HT» sur la base desquelles elle réclame 28.000 euros de dommages-intérêts au titre d'un manque à gagner ; que les seules justifications chiffrées permettant d'apprécier cet élément de préjudice sont fournies par France Télévisions, laquelle, pour combattre le reproche qui lui avait été fait par Cam Cache Productions d'avoir gardé le silence à ce sujet devant les premiers juges, a indiqué avoir payé à Ibach Télévision, pour chacune des trois émissions de 90 minutes, le prix de 76.225 euros HT ; qu'il en résulte que, pour trois diffusions de moins de 3 minutes, le manque à gagner de Cam Cache Productions doit être évalué à 7.500 euros ;

Considérant que Cam Cache Productions explique encore avoir subi un préjudice de notoriété, qu'elle évalue à 15.000 euros, du fait que les diffusions litigieuses auraient été de nature à nuire à son image aux yeux de la société TF1, dont elle affirme être un partenaire privilégié et que «son nom n'est pas mentionné au copyright ni au générique des émissions» ;

Mais considérant que Cam Cache Productions n'apporte aucune justification à l'appui de ses allégations au sujet de ses prétendues relations avec la société TF1 et de leur altération éventuelle ; qu'il apparaît des documents versés au débat que chacun des extraits du DVD présenté dans les émissions en cause identifie Pascal Sellem mais ne fait nulle mention du nom de Cam Cache Productions ; qu'il en résulte, pour cette dernière, un préjudice d'image qui sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 1.000 euros ;

Considérant que M. Pascal Sellem réclame 15.000 euros de dommages-intérêts en affirmant qu'il a été porté atteinte à son droit moral d'auteur du fait de la dénaturation de son oeuvre, diffusée non dans son intégralité, mais sous forme d'extraits, et parce que l'une des séquences a été intitulée «La pizza » au lieu de «La pizza chaude» ;

Mais considérant que la seule reproduction partielle d'une oeuvre ne constitue pas, par elle-même, une atteinte au droit et au respect de l'oeuvre ; que M. Sellem ne démontre pas en quoi la sélection des extraits et leur présentation dans le cadre des programmes préparés par Ibach Télévision diffusés par France 3 auraient été de nature à porter atteinte au respect de son oeuvre que ces séquences avaient au contraire pour but de mettre en valeur ; que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté M. Sellem de ses demandes dès lors qu'il ne démontre pas la consistance du préjudice dont il sollicite réparation ;

5. Sur les demandes en garantie :

5.1.Sur l'appel en garantie dirigé par France Télévisions contre Ibach Télévision :

Considérant, aux termes de l'article 6 du contrat d'achat du 29 mars 2004, que «le contractant» (i.e.Ibach Télévision) déclare : «être le seul détenteur, [...] des droits d'exploitation des émissions par télévision et télédistribution» et «affirme qu'il dispose sans restriction ni réserve de ces droits, en ce qui concerne les auteurs des émissions, réalisateurs, éditeurs, artistes interprètes ou exécutants, techniciens et d'une manière générale, toute personne ayant participé à la réalisation ou pouvant prétendre à un droit quelconque à l'égard des émissions», qu'il «garantit France 3 contre tout recours ou action que pourraient lui intenter à un titre quelconque à l'occasion de l'exercice des droits lui étant consentis par le présent contrat, les auteurs ou leurs ayants droit, éditeurs, réalisateurs artistes interprètes ou exécutant, et d'une manière générale, toute personne ayant participé directement ou indirectement à la production ou à la réalisation de ces émissions» et «garantit également France 3 contre tout recours ou action que pourraient former les personnes physiques ou morales n'ayant pas participé à la production ou à la réalisation, qui estimeraient avoir des droits quelconques à faire valoir sur tout ou partie des émissions ou sur son utilisation par France 3 et notamment, seraient susceptibles de s'opposer à la diffusion de ces émissions» ;

Considérant que, ce contrat ayant force obligatoire entre les parties, Ibach Télévision devra garantir France Télévision des condamnations pécuniaires mises à sa charge ;

5.2. Sur l'appel en garantie formé par Ibach Télévision contre Universal Pictures Vidéo :

Considérant qu'il a été dit précédemment que, par le contrat du 3 novembre 2003, Cam Cache Productions n'avait pas concédé à Universal Pictures Vidéo une licence permettant à cette dernière d'exploiter sous forme télévisuelle, même à fin promotionnelle, les programmes de M. Sellem ;

Qu'il en résulte que Universal Pictures Vidéo, ne pouvant transférer plus de droits qu'elle n'en avait reçus, a engagé sa responsabilité en donnant à Ibach Télévision son accord pour l'utilisation gracieuse à titre promotionnel d'extraits de ces programmes en vue de leur diffusion dans l'émission les Grands du rire sur France 3 ; qu'il sera en conséquence fait droit à la demande de garantie formée contre elle par lbach Télévision ;

5.3 Sur l'appel en garantie formé par Universal Pictures Vidéo contre lbach Télévision :

Considérant que Universal Pictures Vidéo fait valoir que l'accord du 8 juin 2004 était subordonné au respect par Ibach Télévision de conditions consistant à présenter la vidéocassette sur le plateau ou banc-titrer la jaquette et à faire figurer au synthé, au moment de la diffusion de l'extrait, la mention : « Pascal Sellem : Les cameras cachées des 7 péchés capitaux Universal Pictures Vidéo» ; qu'elle soutient que, pour ne pas avoir respecté ces conditions, Ibach Télévision est seule responsable des atteintes portées aux droits de Cam Cache Productions et de M. Sellem et lui doit sa garantie ;

Mais considérant, à supposer établi que lbach Télévision n'ait pas exactement suivi les consignes d'utilisation des programmes prescrites par Universal Pictures Vidéo, que cette circonstance serait en toute hypothèse étrangère au dommage causé par les actes de contrefaçon commis au préjudice de Cam Cache Productions, lequel résulte seulement de l'exploitation télévisuelle prohibée des extraits, indépendamment des conditions de présentation prévues par les parties à l'accord ;qu'il en résulte que la demande de garantie formée par Universal Pictures Vidéo contre lbach Télévision sera rejetée ;

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement entrepris, sauf sur le montant des dommages-intérêts alloués à la société Cam Cache Productions et sur la demande de garantie formée par la société Ibach Télévision contre la société Universal Pictures Vidéo,

Le RÉFORMANT et STATUANT à nouveau de ces seuls chefs,

CONDAMNE in solidum la société France Télévisions et la société Ibach Télévision à payer à la société Cam Cache Productions 8.500 euros à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudices confondues,

CONDAMNE la société Universal Pictures Vidéo à garantir la société Ibach Télévision des condamnations prononcées à son encontre,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes contraires à la motivation,

CONDAMNE in solidum la société France Télévisions aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile et à payer à la société Cam Cache Productions 3.000 € par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.