CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 21 octobre 2021, n° 20/115887
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
L'Autorité des Marchés Financiers
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Schmidt
Conseillers :
Mme Maitrepierre, Mme Brun-Lallemand
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Boillot
FAITS ET PROCÉDURE
MOTIVATION
I. SUR LE CARACTÈRE PROBANT DU FAISCEAU D'INDICES RETENU PAR LA DÉCISION ATTAQUÉE POUR CONSIDÉRER QUE SEULE LA DÉTENTION D'UNE INFORMATION PRIVILÉGIÉE PERMETTAIT D'EXPLIQUER LES OPÉRATIONS DE M. YAO6
A. Sur le caractère atypique des achats de titres Club Med effectués par Monsieur [X] au regard de ses habitudes d'investissement7
B. Sur les relations professionnelles entre M. [X] et Mme [H]8
C. Sur le moment de l'investissement et les justifications avancées 10
II. SUR LA SANCTION PRONONCÉE À L'ENCONTRE DE M. YAO14
III. SUR L'ANONYMISATION DE LA DÉCISION16
IV. SUR LES DÉPENS ET LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES17
FAITS ET PROCÉDURE
1.La société Club Méditerranée (ci-après « Club Med ») est la société mère d'un groupe spécialisé dans l'exploitation de villages de vacances haut de gamme, dont les actions étaient, à l'époque des faits, admises à la négociation sur le compartiment B d'Euronext Paris.
2.Par un communiqué du 27 mai 2013, les sociétés Fosun et Axa Private Equity (ci-après « AXA PE »), principaux actionnaires de Club Med, ont annoncé leur intention de déposer, conjointement avec la direction de cette dernière, un projet d'offre publique d'achat (ci-après « OPA ») « amicale » sur les titres Club Med, par l'intermédiaire de leur holding commune Gaillon Invest, au prix de 17 euros par action.
3.Le groupe chinois Fosun était actionnaire de la société Club Med depuis le 13 mai 2010 avec une participation de 7,1 % puis de 9,96 %. La clause contractuelle (dite de standstill) stipulée dans l'accord de partenariat conclu le 13 juin 2010, qui lui interdisait de prendre une participation supérieure à 10 %, avait expiré le 7 mars 2013.
4.Au cours de la période précédant l'annonce de l'OPA, la direction de surveillance des marchés de l'Autorité des marchés financiers (ci-après « l'AMF ») a identifié plusieurs opérations suspectes sur le titre.
5.Le 6 août 2013, une enquête a été ouverte par l'AMF portant sur « l'information financière et le marché du titre Club Méditerranée, ou tout instrument financier qui lui serait lié, à compter du 1er juillet 2012 ».
6.Pour les besoins de cette enquête, l'AMF a obtenu le concours des autorités de supervision hongkongaise, la Securities and Futures Commission (SFC), et chinoise, la China Securitises Regulatory Commission (CSRC).
7.L'enquête a donné lieu à un rapport daté du 1er décembre 2017 sur la base duquel le collège de l'AMF a, le 15 décembre 2017, décidé de notifier des griefs à :
– M. [X], directeur général de Forever Winner International Development Ltd (ci-après « FWI ») et directeur exécutif de la société Strong Petrochimical depuis 2008, qui exerce dans le domaine du trading de pétrole brut depuis 30 ans ;
– Mme [H], membre du conseil d'administration de la société Stong Petrochimical et administratrice non exécutive de la société chinoise de services financiers Tebon Securities Co Ltd (ci-après, « Tebon ») ;
– la société FWI.
8.Les notifications de griefs, accompagnées de leur traduction en mandarin, ont été adressées aux mis en cause le 16 juillet 2018.
9.Elles retiennent que l'information relative à « l'offre publique d'achat de Fosun et Axa PE sur les titres Club Med » revêtait « au plus tard le 10 avril 2013 » les caractéristiques d'une information privilégiée et reprochent aux mis en cause d'avoir manqué à leur obligation d'abstention d'utilisation de cette information privilégiée à l'occasion de leurs interventions sur le titre Club Med, dans une période contemporaine de l'OPA, en méconnaissance des dispositions des articles 622-1 et 622-2 du règlement général de l'AMF.
10.Il est ainsi reproché à :
– M. [X], d'avoir acquis, sur le fondement de cette information privilégiée, entre le 29 avril et le 7 mai 2013, 79 387 actions Club Med au cours moyen de 12,86 euros, lesquelles ont été cédées intégralement le 27 mai 2013, jour de l'annonce de l'OPA de Fosun et Axa PE, au cours moyen de 17,02 euros, occasionnant une plus-value de 323 941 euros ;
– la société FWI, d'avoir acquis sur le fondement de l'information privilégiée précitée et à l'initiative de son directeur général M. [X], les 29, 30 avril et 2 mai 2013, 70 000 actions Club Med à un cours moyen de 12,89 euros, lesquelles ont été cédées intégralement le jour de l'annonce de l'OPA, à un cours moyen de 17,01 euros, occasionnant une plus-value de 285 995 euros ;
– Mme [H], d'avoir acquis, sur le fondement de l'information privilégiée précitée, entre le 3 et le 22 mai 2013, 51 800 actions Club Med au cours moyen de 13,21 euros, lesquelles ont été cédées intégralement le jour de l'annonce de l'OPA, à un cours moyen de 17,01 euros, occasionnant une plus-value 196 095 de euros.
11.Ces notifications de griefs ont été transmises à la présidente de la Commission des sanctions, laquelle a désigné un rapporteur le 25 juillet 2018.
12.La Commission des sanctions de l'AMF (ci-après « la Commission des sanctions ») s'est prononcée le 28 février 2020 (ci-après « la décision attaquée »).
13.Elle s'est fondée sur un faisceau d'indices, desquels elle a déduit que « seule la détention de l'information privilégiée permettait d'expliquer les opérations de M. [X] » (paragraphe 60) et que, partant, le manquement d'initié était caractérisé. Elle avait préalablement examiné les justifications apportées par l'intéressé s'agissant de cet investissement et avait considéré qu'elles n'étaient pas convaincantes (paragraphes 58-59).
14.Elle a sanctionné M. [X] à hauteur d'un million d'euros au visa des articles 622-1 et 622-2 du règlement général de l'AMF (ci-après le « RGAMF »).
15.Elle a en outre ordonné la publication de sa décision sur le site internet de l'AMF et a fixé à cinq ans, à compter de la date de la décision, son maintien en ligne de manière non anonyme.
16.La Cour est saisie du seul recours de M. [X], lequel demande :
À titre principal :
– d'annuler la décision en ce qu'elle a considéré le grief notifié comme étant caractérisé, prononcé à son encontre une sanction pécuniaire et ordonné la publication de la décision sous une forme non anonymisée le concernant ;
En conséquence et statuant à nouveau,
– de le mettre hors de cause ;
– d'ordonner la publication de la décision du 28 février 2020 sur le site de l'AMF sous une forme garantissant l'anonymat de l'intéressé ;
À titre subsidiaire :
– de juger que la sanction est disproportionnée ;
En conséquence,
– de réformer la décision attaquée en ce qui concerne le quantum de la sanction et le défaut d'anonymisation de la décision à son égard ;
– de juger que les circonstances ne sont pas de nature à justifier qu'une sanction lui soit infligée ;
– d'ordonner la publication de la décision du 28 février 2020 sur le site de l'AMF sous une forme garantissant l'anonymat de l'intéressé ;
En tout état de cause,
– de condamner l'AMF à lui verser la somme de 60 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
17.L'AMF et le ministère public invitent la Cour à rejeter le recours.
MOTIVATION
18.À titre liminaire, la Cour précise, en premier lieu, ainsi que l'a relevé la décision attaquée, que les faits reprochés doivent être examinés à la lumière des dispositions des articles 622-1 et 622-2 du RGAMF, dans leur rédaction en vigueur à la date des faits (soit en 2013), aux termes desquelles l'obligation d'abstention d'acquérir ou céder des instruments financiers auxquels se rapporte l'information privilégiée s'applique aux initiés primaires (dirigeants de l'émetteur, actionnaires de l'émetteur, personnes ayant accès à l'information du fait de leur travail, de leur profession ou de leurs fonctions) mais aussi à « toute autre personne détenant une information privilégiée et qui sait ou qui aurait dû savoir qu'il s'agit d'une information privilégiée. ».
19.Les dispositions du règlement no 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (ci-après le « règlement MAR »), entrées en application le 3 juillet 2016, qui définissent aux articles 8 et 14 les opérations d'initié en des termes équivalents à celles des articles 622-1 et 622-2 du RGAMF, ne sont pas moins sévères que ces dernières et ne sont donc pas susceptibles de recevoir une application rétroactive.
20.En deuxième lieu, il n'est pas contesté, dans le cadre du présent recours, que l'information relative au projet d'OPA a revêtu un caractère privilégié à compter du 10 avril 2013 et qu'elle est restée privilégiée jusqu'à l'annonce de celle-ci le 27 mai 2013.
21.Enfin, il sera rappelé que la détention de l'information privilégiée est un fait qui se prouve par tous moyens, notamment, par un faisceau d'indices graves, précis et concordants duquel il résulte que seule cette détention permet d'expliquer les opérations auxquelles les personnes mises en cause ont procédé, sans qu'il soit nécessaire d'établir précisément les circonstances dans lesquelles l'information est parvenue à la personne qui l'a utilisée, mais à condition que le rapprochement de ces indices l'établisse sans équivoque et que les justifications avancées par les personnes poursuivies ne permettent pas d'écarter les soupçons et indices motivant les poursuites.
I. SUR LE CARACTÈRE PROBANT DU FAISCEAU D'INDICES RETENU PAR LA DÉCISION ATTAQUÉE POUR CONSIDÉRER QUE SEULE LA DÉTENTION D'UNE INFORMATION PRIVILÉGIÉE PERMETTAIT D'EXPLIQUER LES OPÉRATIONS DE M. [X]
22.Selon la Commission des sanctions, le faisceau d'indices graves, précis et concordants duquel il résulte que seule la détention de l'information privilégiée permet d'expliquer les opérations de M. [X] tient :
– au caractère atypique des achats de titres Club Med effectués par ce dernier au regard de ses habitudes d'investissement ;
– au moment opportun auquel ces investissements ont été réalisés ;
– aux liens professionnels entre ce dernier et Mme [H] ;
– à l'absence de justifications convaincantes au soutien de la décision d'investissement.
23.M. [X] conteste le caractère probant de chacun de ces indices.
A. Sur le caractère atypique des achats de titres Club Med effectués par Monsieur [X] au regard de ses habitudes d'investissement
24.La Commission des sanctions, dans la décision attaquée a retenu, en premier lieu, que M. [X] n'avait jamais investi auparavant dans le secteur du tourisme, la plupart de ses investissements concernant le secteur de l'énergie, et, en second lieu, que M. [X] n'avait jamais investi auparavant dans une société européenne, l'unique investissement réalisé dans une société non chinoise concernant, selon les indications de l'intéressé, une société canadienne de transport. Elle a considéré que l'investissement de M. [X] en mars 2011 dans un projet d'infrastructure situé dans la ville chinoise hôte des Jeux Olympiques d'hiver de 2022 n'était pas à lui seul suffisant pour constituer un précédent. Elle en a déduit que l'investissement de M. [X] était atypique, tant au regard du secteur d'activité que de la zone géographique concernés.
25.M. [X] souligne, à titre préliminaire, que le rapport d'enquête a conclu que « le montant des sommes investies sur Club Med par M. [V] [X], à titre personnel et pour le compte de la société FWI, ne semble pas atypique au regard de la taille des portefeuilles d'investissement et des investissements déjà réalisés sur la période couverte par les relevés fournis par l'intéressé à savoir du 1er janvier 2013 au 31 mai 2013 ».
26.S'agissant, en premier lieu, du secteur d'activité, il fait valoir avoir investi en 2014 un montant de 3 022 904 dollars canadiens dans Bombardier, société canadienne cotée du secteur de l'aéronautique et avoir investi en mars 2011, au travers de la société Sunflower Land holdings Limited, un montant de 18 millions d'euros dans le cadre d'un projet portant sur le complexe touristique situé à la station de ski [Localité 3], qui a vocation à accueillir les Jeux olympiques d'hiver en 2022 et qui sera la plus importante de Chine.
27.S'agissant, en second lieu, du secteur géographique, il souligne que Club Med n'avait cessé d'afficher au moment des opérations litigieuses sa volonté de devenir un leader sur le marché chinois. Il estime que la levée de la clause de standstill est un « événement clé » et relève que, selon le journal Les Échos du 7 mars 2013, si l'un des représentants de Fosun au Conseil d'administration de Club Med restait « muet » quant au renforcement de la participation de Fosun, M. [T] [M], dirigeant du Club Med, avait « déjà laissé entendre qu'il accueillerait favorablement une montée au capital de Fosun ». Le positionnement de Club Med en Chine et la présence de Fosun au capital, ainsi que le renforcement attendu de la participation de cette dernière, donnaient tout son sens aux acquisitions de titres effectuées par M. [X], investisseur chinois.
28.L'AMF fait valoir en réponse que le constat relatif à l'absence d'atypie de l'investissement de M. [X] au regard des montants investis a été pris en compte par la Commission des sanctions, ainsi qu'il ressort du paragraphe 53 de la décision attaquée. Elle observe que les pièces produites par le requérant relatives à la station de ski chinoise ne sont pas nouvelles. Elle considère, que les arguments présentés par M. [X] ne sont pas de nature à remettre en cause les constats des enquêteurs et l'analyse retenue par la Commission des sanctions.
29.Le ministère public développe la même analyse.
Sur ce, la Cour,
30.En premier lieu, il résulte du relevé de compte titres de M. [X] que, sur la période du 1er janvier au 31 mai 2013, ce dernier n'a réalisé qu'une seule transaction dans le secteur du tourisme, celle portant sur les titres du Club Med.
31.L'unique précédent d'investissement dans ce secteur est intervenu deux ans auparavant, le 29 mars 2011, via la société Sunflower Land Holdings Limited. Il a porté sur une société ayant pour objet la construction d'un complexe touristique dans une station de ski chinoise de neige artificielle développée dans la perspective des jeux olympiques d'hiver Pekin 2022, et dont les titres ne sont pas côtés, de sorte que cet investissement n'est pas comparable à celui réalisé dans le Club Med. En outre, la réalisation d'un investissement par l'intermédiaire d'une société n'a pas le même impact en terme d'exposition au risque qu'un investissement réalisé à titre personnel.
32.En second lieu, il ressort des éléments recueillis que M. [X] n'avait jamais investi, avant les transactions litigieuses, dans une entreprise non chinoise.
33.L'unique investissement hors de Chine dont l'intéressé fait état concerne la société canadienne Bombardier, spécialisée dans la construction de moyens de transports, dont les titres ont été acquis du 6 au 19 août 2014, soit plus d'un an après les opérations litigieuses.
34.Club Med, nonobstant son positionnement en Chine et son actionnaire minoritaire (9,96 %) chinois Fosun, est une société de droit français, dont les actions étaient admises aux négociations sur un seul marché, Euronext Paris. Le nombre de villages de vacances qu'elle exploitait en Chine était peu élevé (cote D8740, 3 sur 66 au 31 octobre 2014, soit moins de 5 %).
35.Dans un courriel intitulé « buy Europe shares » adressé, le 29 avril 2013, à son correspondant chez Goldman Sachs Hong Kong, M. [X] écrit : « Do I need to swap currency to buy club med – is this shares also available in USD quotes in New York ? » (traduction libre : « Ai-je besoin de procéder à un change de devises pour acheter du club med – Est-ce que cette action est aussi disponible en cotation en USD à New-York ? »). Cette question démontre que l'intéressé n'était pas familier avec l'achat d'actions françaises et ne connaissait pas les démarches à accomplir, d'une part, et qu'il était déterminé à acheter des titres Club Med, d'autre part.
36.C'est donc à juste titre que la Commission des sanctions a retenu que l'investissement de M. [X] revêtait un caractère atypique, tant au regard du secteur d'activité que du secteur géographique, et en a déduit l'existence d'un indice de la détention et de l'utilisation de l'information privilégiée par ce dernier.
B. Sur les relations professionnelles entre M. [X] et Mme [H]
37.Dans la décision attaquée, la Commission des sanctions a, en premier lieu, retenu l'existence de liens professionnels entre Fosun et Mme [H] par le biais de Tebon. À cet égard, elle a constaté que Mme [H] était, à la date des faits, vice-présidente et directrice financière deTebon, laquelle avait le même actionnaire de contrôle que Fosun, M. [O] [F], que l'intéressée a dit connaître personnellement pour l'avoir rencontré lors d'une réunion annuelle de Fosun. Elle a également relevé que Tebon mentionne sur son site internet utiliser l’expertise et les ressources du groupe Fosun, avec lequel elle est en lien constant. La Commission des sanctions a déduit de l'existence de ces liens professionnels un circuit plausible de transmission de l'information privilégiée de Fosun à Mme [H] (paragraphe 39 de la décision attaquée).
38.En second lieu, la Commission des sanctions a retenu l'existence de liens professionnels entre M. [X] et Mme [H] par le biais de la société Strong Petrochimical dont Mme [H] était, à la date des faits, administratrice indépendante et M. [X], le directeur général. Elle en a déduit que, si les pièces du dossier n'établissent pas formellement l'existence d'un contact entre Mme [H] et M. [X] entre le 10 avril 2013 et le début des investissements de ce dernier dans Club Med, l'existence de liens professionnels entre eux au travers de la société Strong Petrochimical était susceptible de révéler un circuit plausible de transmission de l'information privilégiée pouvant constituer un indice supplémentaire de détention et d'utilisation de cette dernière. (Paragraphe 55 de la décision attaquée).
39.M. [X] soutient que cet indice procède d'approximations et n'est établi par aucun élément. Il fait valoir que les sociétés Fosun et Tebon n'ont aucun lien capitalistique entre elles. Il ajoute que le fait Mme [H] ait dit connaître M. [O] [F], ce qui est normal compte tenu des fonctions qu'elle exerçait au sein de Tebon et du statut d'actionnaire de l'intéressé, n'est pas de nature à établir un circuit plausible de transmission d'une information de Fosun à Mme [H], étant observé par ailleurs que les membres du conseil d'administration de Fosun ont déclaré ne pas connaître M. [X].
40.M. [X] fait en outre valoir que lors de son audition, Mme [H] a dit n'avoir aucune relation avec lui, « à l'exception d'une à deux réunions annuelles » pour la société Strong Petrochimical et qu'elle a indiqué n'avoir jamais parlé du Club Med avec lui, ni de la situation de ses investissements. Il fait observer qu'une réunion du conseil d'administration de Strong Petrochimical a eu lieu le 27 mars 2013, mais qu'elle est antérieure à la période durant laquelle l'information était privilégiée, et que Mme [H], de surcroît, n'y a pas participé, comme l'indique le procès-verbal dressé. La réunion suivante a eu lieu le 24 juin 2013, soit un mois après l'annonce de l'OPA.
41.M. [X] se prévaut, par ailleurs, de l'analyse du rapporteur de la Commission des sanctions dans son rapport, au terme de laquelle le calendrier des acquisitions effectuées tend à remettre en cause la thèse de la poursuite selon laquelle Mme [H] aurait transmis l'information privilégiée à M. [X] dès lors que les premières acquisitions de titres Club Med de la part de M. [X] et FWI, soit le 29 avril 2013, sont antérieures à celles effectuées par Mme [H] intervenues le 3 mai 2013, alors même que celle-ci serait le transmetteur selon la poursuite. Il ajoute que le circuit de transmission de l'information n'est accrédité en l'état de façon sérieuse par aucun fait tangible.
42.M. [X] se réfère, enfin, à la pratique décisionnelle de la Commission des sanctions de l'AMF selon laquelle le simple fait d'être en relation avec une personne susceptible d'être en possession d'une information privilégiée ne suffit pas à établir de manière certaine la détention d'une telle information (décisions SAN-2008-26 du 9 octobre 2008, SAN-2010-02 du 15 octobre 2009 et no 2007/18 du 25 avril 2019).
43.L'AMF fait valoir que par un arrêt no 11/22467 du 8 novembre 2012, la cour d'appel de Paris a précisé que le rapport du rapporteur n'est qu'un élément de réflexion parmi d'autres au vu duquel la Commission des sanctions prononce sa décision. Les membres de celle-ci, qui ne sont pas liés par la teneur ou les conclusions du rapport, doivent simplement s'attacher à motiver en fait et en droit la décision qu'ils prononcent en exposant et explicitant leur propre appréciation des éléments de ce rapport.
44.Elle souligne qu'il ressort du dossier que M. [X] avait des relations professionnelles avec Mme [H] au travers la société Strong Petrochimical, alors que Mme [H] était également en relation professionnelle avec Fosun par le biais de la société Tetbon. Elle observe aussi qu'il est précisé page 209 du rapport annuel de Fosun 2019, que M. [X] évoque, que Tebon est une société « contrôlée par l'actionnaire ultime » de Fosun, à savoir M. [O] [F]. Elle fait valoir, en outre, que les acquisitions de titres Club Med de Mme [H] et de M. [X] ont eu lieu à la même période. Elle soutient que si aucun élément du dossier n'établit formellement l'existence d'un contact entre Mme [H] et M. [X] entre le 10 et le 29 avril 2013, ce que la Commission des sanctions a expressément pris en compte, cette circonstance ne saurait à elle seule suffire à écarter l'existence d'un circuit plausible de transmission, l'absence d'une telle preuve ne remettant pas en cause la possibilité de contacts entre M. [X] et Mme [H]. Elle rappelle enfin que le fait que M. [X] ait été en relation professionnelle avec Mme [H] n'est pas le seul indice sur lequel la décision repose pour établir la détention de l'information privilégiée, celle-ci conformément à la jurisprudence, se fondant sur un faisceau d'indices graves, précis et concordants.
45.Le ministère public développe une argumentation similaire.
Sur ce, la Cour,
46.En premier lieu, il ressort de l'annexe 13-6-1 du rapport d'enquête intitulée « réponse de Fosun » que l'actionnaire majoritaire et PDG de Fosun, M. [O] [F], détenait à l'époque des faits 93,74 % de Tebon, par l'intermédiaire de sa société personnelle Shanghai Xingye Investment Development et « au porteur à hauteur de 64,45 % ».
47.Il résulte des captures d'écran figurant à l'annexe 13-8 du rapport d'enquête intitulée « éléments de liens entre Tebon et Fosun » que Tebon, qui se classe, en termes de taille, dans le milieu du tableau des banques d'investissement chinoises, travaille directement avec le groupe Fosun, dont elle utilise l'expertise et les ressources. Tebon a aussi co-investi avec Fosun ou ses filiales, Fosun Pharma notamment. Selon la formule utilisée par M. [O] [F] dans un courrier transmis par son avocat, c'est une société « affiliée à Fosun International » (annexe 13-6).
48.Interrogés par écrit par les enquêteurs sur les liens qu'ils entretenaient avec Mme [H] et la société Tebon, les membres du conseil d'administration de Fosun ont au demeurant tous reconnu le lien professionnel qui les unissait à Tebon et, pour certains, à Mme [H], la vice-présidente et directrice financière de Tebon, en fonction depuis septembre 2006 (annexe 13-6).
49.L'ampleur des liens ainsi établis entre Fosun et Tebon, ainsi que les fonctions précitées de Mme [H] au sein de Tebon, étayent l'existence d'un circuit plausible de transmission de l'information en cause.
50.En deuxième lieu, il est constant que M. [X] dirige depuis 2008 la société Strong Petrochimical Holdings, société cotée à la bourse de Hong Kong et que, depuis le 28 novembre 2008, Mme [H] est présidente du comité des rémunérations, membre du comité d'audit et membre du conseil d'administration de cette société (page 34 du rapport d'enquête). Les fonctions exercées par chacun d'entre eux depuis plus dix ans au sein de la même société permet de déduire l'existence de liens professionnels étroits de longue date rendant plausible la transmission par Mme [H] de l'information privilégiée à M. [X].
51.En troisième lieu, il importe peu que M. [X] ait procédé à ses premières acquisitions le 29 avril 2013, avant que Mme [H] ne procède aux siennes le 3 mai suivant, dès lors que ces acquisitions sont intervenues au cours de la même semaine, à quatre jours d'intervalle, de façon quasi-concomitante.
52.C'est donc à juste titre que la Commission des sanctions a retenu que les liens professionnels précités entre M. [X] et Mme [H] étaient susceptibles de révéler un circuit plausible de transmission de l'information privilégiée et en a déduit l'existence d'un indice de la détention et de l'utilisation de l'information privilégiée par ce dernier.
C. Sur le moment de l'investissement et les justifications avancées
53.La Commission des sanctions, au paragraphe 57 de la décision attaquée, rappelle que les acquisitions de M. [X] ont eu lieu entre le 29 avril et le 7 mai 2013, et que les titres ont été intégralement cédés le jour de l'annonce de l'OPA, le 27 mai 2013. Elle en déduit que « les acquisitions (...) ont donc bien eu lieu à un moment opportun ».
54.Elle retient en outre, au paragraphe 59, que les justifications avancées par M. [X] relativement à son investissement dans Club Med ne sont pas convaincantes et ne sauraient donc être de nature à remettre en cause cet indice. Elle a ainsi considéré que Fosun est entrée au capital de Club Med dès 2010, que l'implantation de cette dernière en Chine a été renforcée dès novembre 2011 et que les déclarations du DG de Fosun, qui selon M. [X] permettait d'anticiper le renforcement de cette dernière dans l'actionnariat de Club Med, datent de 2011 et 2012.
55.La Commission des sanctions considère aussi, aux termes de ce même paragraphe, que le fait que la clause de standstill arrivait à échéance le 7 mars 2013, ce qui devait logiquement conduire le marché à s'interroger sur les intentions de Fosun, n'est pas de nature à expliquer les transactions litigieuses aux dates en question. Elle estime que le fait que certains analystes se soient positionnés à l'achat sur le titre Club Med, sans évoquer d'offre publique, et qu'une délégation française se soit rendue au forum franco-chinois en avril 2013 ? forum auquel M. [X] n'a pas participé ? ne saurait remettre en cause cet indice. Elle en conclut que les justifications avancées par M. [X] relativement à son investissement dans Club Med ne sont pas convaincantes.
56.M. [X] soutient que le moment opportun des opérations litigieuses « constitue, le plus souvent, un bon moyen "d'habiller" le faisceau, lorsque la poursuite peine à réunion d'autres indices plus sérieux ». Il cite aussi la pratique décisionnelle selon laquelle le caractère atypique des investissements et leur réalisation à un moment opportun ne peuvent constituer, à eux seuls, un faisceau d'indices graves, précis et concordants.
57.Il ajoute que les explications qu'il a apportées ne sauraient être assimilées à un indice, dans la mesure où elles ont vocation à démontrer que les opérations s'expliquent autrement que par la seule détention d'une information privilégiée et constituent en réalité une cause d'exonération de responsabilité.
58.M. [X] considère avoir fourni des explications objectives établissant que ses achats de titres club Med entre le 29 avril et le 7 mai 2013 s'expliquent autrement que par la seule détention d'une information privilégiée, énumérant les éléments suivants :
– la découverte de Club Med par M. [X] au cours de ses séjours répétés au Club Med dans les Alpes françaises depuis 2004 ;
– l'objectif affiché de Club Med de devenir leader sur le marché chinois ;
– la circonstance que Fosun a laissé entrevoir que sa prise de participation initiale dans Club Med n'était qu'une étape et pourrait donner lieu à une montée au capital, d'autant que M. [X] savait en outre par expérience que les sociétés chinoises n'hésitent pas à mener des stratégies d'acquisitions souvent agressives ;
– l'expiration de la clause de standstill le 7 mars 2013 et les positions publiques des dirigeants de Club Med et de Fosun, ce qui confirmait la probabilité d'un renforcement de la participation de Fosun ;
– la présence d'une délégation de Club Med au forum économique de [Localité 5] qui constituait un indice supplémentaire d'une possible opération concernant Club Med ;
– les recommandations positives des analystes financiers.
59.Il se prévaut enfin de décisions antérieures de la Commission des sanctions « accordant le bénéfice du doute au mis en cause au vu d'explications similaires » ou « tout aussi valables que celles dont il est question ici », en application de la présomption d'innocence.
60.L'AMF, en réponse, fait valoir que dans son arrêt no 19/3007 du 19 décembre 2019, la cour d'appel de Paris cite « l'absence de justification convaincante permettant d'expliquer les interventions des requérants autrement que par la détention d'une information privilégiée » parmi les indices composant le faisceau utilisé en jurisprudence.
61.Elle observe en outre qu'ainsi qu'il ressort du paragraphe 58 de la décision attaquée, les justifications avancées ne sont pas nouvelles et ont donc déjà été prises en considération par la Commission des sanctions. Elle considère que les justifications apportées, qui ont au demeurant varié dans le temps, ne peuvent justifier la décision d'investissement à la date à laquelle elle est intervenue.
62.Elle ajoute que les acquisitions « agressives » évoquées à titre d'illustration par l'auteur du recours concernent des entreprises intervenant dans des secteurs de l'automobile, du matériel et de la santé qui ne sont pas comparables avec Club Med et qu'il n'est pas crédible de considérer que toutes entreprises chinoises, y compris Fosun, adoptent cette stratégie d'investissement vis-à-vis des sociétés étrangères.
63.Elle observe que, quand bien même l'étude de mars 2013 versée aux débats pourrait avoir été prise en compte pour justifier la décision d'investissement de M. [X] intervenue deux mois plus tard, celle-ci, d'une seule page, rédigée en langue chinoise et traduite partiellement, ce qui la rend inexploitable en l'état, fait apparaître qu'elle porte sur l'investissement de Fosun dans Club Med mais ne présente, pour les parties traduites, aucun élément qui pourrait justifier une décision d'investissement.
64.Elle souligne, enfin, que les décisions antérieures de la Commission des sanctions citées par le requérant ne sont pas transposables au cas d'espèce et qu'en toute hypothèse, la détention d'une information privilégiée s'apprécie in concreto, au regard des circonstances de l'espèce, de sorte que les comparaisons avec d'autres décisions en matière de manquement d'initiés sont inopérantes.
65.Le ministère public développe la même analyse.
Sur ce, la Cour,
66.Concernant le dernier élément pris en compte par la Commission des sanctions, tenant à l'absence de justifications convaincantes concernant la décision d'investissement, il y a lieu de constater, en premier lieu, que M. [X] fait état d'événements anciens qui ne peuvent utilement être considérés comme une justification permettant d'expliquer ses interventions autrement que par la détention d'une information privilégiée.
67.Il n'y a, ainsi, pas lieu de considérer que la circonstance que M. [X] ait fréquenté depuis 2004 à l'occasion des sports d'hiver des établissements du Club Med soit un argument convaincant pour expliquer sa décision d'investir à partir du 29 avril 2013, soit 9 ans après son premier séjour.
68.Il en est de même de l'objectif affiché du Club Med de devenir leader du marché chinois, dans la mesure où cet élément est principalement documenté par une étude de 2011, des communiqués de presse et des rapports annuels de Club Med datant de 2010 à 2012, soit bien antérieurs aux acquisitions litigieuses. S'agissant plus précisément de l'ouverture du Club Med à [Localité 4], il doit être observé que l'annonce s'est faite par un communiqué de presse du 10 novembre 2011, avec une date de préouverture fixée à l'été 2012 (cote R0040).
69.La donnée illustrant l'augmentation des clients du Club Med en Chine (+ 42 % entre 2009 et 2010) citée dans les écritures de M. [X], même combinée au taux de croissance de la Chine en 2013 et à la constatation selon laquelle le tourisme chinois était en plein essor, ne peut pas non plus être un argument convaincant pour expliquer la décision de l'intéressé d'investir à partir du 29 avril 2013, dès lors que par ailleurs, sur les 55 sites exploités par le Club Med, seuls 3 sont situés en Chine.
70.Sont de même très largement antérieurs aux ordres d'achat l'article publié dans Les Echos, relayée par Reuters le 19 juillet 2010, titré « Club Mediterrannée : le chinois Fosun veut détenir 10 % du Club Med fin 2010 » et l'interview d'un dirigeant de Fosun du 23 novembre 2012.
71.Il convient, en deuxième lieu, de souligner que, si l'expiration de la clause de standstill devait logiquement conduire le marché à s'interroger sur les intentions de Fosun, cet élément n'est pas de nature à expliquer les transactions réalisées par M. [X] entre le 29 avril et le 7 mai 2013.
72.Cette clause a en effet pris fin le 7 mars 2013, soit près de deux mois avant les premières interventions.
73.En outre, l'article publié dans les Échos du 7 mars 2013 indiquait seulement que l'un des deux représentants de Fosun au conseil d'administration de Club Med « est resté muet quant au renforcement de la participation de Fosun » et que « [T] [M] a déjà laissé entendre qu'il accueillerait favorablement une montée au capital de Fosun ». L'article du Monde du 8 mars 2013, s'il évoquait les propos de ce même dirigeant quant à « l'aventure chinoise menée en alliance avec Fosun », comportait en outre la précision apportée par [T] [M] selon laquelle Fosun « souhaite monter progressivement (?) sans dépasser les 30 % qui l'obligeraient à lancer une OPA » (souligné par la Cour). Si M. [X] a pu anticiper, à la lecture de ces articles, que Fosun augmenterait probablement sa participation dans Club Med, cette anticipation ne saurait expliquer les interventions réalisées à un moment opportun, entre le 29 avril et le 7 mai 2013.
74.Il doit être relevé, en troisième lieu, que la simple présence d'une délégation française au forum économique de [Localité 5], auquel M. [X] n'a pas participé et dont il ne peut être déduit un renforcement de la participation de Fosun dans Club Med du seul fait de la présence de M. [M], n'est pas de nature à constituer une justification convaincante permettant d'expliquer la décision d'investissement à cette date.
75.Il y a lieu de constater, enfin, que les recommandations positives des analystes financiers de la Société générale, de Natexis et d'Auerbach Grayson (en partenariat avec [J] [P]), intervenues à compter du 7 mars 2013, indiquent certes des objectifs de cours respectivement de 16,6 euros, 17 euros et 17,2 euros. Cependant, ainsi qu'il ressort du rapport d'enquête (p. 10 et 11) ces analyses reposent sur des données qui ne sont pas nouvelles (résultats du Club Med publiés le 7 décembre 2012, bonne résistance du groupe par comparaison avec d'autres sociétés du secteur, pertinence du business model et des choix stratégiques) et qui pouvaient faire l'objet de plusieurs grilles de lecture (JP Morgan et Kepler Research étant par exemple restés « neutres » dans leurs analyses respectives des 7 et 10 décembre 2012).
76.Il ressort de l'ensemble des pièces du dossier qu’« en mars 2013, lorsque la clause de sandstill de Fosun a pris fin, les analystes n'ont pas manqué de relever ce fait et sont restés dans l'attente des ambitions de l'actionnaire chinois » (rapport d'enquête p.11). Or, M. [X] a débuté ses premières acquisitions de titres le 29 avril 2013, soit plus d'un mois et demi après les recommandations positives des 7 et 8 mars 2013 qu'il évoque. Ces dernières ne peuvent constituer une justification suffisante permettant d'expliquer les interventions de M. [X].
77.Il s'en déduit que la Commission des sanctions était fondée à retenir l'absence de justifications convaincantes au soutien de la décision d'investissement, intervenue opportunément un mois avant l'annonce de l'OPA.
78.Les indices précités, tenant à l'atypie des investissements litigieux, à leur réalisation à un moment opportun, aux liens professionnels existants entre Mme [H] et M. [X], constitue un faisceau d'indices graves, précis et concordants duquel il résulte, en l'absence de justifications convaincantes au soutien de sa décision d'investissement, que seule la détention de l'information privilégiée permet d'expliquer les opérations de M. [X].
79.Il convient en conséquence d'écarter le moyen.
II. SUR LA SANCTION PRONONCÉE À L'ENCONTRE DE M. [X]
80.Pour prononcer une sanction pécuniaire d'un million d'euros à l'encontre de M. [X], la Commission des sanctions a retenu, au paragraphe 70 de la décision attaquée que ce dernier « était particulièrement averti des obligations d'abstention d'utilisation d'une information privilégiée, tant au titre de ses fonctions professionnelles que de ses activités d'investisseur averti effectuant de nombreux investissements sur plusieurs places financières. Le manquement d'utilisation de l'information privilégiée lui a permis de réaliser une plus-value de 323 941 euros à titre personnel et a permis à FWI de réaliser une plus-value de 285 995 euros. ».
81.Elle a en outre tenu compte « de l'absence de coopération de M. [X] qui ne s'est présenté ni devant le rapporteur ni à la séance de la commission des sanctions. ».
82.Enfin, elle a constaté qu’« aucun justificatif concernant ses ressources personnelles ou les résultats de FWI ne figure au dossier ».
83.M. [X] fait valoir que la sanction pécuniaire prononcée à son encontre est totalement disproportionné en raison, premièrement, d'une absence de preuve tangible que la détention par lui d'une information privilégiée, ce qui aurait du conduire à une certaine modération dont la Commission des sanctions s'est affranchie en prononçant une sanction représentant plus de 3 fois le montant de la plus-value estimée. Il souligne en deuxième lieu n'avoir jamais été poursuivi auparavant pour abus de marché ni en France ni à l'étranger.
84.Il soutient, enfin, avoir collaboré tout au long de l'enquête, en transmettant les éléments demandés à la SFC, puis en déposant des observations en réponse à la notification de griefs. Il n'a pas été entendu par le rapporteur pour des raisons, selon lui, de calendrier. Il dit ne pas avoir mesuré les conséquences d'un défaut de comparution lors de la séance, étant entendu qu'il n'a pas refusé de comparaître, mais a fait savoir, par l'intermédiaire de son conseil hong-kongais, le 17 janvier 2020, que la date, fixée au 24, était incompatible avec ses engagements pris précédemment et les célébrations du nouvel an chinois. Le report de la séance lui a été refusé, ce qui rétrospectivement surprend car la période coïncide avec la très forte propagation de l'épidémie de Covid 19 en Chine. Il lui semble en outre difficile de concevoir que le calendrier de la Commission des sanctions n'aurait permis aucun décalage. Le différend qui l'a en outre, selon lui, opposé à son conseil français de l'époque, en fin de procédure, a conduit ce dernier à considérer qu'il n'était plus son conseil, si bien que cette situation a assurément rejailli sur les délibérations.
85.L'AMF souligne en réponse que c'est à juste titre que la Commission des sanctions a retenu que M. [X] était un professionnel et un investisseur particulièrement averti, d'une part, et qu'il avait réalisé une plus-value de 323 941 euros d'autre part. Elle fait valoir aussi que M. [X] est la seule personne ayant passé les ordres sur les titres Club Med pour le compte de FWI, condamnée par ailleurs. Elle rappelle que le montant des sanctions est déterminé dans le respect de la personnalité des peines et observe que le montant de la plus-value réalisée à titre personnel par M. [X] est plus importante que celle réalisée par FWI. Elle souligne aussi que M. [X] ne produit pas davantage d'éléments relatifs à son patrimoine devant la Cour et que cette absence de production fait obstacle à ce que soit établie une quelconque disproportion de la sanction prononcée. S'agissant, enfin, du manque de coopération de M. [X], l'AMF renvoie à la lecture attentive des pièces du dossier. Elle observe que l'argument de l'épidémie du Covid 19 semble opportuniste, compte tenu de l'évolution de cette épidémie, et dans la mesure où il n'a pas été évoqué lors de la demande de report en décembre 2019.
86.Le ministère public développe une argumentation similaire. Il observe, sur la base des éléments circonstanciés soumis au contradictoire, que M. [X] a, de fait, très peu coopéré à la procédure.
Sur ce, la Cour,
87.Le III ter de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, dans sa version en vigueur depuis le 11 décembre 2016, définit comme suit les critères à prendre en compte pour déterminer la sanction :
« Dans la mise en oeuvre des sanctions mentionnées aux III et III bis, il est tenu compte notamment :
– de la gravité et de la durée du manquement ;
– de la qualité et du degré d'implication de la personne en cause ;
– de la situation et de la capacité financières de la personne en cause, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ;
– de l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ;
– des pertes subies par des tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ;
– du degré de coopération avec l'Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l'avantage retiré par cette personne ;
– des manquements commis précédemment par la personne en cause ;
– de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter toute réitération du manquement ».
88.En l'espèce, il convient, tout d'abord, de tenir compte de la qualité de M. [X], qui est le fondateur de la société Strong Petrochemical, cotée à la bourse de Hong-Kong, dont le chiffre d'affaires s'élevait à 1,5 milliards d'euros en 2013 (rapport d'enquête p. 31) et dont il est toujours le dirigeant. Ainsi qu'il l'admet dans ses écritures, il intervient régulièrement sur les marchés financiers et, investisseur expérimenté, il est classé dans la catégorie des investisseurs offensifs par sa banque. C'est donc un professionnel averti.
89.De surcroît, M. [X] ne conteste pas la proportionnalité du montant de la sanction au regard de sa situation patrimoniale et financière, qu'il n'a pas entendu documenter devant la Commission des sanctions, ni devant la Cour. Il ne fait pas débat qu'il est « un investisseur fortuné » comme l'a exposé son conseil lors de l'audience et les éléments de la procédure établissent qu'il a été en mesure d'acquérir à titre personnel pour 17 millions d'euros d'instruments financiers entre le 1er janvier et le 31 mai 2013 (paragraphe 58 de la décision attaquée).
90.Il doit être tenu compte, par ailleurs, de la plus-value réalisée par M. [X], qui s'élève à la somme de 323 041 euros, montant qu'il ne remet pas en cause.
91.C'est en vain que l'intéressé fait valoir qu'il n'a pas précédemment commis de manquement, le III ter de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, qui prend en compte la réitération, n'érigeant pas l'absence de précédent comme un facteur atténuant.
92.La Cour rappelle enfin que l'intéressé encourt, en application du III de l'article L.621-15 du code monétaire et financier, une sanction de 100 millions d'euros ou du décuple du montant des profits éventuellement réalisés de sorte que la sanction prononcée, de sorte que la sanction prononcée, d'un montant d'un million d'euros, n'excède pas le montant légal.
93.Le montant de la plus-value réalisée, la qualité d'investisseur averti et fortuné de M.[X] suffisent à justifier, peu important son prétendu défaut de coopération, le montant de la sanction prononcée, lequel est également proportionné au regard à la nécessité de garantir le caractère dissuasif de la sanction.
94.Par ces motifs substitués, la décision se trouve légalement justifiée. Le recours est rejeté.
III. SUR L'ANONYMISATION DE LA DÉCISION
95.M. [X] demande que soit ordonnée la publication de la décision attaquée sous une forme garantissant son anonymat.
96.L'AMF et le ministère public s'y opposent, relevant qu'aucun argument n'est développé au soutien de cette demande.
Sur ce, la Cour,
97.Le V de l'article L.621-15 du code monétaire et financier dispose :
« La décision de la commission des sanctions est rendue publique dans les publications, journaux ou supports qu'elle désigne, dans un format proportionné à la faute commise et à la sanction infligée. Les frais sont supportés par les personnes sanctionnées.
La commission des sanctions peut décider de reporter la publication d'une décision ou de publier cette dernière sous une forme anonymisée ou de ne pas la publier dans l'une ou l'autre des circonstances suivantes :
a ) lorsque la publication de la décision est susceptible de causer à la personne en cause un préjudice grave et disproportionné, notamment, dans le cas d'une sanction infligée à une personne physique, lorsque la publication inclut des données personnelles ;
b) lorsque la publication serait de nature à perturber gravement la stabilité du système financier, de même que le déroulement d'une enquête ou d'un contrôle en cours. [?]. ».
98.Il se déduit de ce texte que toute décision de la Commission des sanctions est, par principe, publiée et que ce n'est que si cette publication est susceptible d'entraîner l'un des effets prévus aux a) et b) de ce texte que celle-ci peut décider de ne pas publier la décision, de reporter sa publication ou de la publier sous une forme anonymisée.
99.M. [X] ne fournit aucun élément ni explication établissant que l'une de ces circonstances justifierait, en l'espèce, l'anonymisation qu'il sollicite et, en particulier, n'établit pas en quoi la publication de la décision sur le site internet français de l'AMF lui occasionnerait un préjudice grave et disproportionné.
100.La demande est donc rejetée.
IV. SUR LES DÉPENS ET LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES
101.L'AMF, qui n'a formé aucun recours incident contre la décision attaquée, n'est pas une partie lorsqu'elle se borne à présenter des observations dans le cadre du recours formé contre une décision de la Commission de sanctions. Il s'ensuit que les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile ne sont pas réunies.
102.M. [X], qui succombe, sera condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
REJETTE les moyens d'annulation et de réformation formés par M. [V] [X] contre la décision de la Commission des sanctions no 2 du 28 février 2020 ;
REJETTE sa demande en paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [V] [X] aux dépens.