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Décisions

Cass. 2e civ., 29 mars 1995, n° 93-18.769

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Zakine

Rapporteur :

M. Séné

Avocat général :

M. Monnet

Avocats :

Me Cossa, SCP Waquet, Farge et Hazan, Me Guinard

Paris, du 2 juill. 1993

2 juillet 1993

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 juillet 1993), que, par ordonnance du 17 juin 1993, rendue à la requête des consorts d'Orléans, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a autorisé la saisie-revendication des objets mobiliers que le comte et la comtesse de Paris avaient confiés à la société Sotheby's Monaco, en vue de leur vente publique ; que le juge de l'exécution ayant refusé de rétracter cette ordonnance par décision du 30 juin 1993, le comte et la comtesse de Paris ont interjeté appel ;

Sur le second moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches :

Attendu qu'il est reproché à l'arrêt confirmatif d'avoir refusé d'ordonner la mainlevée de la saisie-revendication, alors, selon le moyen, d'une part, qu'il incombait aux consorts d'Orléans de prouver qu'ils étaient apparemment fondés à requérir la délivrance ou la restitution des meubles litigieux ; qu'en considérant que le comte et la comtesse de Paris n'avaient produit aucun document tendant à établir que la succession de Jean III, Duc de Guise, chef de la Maison de France, avait été réglée par dérogation aux règles habituelles du Code civil, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, violant ainsi les articles 217 du décret du 31 juillet 1992 et 1315 du Code civil ; alors, d'autre part, que, si les souvenirs de famille échappent aux règles normales de dévolution successorale et de partage établies par le Code civil et peuvent être confiés à titre de dépôt à celui des membres de la famille que les tribunaux estiment le plus qualifié, cette exception auxdites règles doit être réservée aux seuls souvenirs de famille ayant une valeur essentiellement morale ; que, dès lors, après avoir constaté que les biens litigieux avaient été proposés à la vente, et en considérant néanmoins, que ces biens devaient être qualifiés de souvenirs de famille " quelle que soit leur valeur vénale ", la cour d'appel a, en toute hypothèse violé le principe concernant l'attribution des souvenirs de famille ; alors, en outre qu'en donnant de la notion de souvenirs de famille une interprétation extensive, en y incluant notamment des tableaux qui ne sont pas des portraits de famille, des albums d'aquarelles illustrant des voyages ou une parure, la cour d'appel a derechef violé le principe concernant l'attribution de tels souvenirs ;

Mais attendu que l'arrêt constate, par motifs propres et adoptés, que certains des objets proposés à la vente présentent un rapport direct avec divers membres de la famille d'Orléans, descendants ou alliés du roi Louis-Philippe et sont revêtus d'une grande valeur affective ; que la cour d'appel a pu en déduire, sans inverser la charge de la preuve, qu'attribués au comte de Paris, ces biens constituent apparemment, quelle que soit leur nature, des souvenirs de famille indisponibles entre ses mains et auxquels leur valeur vénale ne peut, ainsi que le retient justement l'arrêt, faire perdre cette qualité ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen et sur la quatrième branche du second moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir refusé d'ordonner la mainlevée de la saisie-revendication, alors, d'une part, qu'aux termes de l'article 155 du décret du 31 juillet 1992, toute personne apparemment fondée à requérir la délivrance ou la restitution d'un bien meuble corporel peut, en attendant sa remise, le rendre indisponible au moyen d'une saisie-revendication ; qu'en considérant que les consorts d'Orléans, qui n'étaient titulaires ni d'un droit réel ni d'un droit personnel sur les biens litigieux, étaient apparemment fondés à requérir leur délivrance ou leur restitution, en attendant leur remise, la cour d'appel aurait violé le texte susvisé ; alors, d'autre part, subsidiairement, à supposer que certains biens litigieux aient été des souvenirs de famille, hypothèse dans laquelle le comte et la comtesse de Paris en seraient les légitimes propriétaires, la cour d'appel ne pouvait refuser d'ordonner la mainlevée sans constater que les consorts d'Orléans, demandeurs en saisie-revendication, étaient apparemment les plus qualifiés pour se les voir confier à titre de dépôt et cela du vivant du comte et de la comtesse de Paris ;

Mais attendu que la saisie-revendication, destinée à rendre un bien meuble indisponible, en attendant sa remise, est, selon l'article 155 du décret du 31 juillet 1992, ouverte à toute personne apparemment fondée à requérir la délivrance ou la restitution d'un bien de cette nature ; qu'ainsi, après avoir relevé la présence de souvenirs de famille parmi les biens proposés à la vente publique par le comte et la comtesse de Paris, c'est à bon droit que la cour d'appel décide que les autres membres de la famille, apparemment titulaires d'un droit à la conservation des souvenirs de famille dans l'intérêt de celle-ci, étaient fondés à s'opposer à l'aliénation de ces biens ;

Et attendu que la cour d'appel, statuant comme juridiction de l'exécution, n'avait pas à constater, pour ordonner une saisie-revendication, que les requérants étaient apparemment les plus qualifiés pour se voir confier, à titre de dépôt, les souvenirs de famille, cette condition n'étant pas exigée par l'article 155 du décret susvisé ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.