Cass. 1re civ., 28 mars 2013, n° 11-13.323
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pluyette
Rapporteur :
Mme Maitrepierre
Avocat général :
M. Chevalier
Avocats :
SCP Gaschignard, SCP Ortscheidt, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 janvier 2011), que, le 19 octobre 1994, la République argentine a conclu avec un établissement bancaire américain (Bankers Trust Company) un contrat de service financier (Fiscal Agency Agreement), destiné à l'émission d'un emprunt obligataire, contenant en annexe un modèle de contrat d'émission de titres comprenant lui-même une clause de renonciation de cet Etat à son immunité d'exécution ; qu'à la suite de la crise survenue dans le pays en 1998, la République argentine a, le 3 février et le 21 juillet 2000, souscrit, en exécution de ce contrat, deux contrats d'émission d'obligations, reprenant, en partie, le libellé de la clause de renonciation initialement stipulée ; que la société NML Capital Ltd, établie aux Iles Caïmans et détenue par un fonds d'investissement américain (Elliott international Lp.), a acquis, sur le marché obligataire de la bourse de New York, entre les années 2001 et 2003, des obligations provenant des deux séries d'émission résultant de ces derniers contrats ; que, saisie par la société NML capital, une juridiction américaine (United States Court for Southern District of New York), par jugement du 18 décembre 2006, a condamné la République argentine à lui payer une certaine somme, outre les intérêts, en remboursement des obligations que cette société avait acquises ; qu'avant d'engager une procédure aux fins d'exequatur de cette décision en France, la société NML capital a fait pratiquer, sur son fondement, au cours de l'année 2009, deux saisies conservatoires, entre les mains de la société Air France, sur des créances portant sur des sommes dont la succursale argentine de cette dernière société serait redevable auprès des autorités argentines, au titre de diverses contributions et taxes ; que, le 15 octobre 2009, la République argentine, et, le 21 octobre et le 2 novembre de la même année, la société Air France ont assigné la société NML capital, devant un juge de l'exécution français, en mainlevée de ces saisies conservatoires et en indemnisation du préjudice résultant de leur caractère prétendument abusif ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu que la société NML capital fait grief à l'arrêt de déclarer la société Air France recevable en son action et en ses moyens ;
Attendu, d'une part, qu'ayant à juste titre retenu que ni l'article 72 de la loi du 9 juillet 1991, ni l'article 236 du décret du 31 juillet 1992, ne réservaient la possibilité de contester une mesure de saisie conservatoire au seul débiteur saisi, la cour d'appel en a exactement déduit que la société Air France, en tant que tiers saisi, avait qualité à émettre une telle contestation, par voie d'action en mainlevée des saisies conservatoires ;
Attendu, d'autre part, qu'en retenant, par motifs propres, que la société Air France avait un intérêt légitime à agir ne serait-ce qu'eu égard à la nature fiscale des créances détenues par la République argentine et au risque encouru par sa succursale dans ce pays de voir son activité commerciale gravement compromise dans le cas où cet Etat étranger dénierait le caractère libératoire de son paiement, la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée sur ces seuls motifs mais aussi sur ceux adoptés du premier juge, mentionnant à juste titre les effets des saisies conservatoires de créances, ces dernières emportant immédiatement indisponibilité et consignation des sommes saisies, ne s'est pas placée au stade de la conversion des saisies conservatoires en saisies-attributions, mais au jour de l'introduction de la demande en mainlevée des saisies conservatoires, ce risque ayant été retenu comme existant dès ce jour là et étant de nature à menacer d'ores et déjà la situation juridique de la société Air France, les saisies conservatoires de créances ayant vocation à être converties en saisies-attributions et à donner lieu à ce titre au paiement des créances, par le tiers saisi, entre les mains du créancier saisissant ;
Attendu, enfin, que la société Air France n'ayant pas pris l'initiative d'invoquer le moyen tiré de l'immunité d'exécution de la République argentine, mais s'étant bornée à s'associer à ce moyen, déjà invoqué par cet Etat étranger, sans substituer son appréciation à celle de ce dernier, seul à même de décider de se prévaloir d'un tel privilège, la cour d'appel a retenu à juste titre que cette société était recevable en ce moyen ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux dernières branches, et le troisième moyen, réunis, ci-après annexés :
Attendu que la société NML capital fait grief à l'arrêt de déclarer nulles les saisies conservatoires des créances des 2 avril et 16 novembre 2009, pratiquées par elle, à l'encontre de la République argentine, entre les mains de la société Air France, et d'en donner la mainlevée, en tant que de besoin ;
Attendu que, selon le droit international coutumier, tel que reflété par la Convention des Nations Unies, du 2 décembre 2004, sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens, si les Etats peuvent renoncer, par contrat écrit, à leur immunité d'exécution sur des biens ou des catégories de biens utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques, il ne peut y être renoncé que de manière expresse et spéciale, en mentionnant les biens ou la catégorie de biens pour lesquels la renonciation est consentie; qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, Grande chambre, 21 novembre 2001, Al-Adsani/Royaume-Uni, requête n° 35763/97, Forgaty/Royaume-Uni, req. n° 37112/97, Mc Elhinney/Irlande, req. n° 31253/96 ; 12 décembre 2002, Kalogeropoulou e.a. /Grèce et Allemagne, req. n° 59021/00 ; Grande chambre, 23 mars 2010, Cudak/Lituanie, req. n° 15869/02, 29 juin 2011, Sabeh El Leil/France, req. n° 34869/05), qu'il convient d'interpréter la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de manière à la concilier le plus possible avec les autres règles du droit international, dont cette dernière fait partie intégrante, telles que celles relatives à l'immunité des Etats étrangers, de sorte que le droit d'accès à un tribunal, tel que garanti par l'article 6 de cette Convention, et dont l'exécution d'une décision de justice constitue le prolongement nécessaire, ne s'oppose pas à une limitation à ce droit d'accès, découlant de l'immunité des Etats étrangers, dès lors que cette limitation est consacrée par le droit international et ne va pas au-delà des règles de droit international généralement reconnues en matière d'immunité des Etats ;
Et attendu qu'ayant relevé, d'une part, que les saisies litigieuses portaient sur des créances fiscales et sociales de l'Etat argentin, c'est-à-dire sur des ressources se rattachant nécessairement à l'exercice par cet Etat des prérogatives liées à sa souveraineté et, d'autre part, que les contrats d'émission d'obligations ne prévoyaient aucune renonciation expresse de la République argentine à son immunité d'exécution sur ses ressources de nature fiscale ou sociale, la cour d'appel en a exactement déduit que les saisies litigieuses étaient nulles ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le deuxième moyen, pris en ses deux premières branches :
Attendu que le rejet des deux dernières branches et du troisième moyen rend ces griefs inopérants ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.